Découvrez l’univers fascinant de Kengo Kuma. L’architecte japonais séduit avec ses villas, musées ou buildings aux lignes aériennes… Sans oublier ses murs de bambou, plus humains que le béton.

Nul besoin de quitter l’archipel pour découvrir tout Kuma, à l’exception d’une incursion au pied de la Muraille de Chine. Embarquement immédiat pour Bato, préfecture japonaise de Tochigi à 3 heures de Tokyo, où, au printemps 2000, Kuma a bâti un musée en forme de long tiret d’or blond. Ce Pavillon d’or émeut, ne serait-ce que par les reflets du jour sur sa structure composée de trames de lattes de bois. On expose ici les  » ukiyo-e  » (gravures sur bois très populaires au Japon) du peintre Hiroshige (1797-1858). Pour abriter ces  » peintures du monde flottant  » figeant la fugacité de l’instant, on a donc choisi Kengo Kuma, un architecte revenu du tout béton.

Filons à Atami, préfecture de Shizuoka. Kengo Kuma avait juste 41 ans quand, en mars 1995, il termine cette  » water/glass house « . Un nouvel exemple de monde flottant pris au pied de la lettre, avec son lounge posé sur un plateau aquatique. A peine une barrière contre le Pacifique, océan qui donne l’impression d’être au pied de cette salle à manger d’air, de verre et de lumière. On s’assoit sur du mobilier transparent comme une larme de biche sous un toit de verre fatalement couleur ciel. L’éloge du vide reste sans froideur car rien n’arrête la vue sur la richesse du paysage. 1 125 m2 au sol, trois niveaux, deux chambres, elle s’inspire de l’architecte allemand Bruno Taut (1880-1938) installé au Japon de 1933 à 1936. Kuma s’émeut des larmes de Taut, amoureux transi du vénérable palais Katsura dont les vérandas de bambous encadraient déjà la nature. Ce sont d’ailleurs des dessins de Taut que Kuma père collectionnait. Ils fascinaient Kengo. Le petit bonhomme de 10 ans est ensuite marqué par les deux stades aux toits suspendus de l’architecte Kenzo Tange (1913-2005) conçus pour les Jeux olympiques de Tokyo en 1964. Kengo se souvient du maître à la télévision, dissertant sur les liens entre Japon ancien et actuel. Le pavillon suisse de l’Exposition internationale d’Osaka en 1970 achève de séduire l’adolescent. Il n’envisage plus son avenir sans architecture.

apprendre le design japonais à New York

Il étudie d’abord à l’université de Tokyo où son professeur, Ushi Atahara, dénigre Kenzo Tange. Trop m’as-tu-vu. Kuma affûte son regard.  » La gestion de l’espace vaut mieux que le monumental « , conclut-il. Dans les cours de l’architecte Fumihiko Maki, on bouscule aussi Tange. Maki introduit l’étudiant à la Columbia University :  » Je suis donc allé à New York pour y apprendre le design japonais…  » Revenu des Etats-Unis en 1986, Kuma ne mâchonne crânement que du béton. Quand il fonde son studio en 1990 à Tokyo, c’est déjà la récession. Au contact de charpentiers à la campagne, Kuma réalise qu’ils construisent aussi dur et aussi économique que lui. L’idée lui vient alors de réinterpréter l’usage du bois façon Japon ancien. Il ne jure plus que par  » l’échelle humaine et la structure légère pour retrouver la tradition japonaise des constructions délicates « . Pour lui, les bâtiments monumentaux de Tadao Ando et d’Arata Isozaki se reproduisent tels quels, partout,  » comme des sacs Vuitton « . Il a érigé pour le groupe LVMH à Osaka, en 2004, un building de 44 m de hauteur composé de bureaux et de boutiques. A la structure d’acier et de béton s’ajoutent le bois et  » trois sortes de pierre, leur translucidité variant suivant l’épaisseur « . On voit même sur le haut de la façade du building de l’onyx vert du Pakistan, enclavé entre deux feuilles de verre. Malgré son passé architectural, le Japon a connu des années où les enseignants n’avaient que Le Corbusier en bouche. La génération de Kuma retournera à plus d’équilibre. La transparence est selon lui un concept très présent dans l’architecture japonaise ancienne. Kuma veut s’affranchir de ce qui semble aller de soi. Quand un écrivain lui commande une maison de ville de 150 m2 , il dessine  » Plastic House « . Depuis mai 2002, cette structure d’acier sur deux niveaux, semée de vis en caoutchouc et d’écrous en plastique, offre aussi deux terrasses pour le thé. Mais le grain de cette maison est dans son ADN de FRP, du plastique de 4 mm d’épaisseur, aussi séduisant que le bois. Ce matériau  » exceptionnel, qui ressemble à du papier de riz ou du bambou  » est décliné jusque sur les marches d’escalier.

Des murs de bambou qui collent à la nature

Envolons-nous maintenant au pied de la Grande Muraille. Là encore, pas une once de béton pour le  » Great (Bamboo) Wall « , dessiné en 2001. Exit aussi la boîte fermée :  » Nous avons toujours été sensibles au fait que la Grande Muraille n’est pas un objet isolé dans la nature mais un mur suivant l’inclinaison du paysage.  » Avec le cabinet Soho, il a déployé des murs en bambous avec des écartements et des diamètres différents qui  » collent  » avec la nature alentour. La lumière et l’air y jouent les passe-muraille, du double séjour aux quatre chambres. Dernière station au musée d’art de Nagasaki (2005), Kuma a construit ici une version 2005 de la véranda à l’ancienne en lattes de bois.  » C’est une critique du Japon contemporain qui ignore le climat local et son paysage.  » Un brin réac, Kuma ? Le pont de verre au-dessus du canal qui permet d’accéder à l’exposition sur la terrasse nous prouve que non. Il veut plutôt préserver la vue qu’on a sur le port de Nagasaki. Pas pour nous raccorder à un Japon de légende mais pour nous relier au Soleil, à la Lune et aux étoiles.

A lire :  » Kengo Kuma « , de Botond Bognar, Princeton Architectural Press, 2005 ;  » Kengo Kuma « , de Luigi Alini, Editions Electa, 2005. Deux monographies très complètes et richement illustrées.

Guy-Claude Agboton

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