L’Italo-argentin Mauro Colagreco est aujourd’hui le chef le plus en vue de la Riviera. Installé à Menton, à deux pas de l’ancien poste de douane entre la France et l’Italie, il se nourrit de ses deux cultures pour signer une cuisine faite d’élégance et de goûts authentiques.

Il est né en Argentine, mais du sang italien coule dans ses veines : ses grands-parents avaient quitté, d’un côté, les Abruzzes, et de l’autre, la Calabre.  » Je garde surtout le souvenir des réunions de famille à la campagne, tous réunis autour de grandes tables, c’était la fête au sens le plus beau du terme.  » Son enfance se passe à La Plata, une ville située à 60 km au sud de Buenos Aires.  » Je ne suis pas de ceux qui ont eu la vocation précoce de la cuisine. J’ai d’ailleurs un bac de lettres, ce qui est assez logique dans cette ville très littéraire. L’atmosphère qu’on y respire est très artistique. Mon intérêt pour la cuisine vient d’une icône de la gastronomie argentine, Beatriz Chomnalez. Elle avait étudié en France, avec Bocuse, au Cordon Bleu.  »

Au milieu des années 90, en plein boom de la nouvelle cuisine espagnole, Mauro, qui se régale de la lecture des oeuvres d’Escoffier et du Grand Dictionnaire de cuisine d’Alexandre Dumas, choisit la France pour se former. Il s’inscrit au Lycée hôtelier de la Rochelle où sa candidature est d’abord rejetée pour connaissance insuffisante du français. Qu’importe, il débarquera à Bordeaux, quatre mois avant la rentrée, histoire de pratiquer la langue de Molière et de prouver sa détermination. Il en fera preuve à nouveau au terme de la première année d’études, lorsqu’il faut décrocher un stage. Il entrera chez Bernard Loiseau, alors triplement étoilé, après avoir envoyé l’une après l’autre six lettres de motivation.  » J’ai la tête dure « , lâche-t-il avec cet accent italo-argentin qui donne tant de saveur à sa conversation.

Là, Mauro découvre la structure, la hiérarchie, la brigade de trente cuisiniers avec le chef encadré de ses trois sous-chefs. Il se souvient encore de ces grenouilles sauce persil et crème d’ail, un des plats de référence du maître de Saulieu. Au terme des quatre mois de stage, il est engagé. Il demeurera un an et demi dans la célèbre maison bourguignonne jusqu’au décès de Loiseau. Il en sort avec un bagage qu’il va parfaire auprès d’un autre phénomène de la cuisine française : Alain Passard, à la tête de L’Arpège, à Paris. Le jeune homme commence aux légumes.  » Passard me disait « Ecoute tes carottes (cuire) ! Tu ne sais pas parler avec les carottes. » Chez lui tout est réfléchi, maîtrisé, surtout les cuissons.  » A nouveau il séduit… Après les légumes, les poissons, et en moins d’une année, il se retrouve au passe, le poste clé d’où partent tous les plats pour la salle. Il y restera deux ans et demi.

Chez Alain Ducasse, au Plaza Athénée, à Paris également, Mauro s’initie à un autre style : celui d’un classicisme porté à son extrême dans un monde de rigueur et de perfectionnisme. Ce parcours triplement étoilé – qui le conduit encore au Grand Véfour de Guy Martin, à Paris toujours – l’amène à ouvrir son propre établissement, là où il pourra épanouir tout son savoir-faire. Attiré par la Méditerranée, il explore ses côtes, jusqu’au jour où il déniche Mirazur. Situé à Menton, à 20 mètres de l’ancien poste-frontière entre la France et l’Italie, cette bâtisse des années 30 est accrochée à la colline qui surplombe la mer. Un magnifique panorama dont on jouit à perte de vue depuis la salle du restaurant.

Mauro ouvre en 2006. Lui compris, ils sont trois en cuisine et deux en salle. Deux mois plus tard, François Simon, le critique du Figaro, lui consacre un article plus qu’élogieux. En 2007, il est sacré révélation de l’année au Gault et Millau et reçoit sa première étoile au guide Michelin. En 2009, il se voit attribuer le titre de cuisinier de l’année par le guide Gault et Millau. Il a actuellement deux étoiles Michelin et se trouve classé 24e au hit-parade du World’s 50 Best Restaurants.

Le syle Colagreco ? Pour l’appréhender, il faut d’abord accompagner Mauro au marché de Vintimille, en Italie, à une dizaine de kilomètres de Menton. Il suffit alors de le voir parler avec les petits producteurs des collines avoisinantes, saluer le poissonnier et sélectionner quelques calamars pour prendre toute la mesure de sa sensibilité, révélatrice d’une spontanéité acquise sans aucun doute chez Alain Passard. Pour compléter ses achats, le chef s’est aménagé un jardinet à quelques centaines de mètres du restaurant, où il cultive des herbes et des légumes.

Les saveurs, Mauro les combine dans ses recettes avec une pureté exemplaire, que les goûts soient légers, printaniers, marins ou iodés ou qu’ils expriment toute la puissance d’une déclinaison de champignons. La note commune – si on la recherche – est végétale. Feuilles et fleurs agrémentent visuellement les assiettes. Mais elles entrent aussi dans la composition des vinaigrettes et sauces légères que le double étoilé préfère aux jus classiques, qui selon lui alourdissent les plats.  » Je suis dans une période sans sauce « , confie-t-il, l’oeil pétillant de bonne humeur.

PAR JEAN-PIERRE GABRIEL

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