Il hante les surplus militaires, crée des vêtements upcyclés et sauvera peut-être ainsi l’artisanat anglais. Christopher Raeburn ou l’éthique en battledress.

Les parachutes n’ont pas de secret pour lui, normal, Christopher Raeburn les désosse à tour de bras pour en faire des parkas. Une sacrée vraie idée futuriste, lire développement durable, éco-consommation, upcycling, artisanat et production  » proudly remade in England « . Et il y tient au  » fièrement « , il a même voulu le broder sur les étiquettes de ses vêtements qui peuvent  » contenir des imperfections « , le privilège du fait main. Ainsi sont les jeunes créateurs du XXIe siècle. Grand, blond, casquette vissée sur le crâne, chemise boutonnée jusqu’au cou, superposition de vestes kaki, 27 ans, il colle juste parfaitement à sa collection Homme – désormais également déclinée au féminin, merci Christopher. De son pas élastique, il arpente Haleluja, la nouvelle boutique verte de Sonja Noël, découvreuse de talents, propriétaire de Stijl, rue Dansaert à Bruxelles et présidente de Modo Brussels. Il y a installé en vitrine ses vestes pacifistes et, en guise de décor, des parachutes dansant au gré des courants d’air, avec au sol, des sacs en grosse toile, un joyeux fatras faussement désordonné qui résume si bien sa mode, son engagement, sa vision du monde en battledress réinventé, fait de poncho de camouflage, de veste militaire italienne ou suédoise. Évidemment que tout cela a à voir avec l’époque, mais aussi avec l’histoire. Christopher Raeburn hante les surplus militaires, connaît tous les entrepôts du Royaume-Uni, s’extasie quand il déballe un lot daté 1950 que personne n’avait ouvert avant lui, que tous avaient oublié là. Il n’a pas peur d’être un jour à court, il sait d’expérience que les militaires ont la  » folle  » habitude de produire en masse, toujours trop, à l’image de leurs guerres. Piocher donc dans les stocks improbables de l’armée, s’extasier devant la façon, la fonctionnalité, la qualité de la couture d’avant, s’approprier ces matériaux, ces tissus, ces uniformes d’un autre âge, les découdre pour en créer d’autres, des coupe-vent ultralégers en toile de parachute, des manteaux lourds, des duffle-coats, des bombers avec doublure et imprimé sémaphore, des vestes de pilote en édition limitée. Il n’y a qu’à se pencher un peu et l’on déchiffre sans peine les marques de fabrique, les sceaux tamponnés sur le tissu, à la hussarde –  » 1949 Pattern 25 size 13 « , irréfutable traçabilité de ces matières premières détournées.

Avec lui, les cycles de la mode en prennent un coup. D’autant qu’il use d’un vocabulaire particulier : innovation, contemporanéité, déconstruction, reconstruction. Au final ? Des vêtements  » beautifully crafted, ethically intelligent « . Avec un sens du détail et de l’humour remarquable, il n’est pas british pour rien. Plus précisément, Christopher Raeburn est originaire du Kent,  » c’est dire si je suis anglais « . Et désormais londonien, depuis 2001, date de son inscription en bonne et due forme au Royal College of Art, sur les traces de son frère Graeme, qui s’y est frotté trois ans plus tôt et avec qui il bosse aujourd’hui. Très vite, dès sa deuxième année d’études, Christopher se réapproprie les vêtements militaires, fait une apparition remarquée en 2006 dans une émission de télé réalité animée par Liz Hurley, Catwalk Project – à l’époque, il avait encore les cheveux longs, était le favori mais fut éjecté lors de l’avant-dernière épreuve, les mystères insondables des reality-shows. L’envie d’en découdre est pourtant toujours bien là. Il s’installe alors dans une vieille usine de cacahuètes à l’est de la mégalopole, y rassemble sa tribu, les  » busy days « , 15 jeunes gens dans le vent, dont un Turc, un Estonien, un Canadien, un Australien,  » un vrai mix « , qui travaillent aujourd’hui à ses côtés sur une troisième collection, un printemps-été 2011 déjà acheté par les grands magasins Liberty et Barneys, notamment. Christopher ne la ramène pas, mais il en est fier. Pareil pour cette photo de l’un de ses parkas porté par l’actrice Blake Lively prise par Mario Testino et parue dans le Vogue US, le buzz. Et soudain, on dirait un gamin sautillant qui aurait décidé qu’on ne lui rognerait jamais les ailes.

Carnet d’adresses en page 62.

ANNE-FRANÇOISE MOYSON

Beautifully crafted, ethically intelligent.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content