Barbara Witkowska Journaliste

Avec une patience et une passion dignes d’une vraie collectionneuse, Barbara Berger a réuni environ 3 000 parures qui racontent l’éblouissante histoire des bijoux de fantaisie du XXe siècle. Découvrez ces petits trésors de féminité.

Barbara Berger est une citoyenne du monde. Née à New York de père anversois, elle se partage aujourd’hui entre ses domiciles parisien et mexicain et ses voyages lointains aux quatre coins du globe. Nous l’avons  » attrapée  » de justesse à Paris, la veille de son départ pour le Mexique. Elle propose de se retrouver au bar d’un sympathique hôtel au charme 1900. Pas très grande, toute menue, Barbara Berger dégage cette spontanéité naturelle et chaleureuse, typiquement américaine, tutoie d’emblée. Comme toujours, paraît-il, elle est vêtue d’un ample pull noir et un caleçon assorti. Excepté une bague, plutôt discrète, elle ne porte pas de bijoux.  » C’est une question de style, remarque-t-elle avec un sourire malicieux et dans un français impeccable, teinté d’un délicieux accent américain. Quand une femme se sent bien avec elle-même, elle n’a pas besoin de bijoux. Cela dit, j’en porte le soir. Je mélange le vrai et le faux, comme Chanel.  »

Des origines belges, donc. Le père de Barbara, diamantaire, quitte Anvers et s’installe à New York. En été, la famille retrouve le plat pays, le week-end fait des escapades à Paris ou à Londres. Dès la prime enfance, la jeune fille prend goût aux voyages et aux découvertes. Ses parents sont des collectionneurs avertis. Maman se passionne pour la porcelaine de Meissen, papa recherche les tableaux de maîtres. Barbara les accompagne chez des antiquaires, forme son £il à la beauté des choses, affine ses connaissances. Lorsqu’elle a 13 ans, un drame survient : sa mère, si belle, si élégante, disparaît. L’adolescente se met alors à collectionner des bijoux de fantaisie, des parures que sa chère maman aurait aimé porter. La première acquisition s’effectue à quatre mains. En se baladant avec une amie dans une brocante, elle craque pour une paire de boucles d’oreille Chanel. Son budget lui permet d’acquérir une boucle seulement. L’amie achètera l’autre. Les jeunes filles se partageront la paire lors de leurs premières sorties.

A la fin des années 1970, Barbara, divorcée, vit une parenthèse belge. Elle étudie la sculpture à l’école des Beaux-Arts à Anvers, puis s’installe à Bruxelles et ouvre une boutique au Sablon.  » J’ai eu un coup de foudre pour la céramique Kéramis. J’ai réuni une belle collection, très complète et de grande qualité. Je me souviens, un jour, Pierre Cardin a poussé la porte et a acheté 50 % de ma boutique. La céramique, c’était du sérieux. Je m’y suis impliquée à fond. Certes, je continuais à écumer les brocantes et les salles de vente pour enrichir ma collection de bijoux de fantaisie, mais je la considérais comme un hobby, un passe-temps.  » Le temps démentira cette vision des choses. Remariée, Barbara suit son second mari, anversois comme elle, au Mexique. La famille de Maurice Berger s’est réfugiée pendant la guerre au Mexique. Maurice y est devenu rapidement le premier joaillier du pays. Pour le couple, la vie nomade, pour le plaisir et pour les affaires, fait partie du quotidien. Barbara reprend le chemin des brocantes, des marchés aux puces et des salles de vente, à New York, à Paris, à Londres, à Sydney, en Asie. Elle est maintenant une grande spécialiste du bijou de fantaisie. Sa collection grandit au fil des ans, pour atteindre, aujourd’hui, environ 3 000 pièces, rien que des parures réalisées entre 1920 et 1960, signées par 38 meilleurs dessinateurs français et italiens. A cela s’ajoute une belle collection de sacs du soir perlés de l’époque 1890-1910.  » Mes collections sont  » focused « , de qualité, complètes et bien équilibrées, souligne Barbara. Mon frère, antiquaire à Manhattan, spécialisé dans les armoires anciennes, me disait toujours :  » Si tu collectionnes quelque chose, fais-le bien.  » Une vraie collection, c’est surtout du feeling. Et je crois que le mien est bon. Je n’achète jamais de pièces banales. Je préfère une pièce extraordinaire à 20 pièces banales.  »

Dans la collection de Barbara Berger, les  » bijoux de couture  » occupent une place de choix. Paul Poiret et Madeleine Vionnet sont les premiers couturiers à rehausser leurs robes de bijoux de fantaisie haut de gamme. Les femmes applaudissent. A la fin des années 1920, Coco Chanel donnera leurs lettres de noblesse à ces bijoux spectaculaires et richement ouvragés, mais  » toc « . Cela dit, ce succès est également influencé par un autre facteur, plus prosaïque. Les bouleversements du début du XXe siècle (la Première Guerre mondiale, la révolution russe, le krach boursier de 1929) réduisent à néant les grandes fortunes. Il ne reste aux nouvelles élégantes qu’à adopter des parures  » chics et pas chères « . Une aubaine pour les dessinateurs de talent. Ils boostent leur imagination sans la moindre limite. Certains d’entre eux sont français et ont travaillé pour les joailliers de la place Vendôme avant de s’exiler en Amérique. Ce sont les chouchous de Barbara. Marcel Boucher, par exemple, un ancien de chez Cartier ou encore Alfred Philippe. Il s’est distingué chez Van Cleef & Arpels et chez Cartier, également, avant de mettre son talent au service de Trifari, Krussman & Fishel, l’un des leaders mondiaux, à New York, de bijoux fantaisie.

Barbara craque aussi pour le baroque, l’extravagance poussée à l’extrême. Elle cite Roger Jean-Pierre, créateur pour Yves Saint Laurent et Balenciaga, notamment. Excellent coloriste, il s’est spécialisé dans les pierres taillées du Tyrol et jongle admirablement avec leurs palettes chromatiques raffinées, pour composer des parures d’une exubérance rare. Barbara s’emballe aussi pour les créations un peu loufoques, imaginées par Eisenberg, une compagnie de Chicago. Elles s’inspirent des héros des contes de fées : la petite sirène d’Andersen, le chat botté ou le loup déguisé en grand-mère.  » Eisenberg a lancé, dans les années 1930, Eisenberg Originals, une ligne de prêt-à-porter originale, dans la mesure où chaque vêtement s’accompagnait d’une broche, explique Barbara. Les femmes jetait le vêtement, mais gardaient la broche.  »

Insatiable, infatigable, Barbara Berger continue à sillonner le monde, six mois par an. Où qu’elle soit, elle fait un petit tour dans une salle de vente, ou dans une brocante. Les bonnes trouvailles sont toujours possibles.  » Je ne collectionne pas pour accumuler, pour posséder les objets, précise-t-elle. Une collection, c’est tout un travail, une étude, sans oublier le plaisir de la découverte et de la chasse. Cela dit, ma collection m’apporte aussi un grand sentiment de sécurité.  » De temps à autre, les bijoux quittent leur coffre au Mexique. Une exposition a été mise sur pied à Barcelone, quatre ont eu lieu au Mexique. La dernière s’est tenue tout récemment à Paris, au Musée de la Mode et du Textile, organisée sous l’impulsion de Karl Lagerfeld. Enfin, Moscou, la capitale en pleine movida et la capitale la plus tendance du moment, est très intéressée d’accueillir ce fabuleux et précieux  » toc.  »

Barbara Witkowska

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