Loin du cliché de la fermette, plusieurs sociétés de construction de maisons usinées misent désormais sur l’architecture contemporaine pour séduire de nouveaux clients et enrichir leur offre.

Elle s’appelle la Furniture House, la maison-meuble en français. Et pour cause, c’est le mobilier qui sert de structure portante à ce prototype préfabriqué, développé pour le géant japonais Muji par… Shigeru Ban, l’architecte nippon qui a reçu, cette année, le prestigieux Pritzker Prize, souvent comparé à un Nobel de la discipline. Le créateur s’était rendu compte, lors du tremblement de terre de Kobe, en 1995, que les armoires pouvaient avoir une force phénoménale. Certaines, en tombant, avaient tué des gens, d’autres avaient servi de refuges de fortune aux plus chanceux. Le concepteur avait gardé cette observation dans un coin de sa tête pour, un jour, la mettre en pratique. C’est désormais chose faite, même si aucune date n’est fixée pour la commercialisation de ce  » produit « .

Mais Shigeru Ban n’est pas le seul architecte star à avoir planché sur cette problématique du logement préfab’. Avant lui, Frank Gehry, connu notamment pour son musée Guggenheim de Bilbao, avait lui aussi mis au point un modèle pour le groupe allemand WeberHaus. Quant à Daniel Libeskind, à qui l’on doit le Musée juif de Berlin, il s’est fendu en 2009, d’une très exclusive villa manufacturée, en édition limitée – l’Américain n’excluant pas d’en livrer d’autres,  » au cas par cas « . A ceux qui trouveraient étrange qu’un maître de l’art de bâtir de son envergure s’attaque à ce qui n’est, ni plus ni moins, qu’un objet de consommation, il rétorque qu’il est toujours  » en quête de nouvelles idées à creuser dans le champ de l’architecture  » et qu’il a dessiné cette demeure  » comme une oeuvre d’art globale « …

FAIRE PLUS AVEC MOINS

Dans le sillage de ces grands qui, pour mettre un peu de piment à leur pratique, tentent l’expérience de la fabrication en série, nombreux sont les constructeurs à quitter les sentiers battus de la traditionnelle bicoque champêtre pour explorer d’autres genres, plus contemporains, mais aussi plus soucieux de l’environnement, afin de répondre à une demande croissante d’habitations modernes mais standardisées, dans un souci d’économie. Ainsi, l’un des leaders européens de la construction durable en bois, Riko, a créé le programme P.A.T.H., en collaboration avec le designer Philippe Starck. Le résultat : un catalogue d’une trentaine de pavillons écologiques au design épuré, conçus avec des matériaux tels que le métal, le bois et le verre.  » L’idée est de réagir aux stéréotypes du marché en apportant une solution innovante pour vivre plus agréablement que par le passé « , explique-t-on au sein du groupe, qui a érigé un premier logement non loin de Paris et s’apprête à conquérir l’Europe.

Plus près de chez nous, l’entreprise belge Naturhome, qui réalise des immeubles sur mesure en bois depuis quarante ans, vient de lancer Ncube,  » un concept révolutionnaire de maisons modulaires, unifamiliales, en bois et de standing, le tout pour un budget maîtrisé, donc plus accessible « . Le point fort de ce système est le configurateur en ligne : les futurs habitants conçoivent leur home sweet home sur ordinateur, en assemblant les modules selon  » des milliers de combinaisons possibles « , reçoivent immédiatement une estimation, les plans étant ensuite validés et adaptés, pour respecter les contraintes structurelles et urbanistiques, par un architecte de leur choix – ce dernier devant toutefois suivre une formation de quelques heures au sein de l’entreprise.  » Les candidats bâtisseurs sont confrontés à des normes toujours plus strictes en matière d’isolation et d’étanchéité à l’air, qui grèvent fortement leur budget, explique Olivier Louis, directeur général-adjoint de Natur- home. Aujourd’hui, il faut pouvoir faire plus, avec moins… C’est pourquoi nous proposons une maison passive ou très basse énergie, richement équipée, mais pour un prix accessible.  » Ce qui est plus facile lorsque le produit est standardisé, puisque le processus de fabrication bénéficie alors d’économies d’échelle. Natur-home s’engage ainsi à diminuer de 20 à 25 %le coût d’une habitation unifamiliale en bois haut de gamme. De quoi permettre à davantage de clients de bénéficier d’un logement de qualité sans être obligés de se rabattre sur l’une de ces fermettes carton-pâte promues par moult entreprises clé-sur-porte…

UN AUTRE DÉBAT

Mais dans le camp des architectes, les avis restent relativement mitigés face au développement de projets tels que Ncube ou P.A.T.H. Certes, ils upgradent clairement le secteur du préfabriqué de série, qui en avait bien besoin, mais cela reste justement… du préfabriqué.  » Les réglementations urbanistiques sont tellement contraignantes dans nos régions que le concept de préfabrication ne tient pas la route, attaque le Liégeois François-Xavier Martiat, du bureau Martiat+Durnez. Il faudrait trouver une volumétrie qui reste harmonieuse et cohérente en passant d’un toit plat à un toit à deux pans, d’un volume d’un à deux niveaux, qui permette de s’adapter au relief existant… Il faudrait énormément de talent et de compétence pour pouvoir proposer une base qui puisse rester juste en toute circonstance.  » Et de rappeler que ces projets pensés sans ancrage local et fabriqués à la chaîne sont en réalité  » des produits de consommation développés par des entreprises désireuses d’élargir leur offre et donc augmenter leur chiffre. Il n’y a aucune dimension humaine ni réflexion sur la manière d’habiter. Ce n’est donc pas de l’architecture. Utiliser Starck comme signature est une bonne idée marketing. Un choix plus douteux pour la qualité de l’écriture architecturale, pour autant qu’elle existe.  » Un jugement sévère mais qui rappelle le rôle que joue l’architecte indépendant dans la création d’une maison, celui de conseiller pour répondre aux envies et besoins du futur habitant mais aussi d’expert capable de réfléchir à l’inscription d’un bâtiment dans un site, tant au niveau de son histoire que des formes, des matériaux, etc.

La plupart des réticents à la préfabrication dans le domaine de l’habitat ne fustigent pas le marché dans son ensemble.  » En soi, ce n’est pas une menace, ni une alternative qualitative en matière d’architecture. Tout dépend de l’usage que l’on en fait, observe Olivier Bourez de l’atelier montois Matador. C’est probablement une alternative économique. Nous pensons que la valeur du projet n’est pas liée à une technologie particulière mais bien à la manière dont l’architecte en use.  » Et François-Xavier Martiat de compléter,  » la préfabrication upgradée est une très bonne idée pour des programmes spécifiques autres que le logement unifamilial. Pour les kots d’étudiants, les abris temporaires, les locaux scolaires, les bureaux, etc.  » Ce qu’ont bien compris ses confrères madrilènes de l’atelier Abaton, qui ont imaginé le module habitable en bois APH80, prévu comme résidence secondaire et livré dans le monde entier…

Par ailleurs, il faut aussi distinguer la préfabrication en série, sur laquelle tous ces projets s’appuient, de la fabrication en atelier, mais sur mesure, à l’image de la maison en acier, conçue en usine et que l’architecte liégeois Pierre Hebbelinck fit monter, il y a quelques années, en une nuit, à Comblain-au-Pont…

De quoi laisser supposer qu’à l’avenir, le secteur du préfabriqué et l’architecture continueront de cohabiter… pour le meilleur, et parfois le pire.

www.starckwithriko.com

www.naturhome.be

www.abaton.es

PAR FANNY BOUVRY

 » L’idée est de réagir aux stéréotypes du marché.  »

 » La valeur du projet n’est pas liée à une technologie mais à la manière dont l’architecte en use.  »

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