Les salons de thé n’ont pas échappé à l’actuelle lame de fond qui traverse la gastronomie. Aujourd’hui, ils se défont d’une imagerie très guindée pour s’imprégner des dernières tendances food. A Paris, ils sont devenus le nouveau lieu de rendez-vous des trentenaires branchés.

Carnet d’adresses en page 57.

« On a voulu réinventer le salon de thé. Prouver à tout le monde que le genre ne rimait pas forcément avec octogénaire jouant de la harpe « , explique Anny. Appart’thé fait aujourd’hui un malheur rue Charlot, l’une des rues du quartier du Marais qui attire le Tout-Paris branché.

L’histoire commence comme un bon film. Plutôt épicuriens, Philippe et Anny (frère et s£ur) remarquent l’absence dans la Ville lumière d’un lieu cosy  » où l’on pourrait boire le thé le midi et le champagne le soir « . Tous deux font alors des merveilles. Ils conçoivent un espace hybride : un salon de thé revisité où l’on peut aussi prendre le temps et rencontrer des gens. Appart’thé ne se veut surtout pas un restaurant guindé. Ici, on est plutôt du côté de la maison d’hôte. Porte ouverte et pas d’enseigne donc.

De façon très inspirée û et malgré l’exiguïté de l’espace û Anny a créé un décor à la fois intime et chaud. On pourrait être û et on est û ici chez soi. Le drapé d’un rideau cossu invite à la confidence, un sucrier années 1930 apporte une touche d’élégance rétro, les murs bigarreau assurent une ambiance joyeuse… Le mobilier est hétéroclite : il mêle chaises chinées et canapé Garouste et Bonetti. Sans ostentation, quelques objets ethniques ramenés d’un long-courrier parsèment les deux pièces. L’atmosphère est feutrée et expose, selon le principe d’une galerie d’art, les toiles de voisins ou d’amis. La carte est construite sur le précepte de  » mieux vaut un bon sandwich qu’une mauvaise blanquette « . Tous les produits, même les plus simples, font l’objet de recherche et de raffinement. Le samedi et le dimanche, un brunch alléchant propose confitures à l’ancienne, yaourts La Fermière, fruits frais, fromages et jus d’orange fraîchement pressées. Côté découverte, des sirops glanés dans l’arrière-pays niçois étonnent le palais avec des saveurs inédites : géranium, mimosa, rose… La provenance du champagne, elle, est gardée secrète, tout juste sait-on qu’il est acheté à un petit producteur près de Reims. La semaine, quiches et plats du jour font le bel ordinaire. Le foie gras est superbe. Les pâtisseries home made, enfin, sont divines, servies dans des porcelaines signées Olivier Gagnère.

La folie du salé

A Paris, Appart’thé est loin d’être la seule enseigne à s’inscrire dans le grand renouveau des salons de thé. D’autres lieux participent de ce phénomène dont l’une des marques distinctives est la présence du salé. Exit les seules pâtisseries ! Les salons de thé ont revu leur carte de fond en comble afin de proposer un assortiment de goûts inspirés de l’air du temps. L’exemple le plus flagrant est celui de la boutique Mariage Frères, du nom de cette institution vénérable et chic du IVe arrondissement. Depuis peu, on y savoure un ensemble de mets salés à base de thé. A l’étage, dans un confortable salon, les amateurs ont leur must : le  » lunch thé « , un plat chaque jour différent et enrichi aux arômes de thés exotiques. Le rez-de-chaussée, lui, fait la part belle à plus de cinq cents références de thé disponibles à la vente. On fait son choix en consultant un petit livret de commentaires qui accompagne la carte. Sans oublier de faire une petite visite au musée Mariage et ses beaux objets dédiés au négoce et à l’art du thé.

Autre endroit culte, plus atypique celui-là, Les Cakes de Bertrand est la dernière  » place to be  » à Paris. Cette  » cantinette-salon-de-thé-épicerie  » enregistre un beau succès, les cakes dudit Bertrand s’arrachant jusqu’à New York. Dans un décor très Napoléon III, les plats défilent : tartes salées originales û la potimarron-lentilles-curry est devenue un classique û, soupes maison,  » salted cakes  » û figues-jambons û, curry de haricots verts… Côté magasin, les rayons débordent d’épicerie artisanale et des créations originales qui ont fait la réputation de Bertrand. Le top ? S’y faire voir lors du brunch du dimanche matin.

Dans le même esprit, Rose Bakery est l’£uvre de Jean-Charles Carrarini et de son épouse anglaise Rosalind. C’est d’ailleurs cette dernière qui a prêté son nom à ce salon de thé dans lequel le couple a dressé quelques tables sans façon. Après Villandry, leur restaurant londonien, le duo est revenu à Paris afin de concevoir un lieu dédié aux produits bio, aux labels éthiques et au commerce équitable. Le mot-clé est ici  » home made « ,  » fait maison  » en version française. Rosalind prépare une série de délices sucrés, d’inspiration anglo-saxonne : scones, cheesecakes, crumbles, pecan pies, lemon tarts ou eccles cakes, une sorte de feuilletés garnis de raisins macérés dans l’alcool. La partie salée de la carte séduit elle aussi. En vrac, on trouve salade de tomates à la coriandre, lentilles, carottes coupées à la main, taboulés, aubergines, tartes aux légumes ou concombres venus en droite ligne du jardin. L’ensemble trône magnifiquement sur le comptoir à l’entrée… et est également proposé dans le très hype û et très éclairé quant aux fournisseurs û Water Bar de Colette, rue Saint-Honoré. La déco est brut de décoffrage à l’image des produits simples et sains. Murs blancs, sol sans fioriture, rangée de néons et mobilier sommaire, on se situe du côté du degré zéro de la décoration. A tel point qu’il est difficile de définir l’appartenance sociologique du lieu. C’est tant mieux : seule l’assiette domine, joliment scénarisée avec un poivrier, une salière, un set en papier et un panier de pain. Le service est assuré par des Anglaises dont la pointe d’accent ajoute au charme de l’adresse. Le rayon épicerie recèle quelques perles exclusives dont les fromages û stilton, cashel blue, wigmore û du meilleur affineur britannique, Neal’s Yard Dairy. Sans oublier, jus de pomme, cafés et thés anglais, bacon, sodas au gingembre et piments…

Très révélateur également, le salon de thé ouvert au sous-sol de la boutique Joseph of London, rue Saint-Honoré, dans l’épicentre du chic parisien. Pour la scénographie, la griffe anglaise n’a pas lésiné sur les moyens puisque c’est l’architecte designer Christian Biecher û on lui doit l’ex-Korova de Jean-Luc Delarue et la boutique de Pierre Hermé û qui a aménagé l’espace. On retrouve les gimmicks qui ont fait sa notoriété : présence des arrondis, contraste des matériaux, dépouillement d’inspiration zen… La carte, partagée entre le  » cold  » et le  » hot « , est d’inspiration franchement italienne.

Révolution nipponne

Dernière étape du parcours, Toraya s’impose pour la version japonaise du salon de thé. Pour s’ouvrir l’appétit, ici, on commande un  » kaïseki « . Cette infusion à base de feuilles broyées et séchées de shiso (thé), de sel et de riz soufflé possède la réputation d’initier aux saveurs salées. Mélangée avec du lait d’amande, elle affiche une couleur fraise et une fraîcheur qui charment tant l’£il que les papilles. Le clou ? Un ensemble de sandwiches, de plats légers et de pâtisseries inédites. Des créations originales ni japonaises, ni occidentales, signées par le chef Mariko Ueno. Sur l’assiette, on découvre des plats hybrides, sortes d’ovnis culinaires, situés à égale distance entre Orient et Occident. Les  » onigris  » ont dû déconcerter plus d’un homme d’affaires japonais. Ces mini-sandwiches de riz en forme de triangle constituent un incontournable de l’alimentation traditionnelle nipponne… Mais dans ce salon de thé parisien, on en sert une version revue et corrigée mêlant curry de tofu, aubergines, tomates et £ufs durs. Une autre variété combine poulet haché au miso, hoummos et tomate. Soit une véritable révolution de l’art de manger japonais.

Michel Verlinden

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