Barbara Witkowska Journaliste

Elle aime le mariage du classique et du contemporain. Avril Gau dessine des chaussures superbement architecturées, chics et intemporelles. Zoom sur ses créations estivales, à pieds joints dans la tendance rétro-moderne.

Lorsque la fine et blonde Avril s’approche, notre regard glisse automatiquement vers ses pieds. Surprise : elle porte des baskets Puma ! Comme quoi… Mais voilà qui donne d’emblée quelques indications sur le style de la jeune créatrice. C’est clair : les escarpins de princesse, revêtus de paillettes et juchés sur des talons de 12 cm, ce n’est pas son truc. Elle aime le mariage du classique et du contemporain, des modèles soigneusement structurés, taillés dans des matières de top qualité. Sa collection printemps-été 2006 résume parfaitement ce parti pris. En vedette, des mocassins vernis qui évoquent l’époque chic des seventies, Romy Schneider dans les films des années 1970, Catherine Deneuve dans  » Belle de Jour  » (1967). Les formes sont carrées, légèrement arrondies et s’habillent de vert foncé, de marron ou de bleu canard. Les escarpins se hissent sur des talons  » portables « , de 3,5 cm ou de 5 cm, plus épais et plutôt droits. Les bouts sont encore pointus mais plus courts que ces dernières saisons. Parfois, des brides en satin, effiloché aux bords, virevoltent autour de la cheville ou un n£ud en satin se pose devant et met en valeur le décolleté du pied. Les ballerines se taillent la part du lion. Leurs silhouettes sont précieuses, mais sans excès. La ligne aux prix plus doux réunit toute une panoplie de sandales cousues de style spartiate ou tropézien. Le cuir marron voisine avec une grosse chaîne métallique enroulée autour de la cheville. La peau de chèvre couleur or, ultrasouple, associée au cuir naturel, plus costaud et plus rustique.

Pour cette saison, Avril Gau a également dessiné ses premiers sacs, dont une gibecière qui mélange des matières plus brutes et plus sophistiquées, tels le chèvre rustique assez grainé, la chaîne en laiton et le grand n£ud en gros grain, bref des éléments que l’on n’a pas l’habitude de trouver ensemble.  » Mon style est assez classique et il s’inscrit dans l’actualité, explique Avril. Ce sont mes volumes, assez compliqués, qui rendent les modèles contemporains. Ma clientèle est, pour l’instant, essentiellement japonaise. Cela dit, de plus en plus de Parisiennes adoptent mes chaussures. Je les définirais comme des intellos fashion. Des femmes branchées mais pas show of, celles qui ont envie de porter des chaussures qui ont du style, de la qualité et confortables tout de suite. On ne veut plus avoir mal aux pieds et souffrir, on veut être bien dans ses pompes.  »

Une tête chercheuse

La passion d’Avril pour la chaussure est née, comme elle (un 12 avril), à Die. Le patelin, célèbre pour sa clairette, vin pétillant blanc et naturel, se trouve dans la Drôme au pied du Vercors,  » pays d’alternatifs, d’intellos et de rebelles « . La demoiselle grandit auprès d’un père agriculteur et facteur et d’une mère comptable,  » une famille de protestants sympathiques et authentiques « . Les vacances ? Elle les passe… à Paris, dans le xvie arrondissement, le plus chic de la capitale. Ici, elle découvre la mode, les belles marques et les belles boutiques. Le luxe, quoi.  » Depuis mon plus jeune âge, je suis habituée à la variété et à la différence. Ce qui m’a permis de ne jamais me prendre la tête et de prendre les individus comme ils sont.  » L’école n’est pas vraiment sa tasse de thé. Alors, Avril arrête tout avant le bac et s’inscrit à l’AFPIC (Association pour Formation et Promotion dans l’Industrie du Cuir). Elle est nulle en dessin, mais en revanche sa créativité sort de l’ordinaire et elle se fait remarquer tout de suite. Robert Clergerie lui propose un stage. Dès le premier jour, des idées jaillissent, elle ne cesse de surprendre le  » maître  » par des nouveaux modèles, plus originaux les uns que les autres. Résultat ? Robert Clergerie l’engage au bout de trois semaines et onze de ses modèles seront les best-sellers de la saison 1983.

 » A l’époque, les créateurs de chaussures avaient un esprit  » mode « , ajoute Avril. Les plus connus étaient Robert Clergerie et Stéphane Kélian. Kélian était plus décoratif. Or, je me sens plus proche des designers et des architectes que des gens de la mode.  » Avril se sent bien chez Clergerie. L’école est dure mais intéressante. Dans cette maison vouée à l’avant-garde, on privilégie un véritable travail expérimental. Avril multiplie ses recherches sur les talons, dessine des blocs hyperdesign, les premiers talons en métal, les talons  » pattes d’ef  » ou encore des compensés en crêpe. Ses compétences ne s’arrêtent pas là. On l’implique dans le marketing et dans la gestion. Six ans plus tard, un peu  » fatiguée « , elle quitte la maison et part se recycler en informatique, pour asseoir toutes ses connaissances acquises  » sur le tas « .

En 1990, Karl Lagerfeld l’engage chez Chanel comme chef de produits de la chaussure. Sa mission ? Restructurer tout le département qui fonctionnait, à l’époque, avec deux studios. D’une part, les chaussures hyperbranchées et tape-à-l’£il, créées pour les défilés de Karl et, à l’opposé, des modèles vieillots et un peu poussiéreux. Avril y mettra de l’ordre à sa façon, en imaginant, pendant six ans, des collections  » intermédiaires « , assez classiques mais contemporaines et toujours très élégantes. Au moment où elle estime avoir  » fait le tour  » chez Chanel, Calvin Klein décide de lancer sa propre collection de chaussures et la fait venir à New York. Contrat en or, salaire de ministre, miel et tapis rouge… Pourtant, Avril s’enfuit littéralement au bout d’une semaine, effarée par l’absence de création et par le conformisme. Elle rentre en France avec des goûts d’indépendance et de liberté bien affirmés.

Sa première collection éponyme est lancée au printemps 2002. Parallèlement, elle ne lâche pas les maisons de luxe. Depuis 2004, elle dessine les chaussures pour Loewe, aimerait travailler, un jour, pour Lanvin ou Prada.  » J’adore travailler avec les grandes marques et les belles maisons qui ont un discours cohérent. Je trouve passionnant de tirer le meilleur de leur histoire.  » Il y a six ans, Avril a quitté Paris pour retrouver ses racines au pied du Vercors. Avec son mari, à quatre mains, ils ont retapé une maison dans le quartier médiéval de Die.  » Au début, je ne pouvais pas le dire, sourit Avril. Je me suis rendu compte que les gens s’imaginaient que j’habitais au milieu de mes chèvres car, parfois, ils annulaient les rendez-vous. En six ans, tout a changé. Aujourd’hui, ça fait carrément branché de vivre et travailler à la campagne. Grâce à Internet, bien sûr, une véritable révolution !  »

Carnet d’adresses en page 82.

Barbara Witkowska

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