A 34 ans, Stijn Helsen a déjà derrière lui une belle carrière dans la mode… et le cinéma. Il ne compte cependant pas en rester là. Comme le sphinx qui lui sert d’emblème, l’apôtre du  » funky chic  » voit grand. 900 m2 exactement, la taille de sa nouvelle boutique… Portrait d’un franc-tireur récidiviste.

Il pleut sur Hasselt. En ce début de matinée, la ville somnole encore. Seules quelques ombres furtives slaloment entre les gouttes. D’un bon pas, nous remontons la très commerçante Kapelstraat. De part et d’autre, les vitrines opulentes se succèdent, trahissant un niveau de vie confortable. Plus que quelques mètres et nous voilà devant l’une des trois boutiques Stijn Helsen de la  » capitale  » limbourgeoise. Nous poussons la porte et tombons nez à nez sur un jeune homme blond au physique de surfeur californien mais vêtu comme un milord anglais.

Pas de doute, c’est lui. Cette élégance mâtinée de fantaisie… Typiquement le style  » funky chic  » cher à Stijn Helsen. Il en a même fait sa marque de fabrique, déclinée en sur-mesure ou en prêt-à-porter haut de gamme (tissus de première qualité, fabrication en Italie, etc.). Non sans succès d’ailleurs. Il y a quelques années, Elton John craquait pour l’un de ses costumes dans une boutique de luxe de Saville Road à Londres. Plus récemment, c’était au tour de la pop star Robbie Williams et de l’acteur philosophe Jean-Claude Van Damme de lui passer commande. On verra même l’ex-boys band de Take That sur un plateau de télévision britannique dans un complet-veston griffé  » SH « …

Beaucoup de pub pour le sphinx d’Hasselt (référence à son logo, inspiré d’une sculpture reçue en cadeau de son père). Mais on ne peut s’empêcher de s’étonner de voir des célébrités riches à millions faire la queue chez un  » petit  » tailleur du fin fond du Limbourg.  » Ces gens peuvent tout se permettre, commente-t-il dans un français presque parfait. Du coup, ce qui les intéresse, ce sont des vêtements faits sur mesure pour eux, ce qu’ils ne trouvent pas forcément là où ils vivent. Quand vous allez à Paris ou Londres, vous tombez toujours sur les mêmes enseignes et les mêmes étalages. En achetant chez moi, ils ont l’impression d’avoir fait une découverte et de se démarquer des autres.  »

Des racines et des ailes

Les  » exploits  » de Stijn Helsen ne s’arrêtent pas à ce tableau de chasse étoilé. Depuis quelques semaines, les nouvelles, d’importance variable, se succèdent à son propos. On apprend ici qu’il a habillé les cyclistes belges, là qu’il a été choisi pour dessiner la deuxième ligne Mugler Men de la prestigieuse maison parisienne, là encore qu’il ouvrira en août prochain une nouvelle boutique multimarques de 900 m2 dont il dessinera certains meubles… Non à Anvers, Bruxelles ou Paris, mais bien dans son fief d’Hasselt. Plus tard dans la journée, il nous fera visiter l’imposant chantier situé un peu plus haut dans l’artère commerçante. Toute la ville en parle déjà…

Contrairement à beaucoup d’autres, Stijn Helsen n’est pas pressé d’aller s’installer à Anvers ou à Bruxelles. Par attachement à Hasselt autant que pour éviter d’entrer dans le moule. Ce qui ne l’empêche pas d’apprécier la capitale. Il y a d’ailleurs acheté récemment un appartement rue du Midi et il n’est pas rare de le croiser du côté de la rue Haute.  » Au Sablon et au Marché aux puces, tout le monde me connaît « , lâche-t-il dans un grand éclat de rire. Le styliste ne fait pas mystère de son goût pour l’art. Sous toutes ses formes. Il peut trouver dans un vieux film le fil rouge d’une collection comme il peut faire une folie pour un vase. De préférence Art déco, sa période préférée.  » Je ne regrette jamais mes décisions, même impulsives « , tient-il à préciser. L’air de rien, derrière des dehors de jeune loup bien introduit vibre une âme créative. Qui trouve un exutoire notamment dans la peinture.

Sans quitter la ville où il a grandi et où il gère avec ses deux frères et sa s£ur les trois enseignes familiales, le créateur fait donc son chemin. Dans un style bien à lui. C’est-à-dire en marge des circuits établis. Il mène de front des projets ponctuels aux quatre coins du monde et ses propres collections Homme et Femme au départ… d’Hasselt. On les trouve d’ailleurs pour l’essentiel dans les magasins familiaux, plus dans quelques points de vente triés sur le volet de par le monde. Ses best-sellers ? Les costumes unis et les traits de craie.

Vocation précoce

Décidément, Stijn Helsen est un cas à part dans le paysage de la mode belge. Déjà, il ne sort ni de la Cambre, ni de l’Académie d’Anvers. Son style tranche d’ailleurs avec la rigueur et le dépouillement des grands formats de la mode made in Belgium. Petit-fils et fils de tailleur, il baigne dans un océan de tissu depuis sa plus tendre enfance.  » Je coupais mes pantalons moi-même à l’atelier pour sortir le soir « , se souvient-il. Adolescent, il ira faire ses classes à Liège chez Léon Mignon et puis à Milan à l’institut Marangoni. Une période heureuse de sa vie.  » J’adorais passer de Hasselt à Milan en quelques heures « , confie-t-il. Aussi à l’aise avec l’esprit de province (la proximité est la clé du succès de l’entreprise familiale) qu’avec la culture cosmopolite.

Très vite, un physique avantageux – il est le meilleur ambassadeur de sa marque – et une sociabilité naturelle vont lui ouvrir des portes. Celles de Valentino après celles de la grande Vivienne Westwood.  » Elle utilise des matières très classiques et les détourne pour en faire des pièces d’avant-garde, lance-t-il. Une démarche punk qui est aussi la mienne quand je dessine un costume à carreaux. Simplement, elle est plus folle que moi !  »

Cette filiation inattendue résume bien le personnage. D’un côté, les pieds dans la tradition, de l’autre, le regard tourné vers le monde. Ce savant mélange de pragmatisme (sens des affaires, connaissance du métier) et de liberté (audace, refus des étiquettes) va le conduire loin. Jusqu’à Hollywood.  » Je voulais depuis longtemps travailler sur un film, raconte-t-il en sirotant un soda. Mon agent a fini par me mettre en contact avec des studios américains. On m’a fait une proposition et je suis parti travailler pendant deux ans à Los Angeles.  » Pas pour faire de la figuration. A son tableau de chasse, on trouve notamment le costume de Spiderman, la casaque de Tobey Maguire dans le magnifique  » Seabiscuit  » (2003) ou encore les déguisements plus vrais que nature des  » Pirates des Caraïbes  » (2003). Il n’était pas tout seul certes, mais son know-how et ses contacts avec les artisans européens lui ont permis de jouer les premiers rôles au sein des  » costume houses « .

Faute de goût

Dès lors, pourquoi ne pas être resté là-bas ?  » Les Etats-Unis ne m’attirent pas plus que ça, réplique-t-il. Je suis européen dans l’âme. A Los Angeles, hormis le Paul Getty, il n’y a pas de musées. Et puis, l’absence d’élégance des gens me pesait. Les Américains ne savent pas s’habiller. Ils sont toujours en jeans et tee-shirt. Quand j’arrivais au bureau le matin, on croyait que j’étais le patron de la boîte parce que je portais un costume…  » Retour au bercail donc pour son projet pharaonique : un flagshipstore de 900 m2. Et après ? On pourrait le revoir à Hollywood pour un nouveau défi. Mais chut, il est trop tôt pour en parler.

Dandy décomplexé, Stijn Helsen est à l’image de ses vêtements : classique mais pas insipide, séducteur mais pas vulgaire. Le raffinement n’est pas feint. Sa sincérité fait mouche. Fidèle au passé, l’homme est ancré dans le présent. Et c’est sans doute pourquoi il trouvera sa place dans le futur…

Dernière question, pour la route :  » Qui rêverait-il d’habiller à présent ?  »  » Nicole Kidman, répond-il du tac au tac. Parce qu’elle a su évoluer en restant simple et en gardant la tête sur les épaules.  » C’est tout le mal qu’on souhaite également au sphinx d’Hasselt…

Laurent Raphaël

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