L’architecte belge Glenn Sestig s’est glissé dans la peau d’un esthète épris de mode pour concevoir, à Paris, cet espace hypercontemporain qui n’a vécu qu’une seule semaine… Le temps d’accueillir le défilé hiver 04-05 de Y3, la ligne fashion que Yohji Yamamoto dessine pour Adidas.

Paris, rue de Grenelle, premier lundi de mars. La semaine de la mode, qui verra la présentation des collections de prêt-à-porter hiver 04-05, commence. Ce soir-là, Yohji Yamamoto reçoit… dans l’appartement d’un ami imaginaire. La nuit tombe, le feu ouvert est allumé, le décor est planté et chacun retient son souffle. Le spectacle offert est éblouissant d’audace et de créativité.

L’idée ? Se glisser dans la peau d’un esthète excentrique, un propriétaire chic et hype qui aime la ville, la fête, la mode… Le challenge ? Aménager, en quinze jours, pas davantage, un espace hypercontemporain dans un appartement bourgeois de 300 m2, au c£ur de Paris. Le but ? Créer de toutes pièces un décor ultrabranché pour dévoiler la collection hiver 04-05 de Y3, la ligne fashion que Yamamoto dessine pour Adidas. Défi relevé avec brio par l’architecte gantois Glenn Sestig et son partenaire le peintre Bvardk.

L’entrée cochère passée, une cage d’escalier latérale conduit les invités au niveau de l’entresol. Là, le contraste entre l’extérieur  » grand bourgeois  » et l’intérieur hyperbranché prend tout son effet. La porte s’ouvre sur le canapé laqué  » Elle et Moi  » dessiné par Sestig pour Apart. Une immense  » Victoire de Samothrace  » s’envole jusqu’au plafond. Le ton est donné, mêlant classe et grandiloquence. Sestig et Bvardk connaissent bien le monde de la mode que Yamamoto a conçu et développé pour Adidas. Ils ont déjà mis en architecture deux défilés Y3, dont celui du lancement de cette ligne alliant sport et fashion.  » A chaque occasion, nous avons obtenu les budgets pour réaliser des choses spectaculaires, explique Sestig. La première fois, nous avons utilisé un réseau de tapis roulants sur lesquels les mannequins circulaient en se croisant. Pour la deuxième édition, sur le thème de l’olympisme, les mannequins sortaient de cinq immenses tubes représentant les anneaux.  » Ces deux projets ont été menés main dans la main avec la société de production belge Villa Eugénie, une maison spécialisée dans les événements phares de la mode, créée par le Belge Etienne Russo. Depuis ses débuts avec Dries Van Noten, celui-ci a gravi un à un les échelons de la reconnaissance ; dans son CV, il peut aujourd’hui aligner d’autres références toutes aussi séduisantes que Chanel, Sonia Rykiel, Hermès ou encore Martin Margiella.

Pour la présentation de sa collection 04-05, la marque allemande souhaitait proposer à Yamamoto une alternative au défilé classique. C’est ainsi que germe le projet d’aménager un appartement qui doit, semaine de la mode oblige, se situer à Paris.  » La décision finale est tombée très tard, poursuit Sestig. Nous avions déjà planché sur le sujet. Mais il fallait encore choisir l’endroit. C’est alors que cet appartement du XVIIe arrondissement a pu être loué.  »

Sans plus attendre, il faut se livrer au relevé des mesures. L’architecte a déjà pris l’option d’habiller une grande partie des murs de miroirs ou de verre teinté dans la masse. Il faut aussi pouvoir estimer la place disponible pour le mobilier, sans compter les éléments qui doivent être dessinés et réalisés sur mesure.  » Nous avons toujours en tête une sorte de bibliothèque de mobiliers, embraye Bvardk. Des choses que nous rêvons de pouvoir installer. ô La Victoire de Samothrace ô, par exemple, je l’avais repérée dans les jardins d’un antiquaire. Nous sommes allés voir la nuit si elle était encore disponible en éclairant les lieux à l’aide des phares de voiture. J’ai fait le tour des boutiques et des galeries d’ameublement que nous aimons en Belgique. Chemin faisant, j’ai acheté ce qui pouvait le mieux convenir au projet, tant en termes de modèles que de couleurs.  »

A chaque pièce, ses couleurs.  » Le hall d’entrée est situé à l’angle du grand L, commente Bvardk. De là partent deux axes qui s’enfoncent dans les pièces via l’enchaînement des portes. Il s’imposait qu’il soit neutre. Comme toutes les réceptions organisées avaient lieu le soir, j’ai opté pour des tons sombres et mats.  » Le premier axe conduit à une salle à manger dont le parquet original contraste avec les murs en verre teinté fuchsia. La table, dessinée par Sestig, prend appui sur des pieds dorés et est entourée de huit fauteuils Jano (Simongavina) : quatre beiges faisant face à quatre noirs. Tout à côté : un salon de lecture, un espace privé que le propriétaire imaginaire a aménagé comme un boudoir. En atteste notamment la chaise longue Vercelloni.  » Ici nous avons concentré une série de mobiliers hétéroclites, qui révèlent une personnalité très marquée, arrêtée sur ses choix « , note Sestig. Il y a en effet, pêle-mêle, un tabouret en bronze Fausto (Simon Gavina), une table basse Byzet (Patricia Pozzi, pour Minotti) et d’autres éléments qui sont chinés chez des antiquaires spécialisés dans le mobilier et les objets du XXe siècle.

De retour au hall d’entrée, le regard est attiré selon l’autre axe. Il se braque alors sur une petite pièce entièrement habillée, du sol au plafond, de verre teinté en bleu turquoise. Poussant l’originalité jusqu’à son extrême, elle est meublée par deux icônes du design italien : le pied noir de Gaetano Pesce (B&B Italia) et la lampe de Mariano Fortuny, le projecteur 1907 (Ecart International). L’endroit, dont le centre est occupé par une console, elle aussi en verre teinté, abrite une salle bourrée d’installations hi-fi.

Le propriétaire imaginaire aime recevoir ses amis, faire la fête. La plus grande pièce de l’appartement leur est ainsi réservée : un salon où du bois flambe dans la cheminée. A nouveau, les choix de mobiliers sont précis : une étagère noire (Kartell), une armoire basse (Ultramobile), une table basse ronde et un paravent (Simon Gavina). Pour les sièges ont été retenus deux vastes canapés Marcel (B&B Italia) et un pouf au diamètre imposant choisi dans la collection Serpentine de Vladimir Kagan. On retrouve également la patte du designer new-yorkais (dont on notera, par ailleurs, que son modèle Omnibus a été sélectionné par Tom Ford pour les 360 boutiques Gucci) dans le dressing avec le lit/pouf du modèle  » Back to Back « . C’est là, enfin, qu’est exposée la nouvelle collection Y3 que tous les invités allaient découvrir ce soir-là….

Texte et photos :Jean-Pierre Gabriel

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