Avant d’arriver entre nos mains, les petits derniers de la technologie font l’objet de prototypes à l’aspect parfois délirant. Visite dans les coulisses de l’avant-garde.

Pas une marque de l’électronique grand public qui n’ait aujourd’hui son équipe intégrée ou qui ne fasse appel à un bureau de designers externe. En véritables anthropologues, les couturiers du numérique sont en permanence à l’affût des nouvelles tendances. Flaireurs avisés de l’air du temps, ils décodent les comportements des consommateurs pour mieux anticiper leur attentes.

Sociologues et stylistes travaillent de concert

A chacun ses recettes. Jonathan Ive, vice-président d’Apple chargé du design, est convaincu que les objets doivent délivrer un message de simplicité. iMac, iPod, Nano, iPhone… les bijoux high-tech de ce quadra britannique, ancien dessinateur de salles de bains, ne répondent qu’à une exigence : créer un impact émotionnel.  » Le design doit permettre à l’utilisateur de se sentir à l’aise avec la technologie « , aime-t-il à répéter. Même son de cloche du côté de chez B&O. Là, David Lewis façonne le style de la marque danoise depuis vingt-cinq ans. En dehors des courants, le  » King « , comme on le surnomme, travaille à partir de maquettes en carton et trouve son inspiration dans les rues de Copenhague, sa ville d’adoption. Au mieux fait-il une visite à chaque Salon de l’auto pour vérifier que design et technologie font toujours bon ménage. A l’opposé, chez Sony, on veut plonger au c£ur des tendances. Là où le monde bouge, à Tokyo, à Paris, à Londres, là où tourbillonne la crème du cosmopolitisme. Quant à Jim Wicks, le designer de Motorola, il reconnaît s’inspirer autant des cérémonies du thé au Japon que des rappeurs dans les rues de Chicago qui l’entourent.  » Pour le high-tech, les sources d’inspiration sont nombreuses. Cela va de la joaillerie au monde de l’aviation « , explique Stefano Marzano, big boss du design chez Philips. De son bureau milanais, il dirige une véritable PME, qui compte pas moins de 500 personnes, sociologues, stylistes et ingénieurs, répartis parmi une douzaine de bureaux, de Boston à Bangalore.  » Cette diversité nous force à innover, à explorer d’autres aspects du design que la seule cosmétique des formes et des couleurs « , avance-t-il en lissant son écharpe de soie blanche. Son expertise permet d’ailleurs à la firme d’Eindhoven d’être un laboratoire de design pour d’autres marques prestigieuses, mais non concurrentes, comme Ford ou Levi’s.  » Au total, nous travaillons sur quelque 3 000 projets par an. C’est vital pour les créatifs de plancher sur des programmes de natures très différentes « , assure Stefano Marzano, dont la devise est  » Créer pour innover « . Parmi les derniers prototypes présentés, l’In Touch, un miroir qui s’accroche n’importe où dans la maison et dont l’écran tactile est connecté en WiFi à Internet.  » Tous les membres d’une même famille peuvent s’y laisser des messages photo ou vidéo à la manière de Post-It virtuel « , explique le designer piémontais. Un objet qui fait rêver… même si sa commercialisation n’est pas encore programmée.

Pas question de se projeter dans vingt ans

 » Les produits high-tech sont aujourd’hui froids et rigides, constate le jeune designer français Ora-ïto. On peut imaginer que demain ces objets seront plus humains.  » Il y a quelques années, ce touche-à-tout avait ainsi dessiné pour la firme française Sagem un téléphone mobile extraplat qui s’ouvrait comme un couteau suisse. Rien d’étonnant si, dans le même temps, les équipes du Naço, le bureau de design et d’architecture de Marcelo Joulia, planchaient sur un téléphone aux allures franchement similaires. Architecte à la base, le patron argentin a été contacté par le même fabricant…  » Je ne veux plus appuyer sur 450 boutons pour faire marcher mon téléphone ou mon lecteur de DVD, insiste-t-il. On se demande pourquoi la console PSP (PlayStation) n’a pas toujours été comme ça. Pourquoi il a fallu passer par toutes ces étapes pour fabriquer un objet si simple et intelligent.  »

Comme la plupart de ses confrères japonais, britanniques ou italiens, le fondateur de Naço sait à quel point il est important de coller au marché pour pouvoir l’anticiper.  » On a toujours trois ou quatre « concept phones » en projet, explique pour sa part Grégory Bonniot, de ModeLabs, fabricant de téléphones mobiles. Car dans ce secteur, où le renouvellement d’équipement est très important (NDLR : tous les dix-huit mois en moyenne chez les 18-29 ans !), il faut être toujours en mesure d’anticiper. Mais pas question de se projeter dans vingt ans. Ici, on travaille dans un esprit mode et nous préparons nos modèles comme une collection de couture.  »

Stefano Marzano, chez Philips, estime quant à lui que ses équipes ont besoin de neuf mois en moyenne pour définir un concept. Après, l’accouchement est une autre histoire…  » Nous avons testé le concept Ambilight (système qui permet de diffuser de la lumière sur les côtés de l’écran de la télé) pour la première fois en 1998. Le téléviseur n’est sorti que six ans plus tard, en 2004. Mais entre-temps cette technologie avait trouvé d’autres débouchés, comme l’éclairage plafonnier dans les hôpitaux.  » Un écran LCD entouré d’une fine coque de bois, une télé sans fil dont le pied sert de poignée, un petit écran souple à porter en bandoulière : l’équipe du Tim Thom, le centre de design de Thomson que Starck avait mis sur pied, travaille à partir d’idées simples.  » Il faut que les objets et leurs fonctions soient immédiatement reconnaissables « , assure Gérard Vergnault, patron du design. Morale ? Le design est avant tout une façon de nous permettre de mieux apprivoiser la technologie.

Carnet d’adresses en page 166.

William Coop

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