Auteur de sept romans et scénariste pour le cinéma et la télé, Richard Price est l’un des plus grands écrivains de l’Amérique urbaine. Rencontre avec un New-Yorkais pur jus dont chaque opus se révèle un véritable petit chef-d’ouvre made in USA.

Paris, 14 heures. Depuis deux jours, Richard Price, 59 ans, enchaîne interview sur interview. Pâle, les yeux cernés par un pénible décalage horaire qu’il n’arrive pas à évacuer, l’auteur américain à l’accent traînant du Bronx (où il est né) se prête néanmoins de bonne grâce au feu roulant des questions. Un exercice qu’il maîtrise depuis trente ans. Il n’avait, en effet, que 24 ans quand, en 1974, il publia Les Seigneurs, son premier roman aussitôt acclamé par la critique littéraire américaine.

Ce surdoué sort ce mois-ci en français Souvenez-vous de moi(*), une brique mi-polar, mi-roman sociologique qui subjugue par la description finement psychologique des personnages ainsi qu’une évocation pointue, vivante, quasi chirurgicale du Lower East Side, un quartier multi-racial de New York. Sa signature : un rythme très cinématographique qu’il imprime également aux scénarios ( La Couleur de l’argent (1986), Mélodie pour un meurtre (1990) et, plus récemment, pour la télévision, la série The Wire) que lui confie Hollywood.

Souvenez-vous de moi s’ouvre sur un meurtre (dont on connaît d’emblée l’auteur) et s’achève sur l’arrestation et les aveux du criminel. Entre les deux, un long flux narratif détaillant les conséquences de l’acte sur la vie des habitants du Lower East Side, depuis la famille de la victime jusqu’aux policiers chargés de l’enquête, des différents témoins et suspects jusqu’au meurtrier.

Accompagné par une attachée de presse américaine déférente, ce poids lourd de l’édition se veut pourtant d’une remarquable simplicité. Si son débit, au début, est lent et hésitant, il se réveille peu à peu et s’échauffe, pratiquant même un humour corrosif et inattendu. Frêle mais intérieurement tendu, direct mais évitant tout contact visuel tout en jouant nerveusement avec un stylo, ce buveur d’eau ne craint aucun interdit, avouant même avoir pris des drogues dures dans les années 1980 afin d’y puiser son inspiration. Rencontre avec un auteur couronné par un Academy Award in Literature en 1999, un Edgar du meilleur scénario pour la série télévisée The Wire en 2007 et, enfin, une nomination aux Oscars pour le film Mélodie pour un meurtre.Sa plus belle récompense ? L’adulation que lui portent depuis maintenant trois décennies des millions de lecteurs à travers le monde.

Que pensez-vous du jeune Richard Price qui publia son premier roman à 24 ans ?

Je pense que j’étais un jeune homme plein d’énergie qui ne doutait pas un instant de lui. J’étais aussi plein d’enthousiasme et désirais écrire un livre très vite, pour être lu par un nombre infini de lecteurs ! Au fond, j’étais très naïfà J’écrivais dans l’insouciance la plus totale sans aucune pression de la part d’un éditeur. Je ne dis pas que j’ai gardé cette insouciance mais à chaque roman c’est la même chose : j’écris sans être vraiment conscient que mes £uvres seront finalement publiées et resteront pour toujours dans les bibliothèquesà

Avez-vous toujours voulu être écrivain ?

Oui ! Je voulais à tout prix faire une carrière dans l’écriture : écrivain, journaliste ou poèteà

Et parler de New York ? Vous voyagez beaucoup, vous pourriez aussi écrire sur d’autres villesà

Même si vous voyagez énormément, vous appartenez toujours à l’endroit qui vous a vu naître. Peu importe aussi les villes ou les pays visités, je suis irrésistiblement ramené à parler de New York. Il s’agit ici d’une géographie purement intime et spirituelle. Et puis cette mégalopole évolue tellement vite ! J’y reviens donc toujours mais sous un angle et un âge différents. Ce nouveau regard et aussi mon évolution personnelle alimentent mes romans. Je dirais que les endroits décrits sont aussi importants que mes héros.

Justement vos protagonistes sont criants de vérité. Existent-ils vraiment ?

Non, ce sont tous des personnages de fiction. Mais j’adore passer du temps avec les gens et les observer ; les scruter et m’emparer de leur nature profonde. Prenons un exemple : l’ancien président George Bush. Vous l’avez vu durant des années à la télévision et, après un petit moment, vous pouvez l’imiter à disons dans un pastiche de Shakespeare. Ce qui se révélera très comique. Mais vous ne pouvez  » être  » George Bush, donc vous êtes dans l’improvisation la plus totale. C’est ce que je fais avec mes héros. Je ne peux qu’  » imaginer  » ce qu’ils pensent, ce qu’ils feraient dans certaines situationsà c’est ce qu’on appelle de la fiction !

Vos héros sont généralement des personnes fragiles. Leur insufflez-vous vous vos sentiments ou sommes-nous encore dans la pure fiction ?

Oui, c’est vrai mais quand vous écrivez vous mettez une part très infime de vous dans les protagonistes. C’est vousà et tout le monde à la fois ! Ce qui m’intéresse, c’est décrire les contradictions de l’être humain qui peut être à la fois bon et mauvais, un monstre et une victime. Pour moi, tout le monde est  » gris  » et non tout à fait noir ou tout à fait blanc.

C’est une vision pessimiste de l’être humain !

Pourquoi dites-vous cela ? Savez-vous combien je rayonnais de joie en écrivant ce livre ( rires). Non, je ne pense pas que mes personnages soient si sombres que cela. Ils sont surtout confrontés à de grandes pertes. Et puis ils font tous face à un meurtre, ce qui n’est pas spécialement amusant ! A chaque fois, j’essaie, disons, d’imprimer un certain rythme à la narration. C’est comme de la musique et de ce rythme naît, je pense, une certaine joie. Une joie perceptible aussi par l’enchaînement bien précis des chapitres. Et puis, soyons réaliste : sans une certaine tension narrative, il n’y a pas d’histoire !

Pourquoi avoir planté l’action dans le Lower East Side ?

C’est sans doute l’un des quartiers les plus importants de New York. C’est là que s’installèrent les immigrants venant d’Europe et de là que partirent tout ceux qui firent l’Amérique. Mes ancêtres s’y sont également établis. Aujourd’hui, il est devenu à la mode et est rallié par la jeunesse dorée. J’y ai passé du temps, j’ai rencontré ses habitants, la police, j’ai fréquenté les restaurantsà Ce qui est frappant, c’est qu’on y trouve des dizaines de strates sociales avec des personnes qui ne se connaissent pas et qui s’ignorent tout simplement.

Vous travaillez également pour Hollywood. Quels sont vos projets ?

Je viens de terminer le scénario de Souvenez-vous de moi et puis l’adaptation de Child 44, un livre de Tom Rob Smith qui est sorti l’année passée et qui devrait être tourné par le réalisateur Ridley Scott. Bah, je présume que le film ne se fera pasà Et ensuite, je finis le scénario d’un sujet sur un cartel mexicain de la drogue. Il y a déjà quatre scénaristes sur le coup mais à Hollywood, on estime que je peux peut-être encore y apporter quelque chose. Tant que l’on me paie !

Vous semblez désabusé par Hollywood.

Mais c’est la seule façon que j’ai de gagner beaucoup d’argent ! Tous ces revenus m’offrent la liberté souhaitée pour écrire des livres. Le système veut que les scénarios se paient dix fois mieux que ne me rapportent mes livresà Evidemment, je pourrais résider à Kansas City et ne vivre que de ma plume mais j’habite dans le quartier de Harlem à New York City (avec son épouse, la peintre Judith Hudson, et leurs deux filles) où les loyers sont élevés. Mais c’est un sacrifice que je fais bien volontiers. A New York, il vous suffit de traverser quelques rues seulement pour basculer dans un autre universà

Etes-vous également désabusé par vos métiers de professeur et journaliste ?

Mais le journalisme et l’enseignement ne paient pas ! Pour un article dans Vanity Fair ou TheNew Yorker, on me paie 30 000 dollars (21 300 euros) alors que je gagne 500 000 dollars (355 000 euros) pour un script !

(*) Souvenez-vous de moi, par Richard Price,

540 pages, Presses de la Cité.

par Chantal Piret

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