Plus intimes, plus chics, plus high-tech… les hôtels nouvelles génération fleurissent depuis 2000 dans le monde entier. Embarquement immédiat pour un tour du monde faisant la part belle au cosy chic et design.

A lire : Cool Hotels, Europe, TeNeues, 2004 ; Hotel Design, Daab, 2004 ; Hôtels Design, par David Collins, Octopus, 2002.

V ous poussez la porte. Des volutes de musique indienne se mêlent aux vapeurs bleutées de l’encens. Une jeune femme élégamment vêtue s’avance, sourire aux lèvres, à travers le hall, décoré de belles pièces de design, et vous salue par votre nom. Dans quelques minutes, le discret comparse qui vous a allégé de votre bagage rangera soigneusement vos chemises dans les placards, cependant qu’un bain chaud emplira votre baignoire… Non, vous ne vous trouvez pas dans la résidence privée de vos meilleurs amis û accueillants et fortunés û mais dans l’un de ces hôtels nouvelle génération qui fleurissent, depuis le début des années 2000, dans le monde entier.  » Boutique hotel, design hotel « , hôtel de couturier… chaque semaine, de nouvelles adresses apparaissent. Toujours plus mode, plus sophistiquées, plus personnalisées,  » à l’image d’une clientèle elle aussi en totale mutation. Jadis, les clients des 3 et 4-étoiles étaient des hommes d’affaires quinquagénaires. Aujourd’hui, ce sont des hédonistes de 35 ans qui, lorsqu’ils voyagent, ont le désir de se retrouver dans des lieux qui leur ressemblent, de recréer chacun un chez-soi, une sorte de tribu avec tous ses codes esthétiques « , explique Frédéric Savoyen, directeur général de Nosylis, une agence de voyages parisienne qui propose une brochure consacrée aux grandes villes européennes et à leurs hôtels contemporains.

Une mutation qui ne touche pas seulement les petites structures et à laquelle les majors de l’hôtellerie se sont déjà préparés. Sofitel (groupe Accor) s’était interrogé, il y a six ans, dans le cadre de son indispensable rénovation, sur l’âge de sa clientèle. Surprise des sondeurs : les hôtes avaient… entre 30 et 40 ans. Dotées de moyens financiers substantiels, ces cibles new wave avaient l’habitude de voyager pour leur travail, ainsi que pour leurs loisirs et désiraient bénéficier du standard de confort des Sofitel… sans avoir le sentiment de se trouver dans un hôtel de chaîne. Dès lors, toute la politique de développement de la marque française, avec notamment l’ouverture de son fleuron londonien, s’est axée autour de la création d’établissements pourvus d’une identité propre, intégrés dans l’histoire de la ville où ils sont implantés et gommant au maximum la notion de  » chaîne « .

C’est le décorateur envié du Georges V à Paris, Pierre-Yves Rochon, qui a signé les ambiances intérieures du St James, cette nouvelle adresse londonienne. D’un regard, il embrasse près de cinquante ans d’histoire hôtelière :  » Les Américains, dans les années 1950, à l’heure où l’hôtel devenait un bien de consommation de masse, ont créé les premiers hôtels de chaîne et standardisé les règles de confort. Cette absence de surprise convenait fort bien à la clientèle d’affaires de l’époque. Trente ans plus tard, c’est encore outre-Atlantique que le secteur a vécu sa seconde révolution : l’hôtel n’est plus seulement fonctionnel ; il se doit d’être esthétique. A cet égard, l’ouverture, en 1984, à New York, du Morgans, imaginé par Andrée Putman, est fondatrice de la tendance des  » boutique hotels  » : petite capacité, décoration jouant, du sol au plafond, la carte du noir et blanc, luxueux mais sans la pesanteur des palaces traditionnels.  »

Par le succès du Morgans alléché, le duo Philippe Starck – Ian Schrager (investisseur new-yorkais à la tête de la chaîne Morgans Hotel Group) va profiter des années 1990 pour aller encore plus loin dans l’innovation : au Delano (Miami), au St Martins Lane ou au Sanderson (Londres), l’hôtel se transforme en décor, en spectacle permanent, au gré des variations lumineuses et des happenings. Au Royalton, à New York, le hall d’entrée se métamorphose en podium de défilé de mode, afin que chaque hôte se sente la star de ce théâtre des élégances. Dix ans plus tard, le design s’est installé à tous les étages. Alors qu’elle ne regroupait qu’une dizaine de lieux atypiques à sa naissance, en 1993, la centrale de réservations Design Hotels (qui fait office de label de qualité) rassemble désormais 137 adresses dans 41 pays. Les établissements sont tous différents :  » Ils sont à l’image de leurs propriétaires et ne se réduisent pas à leur design. Car celui-ci est devenu le minimum requis, une sorte de nouveau standard qui ne suffit plus « , explique Claus Sendlinger, créateur de cette société avant-gardiste installée à Berlin.

Poussés par la nécessité, les poids lourds du domaine ont dû, eux aussi, revoir l’ensemble de leurs chartes de décoration.  » Dès 2001, nous avons compris que, si nous ne changions pas, nous allions nous faire évincer par une multiplicité de  » boutique hotels « . Nous avons donc lancé le concept  » arts and tech  » : le mariage d’équipements technologiques de pointe dans les chambres et d’£uvres d’artistes locaux dans les parties communes. C’est le cas à Turin, à Hambourg ou à Vienne, précise David Mandefield, président du conseil d’administration du Méridien. Le groupe hôtelier espagnol Siklen, lui, vient d’annoncer l’ouverture prochaine d’un mastodonte, l’hôtel Puerta America, sur les hauteurs de Madrid û 12 étages, un bar, un atrium, le tout (jusqu’au parking) confié aux plus grandes signatures du moment : Zaha Hadid, Jean Nouvel, Norman Foster, Javier Mariscal, Ron Arad… Pas moins de 22 stars mondiales du design et de l’architecture ont été appelées pour ce projet hautement médiatique de plus de 70 millions d’euros. Du jamais-vu. Et cette surenchère de signatures n’est pas près de s’arrêter. Même le Crillon, à Paris, vient d’annoncer par l’entremise de sa responsable, Franka Holtmann û première femme directrice de palace û du lancement, d’ici à un an, de son nouveau bar, dont le design a été confié à… Philippe Starck.

Un service parfait… et personnalisé

Pourtant, l’esthétique n’est pas tout. Et la signature d’un créateur ne fait pas encore office de label de qualité.  » Les hôtels design sont comme la nouvelle cuisine dans les années 1980, plaisante Martine Caron, pétillante directrice du développement de Sofitel. Ceux qui l’ont inventée étaient géniaux et inspirés. Ceux qui ont voulu profiter de son succès et reproduire des recettes ont vite dégoûté leurs clients. Ce type de lieu ne doit pas être seulement le show- room d’un créateur pointu qui veut se faire plaisir. Ce doit être aussi un endroit où les clients se sentent à l’aise et bien accueillis. Ce qui n’est pas toujours le cas.  » Réception glaciale assurée par des hôtesses recrutées dans des agences de mannequins, lits tellement design qu’on ne peut y dormir, personnel très looké, mais au service indigent… Les anecdotes de clients déçus, voire furieux, des prestations de quelques-uns de ces hôtels top tendance ne manquent pas.  » Le problème de certaines des « vitrines » de designers à la mode, c’est qu’elles sont faites pour être photographiées dans les magazines de déco, mais pas du tout pour assurer le confort des hôtes. Une belle décoration ne représente jamais que 50 % du travail.  » Grace Leo-Andrieu sait de quoi elle parle. Démiurge, en1989, de l’un des premiers  » boutique hotels  » de Paris, le Montalembert, cette Américaine a, depuis, créé GLA International, une société spécialisée dans la gestion d’établissements de charme à la décoration contemporaine et avec un service de palace, tels le Bel-Ami, à Paris, ou le Cadogan, à Londres.

Pour garantir un service parfait et personnalisé, la jeune société fait bénéficier ses équipes d’une formation atypique : les hôtesses de la réception comme les femmes de chambre se voient donner des conseils pour se maquiller, s’habiller, se coiffer. Les grooms, eux, s’immergent une journée par an dans la vie de leurs clients afin de mieux comprendre leurs attentes. Dans la plupart des hôtels de standing, le concierge a recouvré sa place derrière son pupitre. Pas question de mélanger son travail à celui de la réception. Au W Times Square, à New York, les concierges, vêtus de costumes noirs, £uvrent par équipes de deux. Assis derrière un bureau en verre, les yeux rivés sur les écrans de leurs ordinateurs portables, ils consacrent tout leur temps à satisfaire les desiderata de leurs clients. Leur slogan :  » N’importe quelle demande à n’importe quelle heure « , que ce soit une imprimante laser à 2 heures du matin ou un bain au lait chocolaté… Pour Shahé Kalaidjian, propriétaire de plusieurs hôtels parisiens il faut faire tomber les barrières entre le personnel et le client.  » Il est important que ce dernier se sente le plus à l’aise possible et que les choses se fassent naturellement « , précise-t-il. Pour cela, l’hôtelier branché mise sur la polyvalence du personnel. Le client du Sezz qui vient d’ouvrir ses portes n’aura pas affaire à un réceptionniste ni à un concierge, mais à un assistant personnel.  » Les gens en ont marre de changer sans cesse d’interlocuteur. Au Sezz, les clients seront pris en charge par une seule personne qui s’occupera d’eux de A à Z et qu’ils pourront contacter en permanence « , insiste le directeur. Un exercice de haute voltige pour le personnel, appelé à changer de casquette au fur et à mesure de la journée.  » Un hôtel, c’est comme une pièce de théâtre. Chacun a un rôle à y jouer et doit être parfait, professe Grace Leo-Andrieu. Il faut laisser ses états d’âme dans sa loge et interpréter à la perfection son personnage. Nos clients plébiscitent nos hôtels parce qu’ils ont le sentiment d’y vivre une expérience unique.  »

Les cinq sens en éveil

 » Expérience unique « . La formule magique, le sésame de la nouvelle hôtellerie semble tenir en ces deux mots. Et l’  » expérience  » va toujours plus loin et ne s’arrête plus aujourd’hui au design ni même au service. Ainsi, au Park Hyatt Vendôme, à Paris, les poignées de porte sont des bronzes signés Roseline Granet et le parfum d’ambiance est une création spéciale de Blaise Mautin. Et, pour que les clients se remémorent cette fameuse  » expérience « , les hôtels leur proposent de se porter acquéreurs de produits phares. On peut, par exemple, quitter le Sofitel St James, à Londres, avec la lampe Gatsby, conçue par Pierre-Yves Rochon, dans sa valise ou même commander son lit My Bed sur la boutique en ligne du Sofitel.  » Les mondes de la maison et de l’hôtel sont désormais très proches et s’influencent mutuellement « , insiste Rochon. De plus en plus, par ailleurs, l’hôtel se transforme en un laboratoire pour la cuisine (Ferran Adria réfléchit en ce moment au  » room service  » de la chaîne espagnole NH) ou pour l’habitat.  » Les marques de mobilier ou d’appareils hi-fi sont très demandeuses de collaborations. Elles utilisent l’hôtel comme un showroom et testent de nouveaux produits. En échange, nous utilisons leurs fichiers clients. C’est ce qui s’appelle du « marketing croisé », explique Shahé Kalaidjian, qui a même créé Gold, une société d’édition de meubles dont les créations exclusives ornent le Sezz.

Les yeux (le décor), mais aussi le goût (l’assiette) et le toucher (le spa et ses massages, devenus incontournables), l’odorat (le parfum d’ambiance) et l’ouïe (le CD  » lounge « ) : rien n’est oublié. La chaîne Holiday Inn a demandé au décorateur Laurence Llewelyn-Bowen d’imaginer la chambre du futur : pour lui, tout sera conçu pour mettre les cinq sens en éveil. Le client pourra modifier ce lieu de vie passager selon ses envies : éclairages modulables, projections d’images pour un décor sans cesse renouvelé, diffuseur de parfums, musiques variées… Un vrai cocon. Rien qu’à soi.

Céline Lis et Marion Vignal

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