Au royaume du denim, nombreuses sont les marques à se disputer l’étiquette. Radioscopie d’un secteur où toutes les stratégies sont permises, pour voir la vie en bleu.

Flash-back. Le jeudi 10 mai dernier, les célèbres DJ James Murphy et Pedro Winter assurent un set remarqué à l’étage inférieur de l’immense flagship store de Levi’s, qui vient d’ouvrir ses portes sur les Champs-Elysées, à Paris. Les deux stars de la nuit ne se contentent pas de mixer devant 500 invités ; elles présentent également une mini-collection capsule, réalisée pour le compte du jeanneur, histoire de montrer que musique, art et mode font bon ménage. Autour des deux musiciens producteurs ? Près de 650 m2 entièrement consacrés à l’univers du géant américain. On y trouve tout aussi bien son mythique 501, que ses lignes plus actuelles, comme la technique Curve ID, l’écolo Waterless ou la toute récente Commuter, avec toile déperlante, fourche renforcée et revers à bande réfléchissante, qui devrait tout autant plaire aux cyclistes, cible initiale du projet, qu’à tout fan de denim.

Pour la marque à l’étiquette rouge, il s’agit du deuxième plus grand magasin en Europe, après celui de Regent Street, à Londres. Mais ce n’est pas pour une histoire de superficie que le lieu mérite d’être mentionné. Cette inauguration signifie, d’abord et avant tout, le retour du label US sur le devant de la scène, face à bon nombre de concurrents qui ont, eux aussi, investi le secteur du jeans.

Depuis l’époque où Levi Strauss a décidé d’habiller les chercheurs d’or du Far West avec une toile de bâche originaire… de Nîmes, les choses ont en effet bien changé. À côté des noms historiques (Levi’s, mais aussi Lee, Wrangler, Tommy Hilfiger ou Calvin Klein), concourent désormais de pure players, spécialisés dans le denim premium. Seven For All Mankind, Diesel, G-Star, Citizen of Humanity ou Notify, pour ne citer qu’eux, offrent des pièces qui dépassent (largement) la centaine d’euros, mais séduisent tout aussi bien la célébrité en quête de paparazzis que le quidam.

À titre d’exemple, Pepe Jeans connaît une progression à deux chiffres depuis deux ans, avec 350 millions de chiffre d’affaires global. La griffe ne veut pas s’arrêter là et entend développer davantage sa gamme d’accessoires, avec une division spécifique dédiée aux sacs, chèches et chapeaux. À l’instar de nombreuses autres initiatives  » green  » déjà orchestrées depuis quelques saisons par la planète bleue, elle a également mis sur le marché, cet été, sa ligne Trublu, qui utilise le laser pour un délavage sans eau et sans produits chimiques. De quoi contenter son c£ur de cible, les 20 à 30 ans, sensibles à ces questions d’environnement. Enfin, la marque a initié une collection Heritage,  » qui reprend des pièces iconiques, pour créer un nouveau look inspiré du passé et des maîtres incontestés du style, comme Steve McQueen, dans les années 60 « , détaille Trevor Harrison, à la tête de l’équipe créative en charge du denim. Ou comment donner l’illusion que le jeanneur existait bel bien avant 1973, année de son lancement, à Londres…

5 POCHES 5-ÉTOILES

Autres rivaux des labels précurseurs : le prêt-à-porter, qui s’immisce également de plus en plus dans le jeanswear. Nombreuses sont en effet les maisons de luxe à apporter une vision couture à ce basique universel. Résultat, on ne s’étonne même plus de trouver un cinq poches signé Balmain, strassé, usé jusqu’à la corde et vendu près de… 1 000 euros. À noter que pour faire la promotion de ses pièces en toile, Ralph Lauren a même conçu une ligne parallèle, baptisée Denim & Supply Ralph Lauren. Pour sa collection automne-hiver 12-13, elle s’est d’ailleurs assuré les services d’Avicci, afin qu’il incarne le visage de sa nouvelle campagne de pub. À nouveau, un célèbre DJ et producteur de musique électro, tiens tiens…

Les enseignes de la fast fashion et de la distribution ne sont pas non plus en reste. Chez elles, le positionnement est complètement différent. Véritables alternatives aux leaders du marché, elles n’ont pas peur de casser les prix, en proposant des pantalons à moins de 20 euros. Et, sur le même principe que le prêt-à-porter, elles n’hésitent pas à sortir fréquemment des nouveautés, pour coller au plus près aux dernières tendances.

À côté des H&M, Zara et autres, des marques issues de secteurs périphériques viennent aussi frapper à la porte du royaume denim. Adidas en est l’archétype même. Le n°2 mondial du sport a créé sa première ligne de jeans au printemps 2008, en partenariat avec Diesel. En quelques saisons, cette ligne a su trouver sa place, à tel point que depuis l’été 2011, Adidas développe lui-même ses propres jeans, dont les ventes ont été multipliées par 3,5 en trois ans. Geox, la griffe de chaussures qui respirent, a aussi eu la même idée : elle propose, cet hiver, six modèles de jeans Stretch – trois masculins, trois féminins -, fabriqués en Turquie avec l’aide du denimier Isko.

Enfin, une multitude de petits acteurs font aussi leur apparition. Contrairement aux labels californiens qui ont vu le jour au début des années 2000, avant de disparaître tout aussi rapidement, ces derniers espèrent durer, pour grappiller quelques parts de marché dans le business de la toile indigo… C’est par exemple le cas de Cub, marque française créée par deux anciens de Lee Cooper, qui s’adresse aux hommes corpulents et de grande taille. Il y a aussi NU et son denim indémodable mis au point dans des matières biologiques. Ou encore astrid jane, une toute jeune griffe belge fondée par Bart Van de Woestyne. L’homme a débuté sa carrière il y a plus de vingt ans chez Andres SA, où il a développé Hampton Bays. Il s’est ensuite spécialisé dans le jeans, en travaillant dix ans aux États-Unis pour le compte du producteur Uco, principal fournisseur des marques de denim consacrées. Autant d’expériences qui lui ont donné des idées :  » J’avais envie d’un produit qui soit de niche, mais pas seulement à cause de son prix ou de sa renommée. Il fallait qu’il soit parfait ! Les technologies en matière de fibres hybrides ont fait leur apparition et permettent d’offrir de meilleures coupes et des finitions impeccables, réalisées à la main. Nous travaillons à partir de cotons italiens et japonais, qui procurent un confort inégalé. Le tout est produit, en Italie. « 

En trois saisons d’existence, astrid jane a déjà multiplié par quatre son nombre de clients, en Belgique et à l’étranger.  » C’est vrai que le marché est concurrentiel, mais il connaît, depuis ces deux dernières années, une énorme évolution dans le segment luxe et denim premium, se réjouit Bart Van de Woestyne. Par conséquent, de nombreuses griffes ont désormais la possibilité de se démarquer, en apportant un plus. « 

UN SECTEUR MORCELÉ

Le secteur du jeans ne cesse de se morceler, avec les conséquences que cela implique. Les acteurs y sont présents en (sur)nombre, chacun avec ses particularités. Et comme l’avouait le Journal du Textile, en avril dernier, tenter de cerner ce marché est aujourd’hui illusoire… Résultat des courses, pour ces différents protagonistes, il est d’autant plus primordial de sortir du lot. Pour ce faire, chaque marque y va de sa propre tactique. L’enseigne scandinave Filippa K, qui a démarré en 1993 avec une collection de jeans Stretch et de tops en jersey, mise par exemple tout sur le fitting.  » Nous n’avons jamais été, et ne serons jamais, une marque de jeans, précise Nina Bogstedt, head of design. Nous ne proposons pas beaucoup de délavages, mais nous dessinons la meilleure coupe possible. Nos pièces sont urbaines et sophistiquées. Mais elles sont surtout flatteuses et se doivent d’être un plaisir à porter !  »

Afin de rester dans la course, les labels historiques comme Levi’s ne peuvent évidemment pas se contenter de se reposer sur leurs lauriers. Les experts du secteur estiment même qu’ils retrouvent un nouveau souffle et une vraie légitimité, depuis quelques saisons.  » Il est important de se renouveler, détaille Ilse van Alsenoy, responsable du design et du merchandising Femme, pour Levi’s Europe. Notre réflexion comprend trois axes. Tout d’abord, le développement durable, que ce soit dans les matériaux utilisés, dans les boutiques ou dans nos collections. Ensuite, l’authenticité, avec une réappropriation de notre propre passé et de notre savoir-faire. Enfin, l’innovation, à travers les initiatives que nous mettons en place actuellement. « 

De ce point de vue, la conception de la toute récente boutique parisienne a été minutieusement pensée, pour que les clients Levi’s vivent, dans cet espace, une expérience unique. À l’étage, ils peuvent par exemple faire retoucher et customiser leur jeans, dans l’atelier  » tailor shop « . Juste à côté, ils découvrent la ligne Vintage Clothing : des reproductions à l’identique des pièces iconiques de la marque, comme ce fute dont la coupe et les matériaux sont calqués sur ceux de… 1890. Le prix d’un tel exemplaire ? Près de 500 euros, qui ne feront cependant pas fuir les afficionados. Le tout a été aménagé dans une déco qui ne laisse rien au hasard, réalisée à partir de matériaux chinés et émaillée, entre autres, de vieilles affiches de pub issues des archives maison.

Autre exemple de renouvellement ? Le centenaire américain Lee a augmenté de 30 % son chiffre d’affaires en France, en féminisant davantage ses collections. Il met désormais l’accent sur des produits phares – son slim pour Femme à taille haute, sa chemise à carreaux… -, qui collent non seulement aux tendances mais aussi à la demande. La marque, qui a ouvert en avril dernier une boutique à Gand, signe également cet hiver une petite ligne en collaboration avec le belge Kris Van Assche, directeur artistique de Dior Homme. Une association qui ne peut être que valorisante pour l’image de Lee, dont le denim représente toujours 70 % des ventes.

Et le marché ne semble pas près de s’essouffler, si l’on en croit les dernières innovations présentées il y a quelques mois au salon parisien Denim by Première Vision. Dans les saisons à venir, il y a par exemple des chances de voir apparaître un cinq poches aux vertus thérapeutiques. Le denimier hispano-brésilien Tavex imagine ainsi une ligne dont la toile  » imprimée de céramique  » améliorerait la circulation des fluides dans le corps, grâce aux  » infrarouges lointains « . Autre option : un pantalon aux vertus apaisantes, grâce à la présence d’aloé vera. Santanense préfère quant à lui développer un denim protecteur, suffisamment lourd que pour résister à des conditions extrêmes et faire office de retardateur de flammes. Isko, de son côté, surfe sur la vague du shapewear, avec un jean sculptant qui flatte les courbes du corps sans pour autant faire perdre sa forme originale au vêtement. Le roi jeans a encore de beaux jours devant lui…

PAR CATHERINE PLEECK

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