Il est à la fois intime et universel. Bien plus qu’un accessoire de mode, le sac est un phénomène de civilisation. Une expo décrypte ses codes.

Carnet d’adresses en page 114.

Quelques feuilles tressées avec de l’écorce de bouleau, et à l’intérieur du petit bois pour le feu : ainsi naquit, au néolithique, l’ancêtre du sac à dos. Vieille de plus de cinq mille ans, cette besace préhistorique a été dénichée en 1991, près du cadavre congelé de l’homme d’Ötzi, un chasseur momifié dans les glaces des Alpes tyroliennes. Tout autant (ou presque !) que la découverte du feu, l’invention du sac a révolutionné l’histoire de l’humanité. Car, en emportant sa maison sur son dos, l’homme a pu sortir de sa grotte, quitter la sédentarité, explorer le monde.

Jusqu’au 20 février prochain, pour la première fois, une exceptionnelle exposition baptisée  » Le Cas du sac « , organisée, à Paris, au musée de la Mode et du Textile, par l’Union centrale des arts décoratifs (Ucad) et Hermès, retrace l’histoire de ce fidèle compagnon du quotidien, de la préhistoire à nos jours. Présentés dans 28 vitrines, quelque 400 sacs, ethniques, luxueux, fonctionnels ou d’apparat, rappellent l’universalité de cet accessoire trop souvent réduit à la futilité :  » Le sac est un véritable fait de civilisation. On en trouve dans toutes les cultures et à toutes les époques « , explique Olivier Saillard, commissaire de l’exposition et chargé de la programmation du musée de la Mode et du Textile, à l’Ucad. Un fait de civilisation et aussi une formidable caisse de résonance. Car le sac en dit long sur la créativité, les valeurs ou les obsessions d’une époque.

Dès l’Empire romain, cet attribut devient éminemment féminin. A l’époque déjà, ce dernier est le meilleur allié de l’élégance féminine. S’il reste peu de traces de ces baluchons originels, il subsiste, en revanche, de nombreux sacs datant du Moyen Age : fauconnière, sarrasinoise, aumônière, aloière, escharpe, gibecière, escarcelle, tassette… D’abord réservé à l’aristocratie et à la bourgeoisie, le sac se démocratise au XVe siècle.  » A l’époque, il n’existe pas de poches dans les vêtements, qui sont très près du corps, raconte Monique Blanc, conservatrice du département Moyen Age – Renaissance à l’Ucad. Tout le monde porte donc des sacs à la ceinture ou au bout d’une longue cordelette.  » La châtelaine, qui arpente les longs couloirs de sa demeure avec ses effets personnels dans une bourse. L’homme lige du seigneur, qui porte les courriers dans une boîte de messager en bois. Ou l’ecclésiastique enfin, qui transporte les reliques des saints d’église en église…  » Cette profusion est le signe d’une société opulente et riche « , analyse Monique Blanc. Non plus seulement utilitaire mais aussi d’apparat, le sac devient un symbole de reconnaissance sociale. Les bourgeois se distinguent en exhibant des bourses de plus en plus ventrues, pour montrer qu’ils ont de l’argent. Brodée de fils d’or et d’argent, en velours, en damas ou en soie, la bourse s’assortit aux robes et aux pourpoints.

Quasi théâtralisé au Moyen Age, le sac n’en disparaît pas moins au XVIIIe siècle… sous les volutes et les volants des robes bouffantes. Enfoui sous les jupons, il prend la forme d’une poche intérieure en lin, en coton ou en soie, fixée à la taille par un cordon et à laquelle on accède par un système de fentes. Ici, les belles glissent sels, flacons, peignes, poudriers, bijoux, clefs… Pour Olivier Saillard,  » ces tiroirs secrets de l’intime sont les véritables ancêtres du sac moderne, car ils introduisent l’idée du pêle-mêle portatif « .

Ce n’est pourtant pas sans mal que l’objet sort de l’ombre, au Directoire, à la fin du XVIIIe siècle. Lorsque quelques audacieuses, vêtues de robes seyantes et près du corps, osent porter, à la main, ces poches intérieures baptisées  » réticules « . Las ! Les minaudières et midinettes du XIXe siècle, perlées, délicates, froufroutantes, consacrent la stylisation du sac et son entrée dans la mode.

A l’époque, le réticule se teinte aussi d’une certaine légèreté de m£urs, avec des modèles brodés de messages grivois en forme de rébus.  » Dans une société où les dames ne travaillent pas, une femme qui se déplace seule en ville est forcément une fille de joie, explique Farid Chenoune, historien de la mode. Au début du XXe siècle, le sac à main introduit la liberté d’aller et venir et permet de sortir de chez soi sans avoir de comptes à rendre. Entre indépendance et coquetterie, il devient l’emblème de la femme libre.  » Dans les années 1920, l’apparition de la pochette rectangulaire, géométrique et insolente, portée en soirée, montre que la garçonne n’arrondit plus les angles et s’affranchit des codes du féminin pour investir le territoire masculin. Dès lors, il accompagne pas à pas l’émancipation des femmes.

Symbole de richesse et de liberté en Occident, le sac se charge d’une tout autre fonction sur les autres continents. Là, il touche au divin. Au Mexique, aux XIIe et XIIIe siècles, certains Aztèques appelés teomamahqueh en nahuatl, portent leurs dieux sur leur dos, dans des baluchons sacrés en tissu ou en peau de cerf. Mais c’est en Afrique, l’une des plus grandes civilisations du sac, avec ses nombreuses outres, gibecières ou sacoches de chasseurs dogons, que l’on peut admirer les plus beaux exemplaires. Chez les Yoruba, répartis entre le Nigeria, le Bénin et le Togo, les magnifiques sacs ornés de perles et de cauris contiennent le pouvoir de divination du chaman.  » Le sac est alors un sas entre le réel et le spirituel, le monde des dieux et le monde des hommes « , note Farid Chenoune. Dans les sociétés amérindiennes, où l’on trouve des sacs-loutres (de vraies loutres transformées en sacs), la frontière entre l’homme et l’objet s’efface.  » Le sac devient le prolongement du corps du chaman, qui y puise son pouvoir et envoie des flèches invisibles qui paralysent l’ennemi « , ajoute l’historien. Outre de la magie, certains contiennent aussi le pouvoir royal. Ainsi les  » sacs d’Etat  » des rois Bamoum, au Cameroun. A l’instar d’un sceptre, le monarque reçoit un pangu au moment de son intronisation, qu’il transmettra à son successeur avant de mourir. Une tradition qui perdurera jusqu’aux années 1930.

Décorés de perles, de végétaux, de coquillages et de plumes, les sacs exposés, qui viennent des musées du monde entier, du British Museum de Londres au Metropolitan Museum de New York, en passant par les musées ethnologiques de Genève, de Bâle ou de Berlin, révèlent une grande créativité. Aussi riches chez les tribus les plus retirées d’Océanie que chez les créateurs contemporains. Car il existe un art du sac. Depuis le début du siècle, notamment, les créateurs s’en sont donné à c£ur joie. Des sobres pochettes Art déco à l’élégante géométrie, signées Sonia Delaunay ou Jean Fouquet, aux excentriques sacs objets d’Astuguevieille et de Moschino, en forme de cabane en bois, de téléphone ou de bateau, la palette créative est très large. Même les sacs à usage domestique y ont droit. Tandis que Jean Paul Gaultier revisite, en le tissant de perles, le filet à provisions de la ménagère, des artistes détournent le fameux cabas en plastique à motifs vichy rouge ou bleu. Les grandes marques, elles aussi, se sont lancées dans le créneau : Chanel a sorti un sac guitare (1995), Dior, des pochettes dorées ou argentées en forme d’altères (2000). De vrais bijoux de mains, en somme. Mais c’est Christian Lacroix qui a dessiné, en 2002, l’un des plus beaux : un fabuleux sac poisson en perles.

Même dans la rue, la tendance est aujourd’hui à la fantaisie. Selon Danièle Rapoport, psychosociologue et fondatrice du cabinet d’études des modes de vie DRC,  » dans le passé, le sac était l’indicateur du statut social. Désormais, c’est un élément ludique de la garde-robe qui autorise toutes les extravagances au quotidien « . En tout cas, l’objet fascine et n’a pas fini de livrer ses secrets, comme le montre (magnifiquement !) l’exposition du musée de la Mode et du Textile.

Dalila Kerchouche

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content