C’est la ville de Bill Gates et de Jimi Hendrix. Cette métropole sophistiquée, tournée vers le Pacifique, pourrait bien devenir le modèle de l’Amérique post-Wall Street. Une capitale du renouveau et de la douceur de vivre.

A la manière du peintre Robert Ryman, qui a redéfini la couleur blanche, Seattle semble s’attacher à faire découvrir au visiteur l’infinie richesse de la palette du gris : gris du ciel reflétant celui des énormes huîtres récoltées sur ses côtes ; argenté de la baie du détroit de Puget ; gris des énormes saumons juste pêchés qui s’empilent sur les étals du marché de Pike Place ; gris perle des troncs d’arbre monumentaux qui viennent régulièrement s’échouer sur ses rivages comme pour rappeler à la ville que sa richesse lui vient des forêts anciennes peuplées de colosses abattus dès la fin du xixe siècle. Variation dans cette symphonie de gris : la tache noire du coffee dont raffolent les  » Seattleites « . C’est d’ici qu’est partie la révolution Starbucks, qui a introduit des mots nouveaux et exotiques dans le vocabulaire des amateurs de café du monde entier : Frappuccino ou encore non-fat cappuccino extra wet.

Pourtant, Seattle, métropole de la région que les Américains appellent le Pacifique Nord-Ouest, presque à la frontière du Canada, est tout sauf une ville terne. Cette cité bâtie, comme Rome, sur sept collines est plutôt le bijou méconnu des Etats-Unis. Et aimerait parfois le rester : alors que les habitants d’une ville aiment en vanter le climat, ceux de Seattle ont au contraire tendance à en rajouter quant au nombre de millimètres de pluie qui s’abat chaque année sur eux (918,5 mm), histoire de décourager les indésirables – en particulier leurs voisins de Californie dont les valeurs consuméristes et individualistes sont à l’opposé de celles de la ville fondée il y a à peine cent cinquante ans. Devinette : comment reconnaît-on un visiteur ? A son parapluie. Les Seattleites, eux, préfèrent ignorer la pluie comme on ignore un enfant agaçant. Il manque à Seattle son Woody Allen qui en aurait dévoilé le charme et les histoires secrètes, comme l’auteur de Manhattan a filmé son Upper East Side. Le monde entier serait alors tombé amoureux de Ballard et de ses racines scandinaves, ou de Fremont la bohème, fière de sa statue de Lénine, ou bien de Capitol Hill, que ravit le mélange de la tribu des tatoués et des vastes résidences bourgeoises, ou encore de Belltown, le nouveau quartier bobo, avec le paisible Olympic Sculpture Park dominant le détroit de Puget, peuplé des £uvres des plus grands sculpteurs contemporains.

Une ville à la campagne

Il y a plusieurs façons d’aborder Seattle. Poétique : sautons dans le ferry pour l’île Bainbridge juste à la tombée du jour, lorsque la Space Needle, érigée pour l’Exposition universelle de 1962, brille comme un diamant au-dessus des gratte-ciel de Downtown. Intello : ici, la bibliothèque municipale est un sujet de fierté et un but de pèlerinage. La spectaculaire Central Library, à l’angle de 4th Avenue et de Madison Street, est l’£uvre du Néerlandais Rem Koolhaas, star de l’architecture. Seattle est fière de son record : aucune autre ville n’a autant de détenteurs d’une carte de bibliothèque.

Grunge : le  » Liverpool des Etats-Unis « , selon la formule de l’écrivain Timothy Egan, adore le mélange des genres ; le long du Lake Washington Boulevard, qui serpente autour du lac, la maison de Bill Boeing, héritier du célèbre constructeur d’avions, fait face à celle où habitait Kurt Cobain, le leader du groupe grunge Nirvana. Sur le tronc d’un séquoia, un admirateur a bombé en noir  » R.I.P.  » ( » Rest in peace  » : repose en paix). Champêtre enfin : apportons notre pique-nique près des écluses de Ballard avec d’épais sandwiches au crabe de Dungeness ou bien à la dinde (le  » haut d’un mile « ) préparés par la chef Kathy Casey, et observons les saumons qui remontent la rivière pour aller déposer leurs £ufs au fond du lac Union, au c£ur de la ville.

Car Seattle a réussi l’impossible : être une ville à la campagne. La métropole de 2,5 millions d’habitants est une mosaïque d’élégants parcs publics, de terrains de jeux et de bois reliés les uns aux autres comme un collier d’émeraudes d’un vert foncé. En 1903, la ville a eu la bonne idée de faire appel aux frères Olmsted, héritiers de Frederick Law Olmsted, l’architecte paysager de Central Park, à New York. Ils imaginèrent une ville parsemée d’espaces verts reliés aux lacs qui rythment Seattle comme des perles de mercure.

Les citoyens de Seattle sont unis par leur passion pour l’outdoor. Non seulement Seattle est une ville verte, mais la montagne, la mer, les parcs nationaux sont tout proches. On fait volontiers remarquer au visiteur avec fierté qu’à New York il faut au moins une journée pour accéder à la nature. Ici, on peut facilement aller skier le matin, faire le tour des innombrables galeries (ou des boutiques) l’après-midi et être à l’Opéra le soir. Seattle est au c£ur d’une région où la nature est omniprésente et a forgé le caractère de ses habitants. Elle est la porte vers l’archipel des îles de San Juan, dans la mer de Salish, à mi-distance de Seattle et de Vancouver, à quarante minutes d’hydravion ou une heure de ferry. Ces petites îles peu peuplées (7 500 habitants pour l’île de San Juan) ont été préservées. Les artistes y côtoient les paysans, les pêcheurs et les cétacés qui, entre mai et septembre, nagent à quelques mètres à peine des plages.

Un autre saut de puce en ferry, et voici l’impressionnante péninsule Olympic, autrefois couverte d’immenses forêts de conifères vieux de près de mille ans qui pouvaient atteindre 100 mètres de hauteur grâce à la pluviométrie de la région. La plupart ont disparu, mais quelques-uns ont été préservés, comme dans la Hoh Rain Forest, au c£ur de l’Olympic National Park, peuplée de géants barbus couverts de longue mousse. Mais il se fait tard. Il est temps de rentrer à Seattle. Un Frappuccino double latte no foam with hazelnut bien chaud nous y attendà

Seattle en pratique, page 54.

Théo Violet

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