Innovants, audacieux mais toujours accessibles, les objets du designer d’origine israélienne Ron Arad séduisent un public avide de nouveautés et de sensations fortes. Rencontre avec un créateur passionnant et passionné qui va au bout de ses rêves.

Lors du Salon du meuble de Milan, le 14 avril dernier, une faune aussi hétéroclite que branchée se pressait à l’entrée de la galerie Gio’Marconi, située dans une petite rue calme de la capitale internationale de la mode et du design. La raison de cette agitation fébrile ? L’inauguration imminente de l’exposition  » Lo-rez-dolores-tabula-rasa  » mettant en scène les dernières créations de Ron Arad, l’un des plus célèbres designers du moment. Ce nom pour le moins étrange avait tout naturellement réussi à piquer la curiosité des amateurs d’innovation à tout crin. Une fois de plus, le créateur n’a pas ménagé ses efforts pour créer la surprise. Pour cette installation, Ron Arad a décidé d’explorer les possibilités du Corian, un matériau à haute valeur technologique ajoutée et composé de minéraux naturels mélangés à des polymères acryliques purs. Il a ainsi créé un gigantesque mur et une énorme table ronde en Corian translucide percés de respectivement 40 000 et 27 000 trous minuscules, chacun relié à une mince fibre optique transmettant des points lumineux. Ce dense réseau de fibres optiques, connecté à un ordinateur, un lecteur de DVD ou un poste de télévision, diffuse, en basse résolution, des images sur la surface des objets en Corian. L’effet est tout simplement bluffant. Autre création, les chaises  » Oh-Void  » constituées de différentes couches de Corian superposées et collées à l’aide de Corian adhésif de couleur contrastée. Pour en savoir plus sur ces surprenantes créations, Weekend a rencontré Ron Arad à Milan pendant les derniers préparatifs de la mise en place de l’exposition.

Weekend Le Vif/L’Express : Que signifie ce nom étrange de  » Lo-rez-dolores-tabula-rasa  » ?

Ron Arad :  » Lo-rez  » tout simplement parce que les images diffusées à travers le Corian sont en basse définition ( NDLR : low-resolution en anglais). Dolores est un prénom féminin que j’affectionne et l’expression  » tabula rasa  » signifie l’absence de mémoire, de traces après le passage de l’image

Quelle a été votre source d’inspiration pour cette création ?

Cela faisait pas mal de temps que j’étais en contact avec les fabricants du Corian. Ils m’avaient déjà contacté en 2003 pour participer à un show collectif mais cela ne m’intéressait pas. Cette année, ils voulaient que je crée un projet seul et j’ai sauté sur l’occasion. Je voulais que le projet soit vraiment inédit, expérimental. J’ai donc décidé de jouer sur la translucidité de ce matériau pour la table et le mur. Je pense être arrivé à démontrer ses surprenantes capacités d’une manière tout à fait innovante. En outre, lorsque l’on ne diffuse pas d’images à leur surface, ces objets sont beaux tout simplement parce que le matériau dans lequel ils ont été conçus est superbe grâce à son aspect marmoréen. En revanche, j’avais déjà dessiné la chaise  » Oh-Void  » et l’avais réalisée en fibre de carbone, un matériau extrêmement léger. La version que je présente ici est constituée d’éléments en Corian collés et les joints de colle constituent des rayures. Ses promoteurs étaient plutôt surpris parce que le Corian est un matériau que l’on peut assembler sans coutures apparentes et moi je me suis ingénié à faire exactement l’inverse. Visuellement, le résultat est très intéressant. Le public réagit très bien à ce modèle.

Justement, quelles réactions espérez-vous provoquer auprès du public ?

Ce projet est tout à fait expérimental. Cela signifie qu’il comporte des éléments de risque et même la possibilité d’un échec. C’est l’essence même de la création. Quand vous écrivez un bouquin ou tournez un film, vous ne pouvez pas anticiper la réaction du public. J’espère simplement que ce projet divertira, étonnera et fascinera. Tout comme les autres objets que je crée. J’espère aussi que les gens se demanderont comment le mur et la table fonctionnent. Cette fois-ci, la partie technique reste cachée mais peut-être que dans un futur plus ou moins proche je la dévoilerai aux yeux du public dans le cadre d’un autre projet.

Quelles sont les qualités du Corian ?

Elles sont nombreuses ! C’est un matériau translucide, facilement usinable, qui se coupe, se colle et se forme à volonté. Le Corian est vraiment très flexible. Ce projet m’a permis de mieux le connaître et de l’apprécier à sa juste valeur. Avant de l’utiliser, je pensais ne pas l’aimer parce que, selon moi, il avait un look beaucoup trop plastique. Grave erreur (rires)!

Et quels sont ses défauts ?

Le matériau parfait n’existe pas. Le Corian est excellent pour certaines applications mais pas pour d’autres. On peut en faire un superbe lit mais pas un matelas (rires). Plus sérieusement, je crois que son désavantage majeur est son prix. Le Corian coûte assez cher. Pour des prototypes que l’on présente lors d’un salon comme c’est le cas aujourd’hui, ce n’est pas grave. Mais pour lancer une production, il est encore beaucoup trop cher.

Vous qui adorez surprendre, pensez-vous que le design contemporain est assez innovant ?

Il y a toujours des trendsetters qui osent prendre des risques pour proposer des projets ébouriffants. Ensuite, malheureusement, il y a les imitateurs. En architecture, par exemple, Franck Ghery a frappé un grand coup en dessinant le fabuleux musée Guggenheim de Bilbao en Espagne. Depuis, beaucoup d’architectes se sont inspirés de son travail. C’est sans doute la rançon du talent et du succès. Et c’est surtout la manière dont tourne le monde de l’argent et de la rentabilité.

Dans le livre  » Designing the 21st century « , édité par Taschen, vous affirmez que l’ennui est le berceau de la créativité… Vous embêtez-vous souvent ?

Non, mais je suis malgré tout très créatif (rires). En revanche, je me lasse parfois très vite d’un projet.

En tant que professeur au Royal College of Art de Londres, quel message essayez-vous de transmettre à vos élèves ?

C’est très difficile. Je ne leur dis jamais de devenir le nouveau Philippe Starck, par exemple. J’essaie de leur faire découvrir ce qui les intéresse pour qu’ils s’épanouissent pleinement et contribuent au développement harmonieux du design. Je ne les encourage pas à rejoindre la profession mais à l’inventer.

Vous utilisez souvent le plastique dans vos créations ? S’agit-il de votre matériau favori ?

Il n’y a pas de doute, le plastique est le matériau numéro un de la production de masse. Il suffit de regarder autour de soi, le monde est en plastique ( rires) : meubles, chaises, chaussures, stylos, lunettes, téléphones cellulaires, pièces de carrosserie de voitures…. C’est plutôt chouette d’utiliser un matériau bon marché et malléable et de lui conférer ses lettres de noblesse via le design. Le public l’apprécie enfin et je suis convaincu que c’est grâce au travail acharné des designers contemporains qu’il s’est imposé.

L’utilisateur de votre fameuse étagère  » Bookworm  » peut lui imprimer la forme qui lui plaît. Est-il important à vos yeux que l’utilisateur final ait une interactivité avec les objets que vous créez ?

Cette étagère est un véritable best-seller. Il s’en vend l’équivalent d’un millier de kilomètres par an. Il est très difficile de créer un best-seller sortant de la norme et proposant une solution innovante. Les produits de Philippe Starck se vendent en général très bien mais, souvent, ils ne s’écartent pas vraiment du look des produits standards. Hélas, il arrive que des objets absolument sensationnels ne rencontrent pas les faveurs du public et fassent un flop magistral au niveau commercial. Je pense que le succès de  » Bookworm  » est, en effet, dû à sa modularité. Chaque personne qui l’achète peut lui donner le look qui lui plaît et qui convient son intérieur. Cette personnalisation est très appréciée dans un monde de plus en plus standardisé. C’est une illusion de liberté, un peu de rêve.

Quels sont vos projets immédiats ?

Je viens d’achever une collection d’accessoires de bar tels que des shakers et des seaux à glace pour Alessi. Je vais sans doute travailler également avec Magis et Moroso, deux éditeurs particulièrement dynamiques sur la scène internationale du design.

Propos recueillis par Serge Lvoff

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