En créant de toutes pièces un nouveau vignoble dans la Maremme toscane, le Belge Jan Theys a pris le contre-pied de nombreuses idées reçues. Ses premiers vins Caiarossa, produits selon la méthode biodynamique, enchantent déjà les connaisseurs.

Carnet d’adresses en page 114.

« Notre toute première intention était d’acheter une maison en Toscane. Au milieu des années 1990, la Maremme n’avait pas encore connu sa flambée de l’immobilier « . Jan Theys acquiert donc une belle maison et 37 ha de terres agricoles et de bois dans le village de Riparbella. De sa terrasse, par beaux jours, il distingue à sept kilomètres au loin les reflets de la Méditerranée. En 1998, ayant cédé son entreprise au géant Sony, ce spécialiste de l’édition musicale et de la production télévisée dispose de moyens qui lui permettent de s’investir dans un projet ambitieux.  » Nous étions entourés de terres agricoles. Il restait ici et là quelques lignes de vigne. Le vin qu’elles produisaient a toujours eu la réputation d’être le meilleur du village. J’ai donc songé à planter un petit vignoble, en guise de passe-temps agréable.  » Rapidement l’affaire prend une tout autre dimension. Les premières analyses de sol mettent en évidence les potentialités exceptionnelles du terroir. Une recherche historique confirme que la vigne fut autrefois importante dans la région. Et puis, la Maremme toscane s’est rendue célèbre par plusieurs domaines de réputation mondiale, comme Sassicaia et Ornellaia, situés à Bolgheri, non loin de Riparbella. L’espoir est donc permis.

Jan Theys élabore son projet avec le plus grand soin et s’entoure d’experts en la matière, à commencer par l’£nologue Lucca D’Attoma avec qui il choisit les cépages. Mis à part un peu de chardonnay et de viognier, toutes les nouvelles vignes sont plantées en rouge : cabernet-sauvignon, cabernet franc, merlot, grenache, syrah, mourvèdre et, en cépage typiquement toscan, le sangiovese. En octobre 1999, treize hectares sont ainsi aménagés. Mais le nouveau viticulteur ne s’arrête pas là. Il prend en effet une décision importante : celle de cultiver ses terres selon la méthode biodynamique. A nouveau, il s’entoure de spécialistes, faisant appel à un des meilleurs conseillers en la matière, le Français François Bouchet.  » Cela fait longtemps, martèle Jan Theys, que nous avons recours avec succès à des médecines considérées comme parallèles : l’homéopathie, l’acupuncture, l’ostéopathie… Par ailleurs, de très grands viticulteurs, comme Lalou Bize-Leroy en Bourgogne ( lire aussi pages 48 à 50), Jean-Michel Deiss, André Ostertag ou les Zind-Humbrecht en Alsace, Didier Dagueneau en Sancerre se déclarent ouvertement en biodynamie. C’est aussi le cas pour un grand négociant comme Michel Chapoutier, et pour tous ses domaines, qu’ils soient situés dans la vallée du Rhône, à Châteauneuf-du-Pape ou dans le Roussillon. Tous ces gens ont un jour ou l’autre été suivis par François Bouchet.  »

Pour remiser les vendanges, une cave a été construite.  » J’ai voulu que son architecture extérieure s’inspire des constructions toscanes des XVIe ou XVIIe siècles, souligne Jan Theys. A l’intérieur, je suis resté logique avec ma conception de la viticulture. Nous avons donc tiré parti du flanc de la colline pour construire une cave sur 4 niveaux. Ainsi, nous pouvons utiliser la gravité pour faire s’écouler le vin jusque dans les sous-sols où se trouvent les barriques de vieillissement.  »

En incluant la première récolte assez minime de 2002, trois vendanges ont aujourd’hui été encavées. Si Jan Theys signe lui-même les vins, en décidant, par exemple, de leurs assemblages, il se fait cependant aider en cave par Andrea Paoletti, £nologue conseil, qui vient entre autres de se voir attribuer la cote superlative de 100/100 pour Merlot 2001 d’Ornellaia par le magazine américain  » Wine Spectator « .  » Il est clair que les méthodes de vinification que je pratique ne rencontrent pas toujours les idées d’Andrea, reconnaît Jan Theys. Elles vont à l’encontre de ce qui est aujourd’hui enseigné en faculté d’£nologie. Depuis une quinzaine d’années à Bordeaux, et un peu moins longtemps en Italie, on considère que certaines levures naturelles présentes sur la peau du raisin peuvent donner des vins pas très nobles, un peu paysans. Que fait-on dès lors ? D’abord on tue toutes les levures du mout avec du soufre. Ensuite on ensemence des levures sélectionnées (tous les chardonnays du monde ont ainsi ce goût de banane). Pour nourrir les levures, on doit alors ajouter des enzymes et des vitamines. 95 % des vins produits dans le monde sont ainsi, des vins que j’appellerais chimiques.  »

Jan Theys, lui, a choisi de ne pas soufrer ses moûts, de laisser évoluer les levures naturelles.  » Comme François Bouchet, j’estime qu’un vin qui fermente produit du SO2 et qu’il se protège lui-même de toute oxydation, commente-t-il. En fait, nous ne soufrons pas nos vins jusqu’à la fin de la fermentation malolactique.  » Selon les cépages et le potentiel de la récolte, les vins sont alors transférés dans des barriques.  » Certains vins passent en bois neuf, d’autres dans des barriques qui ont déjà servi. D’autres enfin ne voient pas la barrique, mais évoluent dans des foudres de 2 500 à 3500 l, toujours en bois.  »

Aujourd’hui, alors que les vins rouges 2004 ont terminé leur fermentation alcoolique, Jan Theys prend un plaisir non dissimulé à savourer les commentaires que les spécialistes émettent sur ses deux premiers millésimes. Fidèle à son idée de signature de l’exploitant d’un domaine, la récolte 2003 lui a permis de concevoir quatre vins biodynamiques portant le nom de Caiarossa. Le premier est un monocépage, réalisé avec du sangiovese. Trois assemblages remarquables dénotent une culture typiquement française du vin. En effet, l’un reprend les cépages typiquement bordelais (cabernet-sauvignon, cabernet franc, merlot et petit verdot), l’autre û son préféré û a les saveurs des grands Rhône du sud avec grenache, syrah, mourvèdre et viognier. Le troisième enfin est composé essentiellement de merlot relevé par une touche de petit verdot, cépage secondaire du Bordelais, qui réussit magnifiquement plus au sud.

 » Il n’y a pas de miracle, la biodynamie vous contraint a mieux connaître votre sol, vos vignes, nos raisins et à mieux les traiter, explique Jan Theys. Pour vous donner un exemple, on considère qu’un viticulteur classique passe 12 ou 13 fois dans ses vignes. Nous leur appliquons une trentaine de façons culturales. Forcément nous les connaissons mieux. Le résultat est que nous exprimons davantage le terroir. Une étude néerlandaise a en effet démontré qu’une vigne en biodynamie émet trois fois plus de radicelles qu’une autre. Celles-ci vont chercher dans le sol toute sa minéralité, ce qui se retrouve dans la structure aromatique, le caractère des vins.  »

L’avenir confirmera ou non, au fil des millésimes, les choix de Jan Theys. Pour ceux qui ont suivi pas à pas l’émergence de ce nouveau domaine et les efforts de son propriétaire, une seule petite ombre est venue ternir cette très belle histoire, à savoir le rachat, au début de cette année du domaine de Riparbella par Eric Albada Jelgersma, un riche investisseur néerlandais, déjà propriétaire à Margaux du Château Giscours et du Château du Tertre. Mais comme le précise le communiqué officiel, Jan Theys a conservé la gestion du domaine et l’élaboration de ses vins.

Texte et photos : Jean-Pierre Gabriel

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