Les plages, les villages et les bocages normands ont beaucoup à raconter. Ça tombe bien : les enfants adorent les histoires. Même quand il y a des fantômes dedans. Et quand il faut les écouter sous la pluie, dans une région du Calvados au ciel lunatique.

Un long week-end, avec ce petit jour férié qui fait toute la différence. Le moment parfait pour filer voir cette Normandie dont les journaux parlent tant ces derniers mois. Un débarquement qui fête ses 70 ans. Une enfant qui n’a même pas 9 ans et qui, sa valise prête, n’est pas contre l’idée de passer six heures à l’arrière d’une voiture pour mieux comprendre en quoi ce  » débarquement  » semble si important. Surtout qu’apparemment, il est aussi question de plages, une perspective déjà beaucoup plus sympathique.  » Tu verras : elles sont plus jolies et plus grandes que chez nous. Puis, on n’y a pas construit d’affreux buildings.  » Une promesse vérifiée dès l’arrivée en terre normande : le long de la côte, seules quelques villas en front de mer ponctuent le décor. Le reste est occupé par les dunes, les falaises et ces chemins de promenade qu’affrontent les touristes épris de tranquillité. Bien sûr, de nombreuses petites stations balnéaires sont disséminées dans les recoins de ce vaste littoral. Mais à l’instar des plus prisées d’entre elles, comme Deauville, Cabourg ou Ouistreham, elles n’ont nullement l’intention de rivaliser avec leurs lointaines cousines méditerranéennes. Ici, les plages, immenses, ont la belle vie…

LES PLAGES DU SOUVENIR

Sur la côte nord-est du Cotentin, Utah Beach portait autrefois le nom de  » plage de la Madeleine « . Une appellation que plus personne n’utilise : depuis qu’elle a vu débarquer les Alliés, Utah porte à tout jamais son nom de guerre. Le 6 juin 1944, à 6 h 30 du matin, juste après la marée basse, les premiers soldats américains y acheminaient leurs chars amphibies pour y entamer la plus grande opération militaire de tous les temps. Nom de l’opération : Overlord, également baptisé D-Day.  » En français, on dit le Jour J, explique-t-on à la petite. D’ailleurs, on dit aussi l’Heure H. Ce sont des expressions qui font aujourd’hui partie du langage courant, mais elles viennent de là : des codes employés par les soldats pour dissimuler aux ennemis le moment de leur attaque.  » Septante ans plus tard, le lieu a conservé une étrange atmosphère. Au pied du musée qui surplombe l’horizon, s’étend le sable. Derrière, on aperçoit les bruyères et les landes, qui gardent la mer. Inévitablement, on se laisse absorber par le respect de rigueur, comme si ces endroits-là n’avaient pas vraiment droit à l’oubli. La plupart des gens qui se baladent parlent anglais. Beaucoup ont traversé la Manche, certains ont franchi l’Atlantique.  » Des milliers de soldats sont venus en Normandie. Beaucoup d’Américains, de Britanniques et de Canadiens. Mais aussi des Norvégiens, des Néerlandais, des Polonais… et même des Belges ! On l’oublie parfois, mais 2 200 soldats de notre pays sont venus aider les Alliés.  »

Un détour s’impose par Sainte-Mère-Eglise. Les fontaines et les manoirs de cette bourgade entourée de marais possèdent un charme délicieusement rural. Mais c’est évidemment le clocher de son église gothique qui attire les regards : un parachutiste y est suspendu, rappelant la nuit qui a vu pleuvoir des soldats américains par dizaines. Le dénommé John Steele est resté accroché sur le toit de l’édifice pendant deux heures, en faisant semblant d’être mort pour éviter qu’on lui tire dessus.  » Oui, il s’en est sorti. Un soldat allemand l’a décroché, il a été fait prisonnier, puis il s’est évadé et il est parti se soigner en Angleterre avant de revenir participer à la Libération. C’est grâce au film Le jour le plus long que son histoire est devenue célèbre : on le voit pendant seulement deux minutes, mais ça a fait de lui un héros.  » Sainte-Mère-Eglise fut l’un des premiers villages libérés en juin 1944. Tout comme Sainte-Marie-du-Mont, à une dizaine de kilomètres de là, où la Crêperie Montoise ne désemplit pas et offre à ses visiteurs des délices sucrés-salés qui méritent une pause. Aucun enfant n’oppose de résistance. Aucun adulte non plus, d’ailleurs…

LE VRAI SOLDAT RYAN

L’arrivée dans le Calvados, un cran plus à l’est, modifie à peine le paysage. La côte se fait néanmoins plus haute, imposant ses reliefs escarpés à des falaises majestueuses. La célèbre Pointe du Hoc est sans conteste l’une des plus belles parties du tableau. Une plaine recouverte d’herbes sauvages qui camouflent à peine les bunkers et les gigantesques cratères formés jadis par les obus. Un pan impressionnant du Mur de l’Atlantique, situé à 30 mètres au-dessus de l’eau.  » Les soldats venus de la mer ont dû escalader la falaise avec des cordes, poursuit-on à l’attention de la jeunesse. Ils avaient même des échelles empruntées aux pompiers de la ville de Londres, située de l’autre côté de la Manche.  » Etape suivante de l’excursion, quelques kilomètres plus loin : Omaha Beach, langue de sable de 6 kilomètres qui fut le théâtre de l’assaut le plus meurtrier du Débarquement. Surnommée  » Omaha la Sanglante « , elle a volé les vies de plus de 1 000 Américains en une seule nuit, inspirant la terrifiante scène d’ouverture du film Il faut sauver le soldat Ryan. Il faut se rendre au cimetière de Colleville-sur-Mer, juste au-dessus de la plage, pour comprendre la suite de l’histoire. Des milliers de croix en marbre blanc y sommeillent, formant des allées de stèles qui procurent inévitablement des frissons. Y reposent notamment : deux des enfants du président américain de l’époque, Theodore Roosevelt, mais aussi deux des quatre frères Niland qui ont écrit, sans le savoir, le scénario de Steven Spielberg…

Toujours plus à l’est, Gold, Juno et Sword complètent la route de ces plages que l’Histoire a transformées en lieux de mémoire. Sur chacune d’elles, règne une atmosphère forcément particulière, que la météo normande peut parfois rendre encore plus émouvante ou plus étrange. En passant par Arromanches, des nuages aux humeurs maussades offrent ainsi une image flottante du fameux  » port artificiel  » construit au lendemain de l’assaut pour faciliter l’acheminement du matériel allié. A ne pas manquer : sur les hauteurs du village, le cinéma circulaire projetant un petit film (environ 15 minutes) qui résume le Débarquement et la Libération à coups d’images sans dialogue qui laissent sans voix. Une immersion à 360° que l’on doit à Isabelle Clarke et Daniel Costelle, auteurs de la passionnante série documentaire Apocalypse, qui a fait le tour du monde.  » Oui, ce sont uniquement des vraies images, filmées par des gens de tous les pays qui ont connu cette guerre.  » Après la projection, pendant que les questions pleuvent sur la manière dont tout cela s’est terminé, vient le moment de songer à la suite de l’itinéraire. Le sable, humide, n’est pas la meilleure option ce jour-là. Les escapades vers Bayeux (et sa célèbre Tapisserie) ou Caen (dont le Mémorial offre un panorama saisissant du conflit mondial) sont envisageables. Mais quand soudainement, sur un panneau routier, s’invite le mot Honfleur, on pense à la chanson d’un certain Jacques Brel :  » T’as voulu voir Honfleur et on a vu Honfleur…  »

AU-DELÀ DU SABLE

Si le littoral et ses histoires laissent dans les yeux des souvenirs troublants, la Basse-Normandie met un point d’honneur à léguer des visages aussi variés que charmants à ses hôtes. Des petites routes qui traversent des hameaux paisibles. Les décors verdoyants des bocages, dont les vastes prairies abritent des ballots de paille et des vaches par milliers qui ressemblent comme deux gouttes d’eau à ces cartes postales envoyées aux grands-parents. Des habitants qui, devant leurs maisons, affichent fromages et cidres sur des pancartes auxquelles il est conseillé d’accorder une absolue confiance pour se régaler. Quelques trésors, aussi, comme cette parenthèse enchantée nommée Beuvron-en-Auge, sur la route d’Honfleur, qui figure sur la liste très convoitée des plus beaux villages de France. Des maisons à colombages, typiques de l’architecture normande, y sont ornées d’enseignes d’un autre temps, tandis que les géraniums donnent de jolies couleurs aux ruelles pavées. La teurgoule, dessert à base de riz au lait parfumé de cannelle, s’y déguste entre deux photos ou trois pommiers. Moins de cinquante kilomètres plus tard, se déploie Honfleur, cité maritime qui a notamment inspiré Claude Monet ou Gustave Courbet. Une ville où il fait bon vivre et flâner, en quête des façades en pierres, des portes en bois, des greniers à sel ou des faubourgs piétonniers. Les touristes aiment s’agglutiner autour du Vieux Bassin et ses terrasses avec vue sur le port. Les plus curieux iront vagabonder du côté de l’église Sainte-Catherine qui, derrière, cache un paisible quartier dédié aux boutiques d’artisans.  » C’est l’une des rares villes de la côte normande qui n’a subi aucune destruction pendant la guerre. Et tu sais quoi ? Elle a été libérée par l’armée belge… « 

PAR NICOLAS BALMET

Un pan impressionnant du Mur de l’Atlantique, situé à 30 mètres au-dessus de l’eau.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content