Un road trip entre Istanbul et Hanoi n’a rien d’une aventure comme les autres. Surtout à travers les yeux d’une petite fille de 4 ans, Flora, qui pose un regard innocent, amusé ou étonné sur chaque escale…
LA FASCINATION… DES TRANSPORTS
» Tu veux venir dans la cabine de contrôle ? » En Turquie, quand le capitaine du ferry s’adresse à Flora, il ne doit pas répéter deux fois sa question. Quelques minutes plus tard, c’est bel et bien la petite qui occupe le gouvernail et se charge de nous emmener vers la ville de Van, dans la sérénité de l’Anatolie orientale. En Asie, les enfants bénéficient souvent d’un traitement de faveur. Plus tard, c’est au volant d’un bus népalais haut en couleurs que Flora aura la chance de s’asseoir. Si les transports locaux sont parfois dangereux, ils représentent une véritable attraction pour les touristes. A Bangkok, on découvre le fameux tuk-tuk ou le skytrain, sorte de métro surplombant l’agitation urbaine. Sur une île thaïlandaise, c’est à bord d’un side-car que nous prenons place, tandis que le speedboat, qui semble presque voler au-dessus de l’eau, devient notre moyen de transport favori au Viêtnam. Au Népal, à Katmandou, les rickshaws (tricycles protégés par un petit toit) nous offrent quelques frayeurs à chaque virage. Tout comme le conducteur d’un bus en Géorgie, au tempérament légèrement kamikaze…
Bien entendu, sur un parcours de 4 000 kilomètres, les surprises et les difficultés sont légion. Dans la plupart des cas, Flora s’en amuse. Et même si elle trouve parfois le temps long, certains autocars sont équipés de petites télévisions… qui font également le bonheur des parents quand le trajet dépasse les cinq heures. Petit conseil, tout de même : prévoir des cahiers, des crayons ou des puzzles, et ne pas hésiter à laisser votre enfant filmer le trafic, les gens ou les jolis décors avec votre téléphone… Un jeu amusant, donc précieux !
LA DÉCOUVERTE… DES CULTURES
Dans un village de l’Himalaya népalais, les enfants jouent dans des flaques de boue, avec des jouets faits de bric et de broc. Flora est confrontée pour la première fois à la pauvreté et aux inégalités. On retrouve des amis népalais que nous connaissons depuis une dizaine d’années et qui sont en train de préparer la fête traditionnelle de Tihar. Comme le veut la coutume, Flora dessine sept petits points colorés sur le visage de son » frère » népalais afin de le bénir, chaque marque correspondant à une couleur de l’arc-en-ciel qui symbolise l’un des sept chakras.
En Turquie, à la mosquée de Diyarbakir, Flora avait découvert l’existence d’Allah. Plus tard, elle se retrouvera face à Bouddha à Bangkok. A Tbilissi, en Géorgie, elle entrera dans un temple du zoroastrisme, une religion apparue avant l’Islam et le christianisme. Petit à petit, elle apprend ainsi qu’il n’existe pas qu’un seul Dieu, une seule culture et un seul mode de vie. Une invitation à l’ouverture d’esprit qui est l’un des points clés de ce voyage. Tout comme l’immersion dans une culture qui doit s’apprivoiser sans préjugés.
Un exemple ? Contrairement aux idées reçues, les autochtones ne s’intéressent pas uniquement au portefeuille des touristes et font souvent preuve d’une sincère hospitalité. Un matin, nous débarquons sur la digue turque de Karatas. A droite, la mer, la plage et une plaine de jeux. A gauche, un bar, le Sara Coffee House. Nous entrons dans ce dernier afin de demander un conseil sur un petit hôtel dans le coin. Un homme nous indique une auberge, puis nous demande combien de temps nous souhaitons rester. Nous répondons » deux nuits « . Il nous propose alors de séjourner dans sa propre villa, inoccupée durant les deux jours à venir. Quelques minutes plus tard, son beau-frère nous y dépose et nous remet les clés de l’habitation…
» Papa, pourquoi on dort dans la maison du monsieur ? « , questionne Flora. La réponse s’appelle à la fois générosité et sympathie. Un geste qui n’affiche aucun tarif, exactement comme les cadeaux qui vont affluer tout au long de notre aventure asiatique. Flora recevra notamment des chocolats, des pommes et des bonbons. Une différence culturelle à laquelle elle s’habitue très rapidement et, dans ces cas-là, sans poser la moindre question…
LES JOIES… DE LA NATURE
» Je n’aime pas marcher ! Pourquoi vous ne me portez pas ? » Au bout de trois jours d’ascension de l’Himalaya, on ne s’attendait pas nécessairement à des éloges sur la randonnée en montagne, exercice qui nécessite quelques compromis quand on le pratique avec un enfant. On avait pourtant habitué Flora aux épreuves physiques durant deux ans et, du coup, on commençait à croire aux miracles. Mais une fois sur place, on a compris qu’on avait peut-être sous-estimé le défi d’une escapade à 2 000 mètres d’altitude dans un pays sauvage. Lors d’une pause, alors qu’une petite cascade clapote en arrière-fond : » Vous entendez le bruit de l’eau ? C’est comme la mer en Turquie. La plage, c’est ce que j’ai préféré pendant le voyage « , lance Flora. Hélas pour ses petons, on se remettra en route…
Le quatrième soir, dans un refuge de montagne, elle s’amuse avec une fillette qui lui fait oublier tous ses efforts. » Si vous voulez rentrer en Belgique, allez-y. Moi, je reste ici, je m’amuse bien « , nous étonne-t-elle. Quelques heures plus tard, vient l’arrivée au sommet avec, pour récompense, une vue imprenable sur des colosses de huit mille mètres de haut. Les autres randonneurs soulignent la performance de Flora qui, elle, apprécie surtout le décor qui s’offre à ses yeux : des chutes d’eau, des sources, des chevaux, des petits ponts et des chemins creux se côtoient.
Lors de la descente, un groupe de touristes japonais la taquine. Si elle laisse d’abord les appareils photo se promener, elle refuse ensuite toute requête de » shooting « . Le soir, c’est à toute allure que nous regagnons notre village, dans un véhicule qui doit rattraper les quelques heures de retard accumulées durant la journée. Détail comique : » Horn please » ( » Klaxonnez, s’il vous plaît « ) est inscrit sur les pare-brise arrière de chaque voiture… Le lendemain, nous croisons un groupe de singes sauvages, avant d’aller nous promener dans le village sous l’insistance de Flora, qui semble avoir encore assez d’énergie pour rejoindre des enfants qui s’amusent à s’ensevelir sous du foin. Avec le sourire retrouvé, le soir venu, on se repose en dégustant le plat national du Népal : la soupe de lentilles.
LE PLAISIR… DE MANGER
Manger en Asie est une véritable fête pour les adultes ne craignant pas les nouvelles expériences culinaires. En revanche, c’est un enfer pour les enfants un peu trop sélectifs. Le premier petit-déjeuner, en Turquie, en dit long. Les mets sur la table sont royaux : une douzaine de plats remplis d’olives, de miel artisanal ou d’halva, spécialité orientale à base de graines de sésame, de sucre et d’huile végétale. » Y a pas de tartine au salami ? « , sera l’unique commentaire de Flora. Tous les parents connaissent les techniques consistants à négocier, à faire un peu de chantage ou à » camoufler » les aliments. Mais comment détourner l’attention d’un enfant lorsqu’il s’agit d’un curry vert thaïlandais ? Réponse : lui faire prendre goût à ces saveurs inhabituelles avec modération. Ainsi, après quelques hésitations, les olives, les pistaches, l’houmous, la mangue et d’autres spécialités locales ont finalement été adoptés par Flora. Même si certains soirs, nous devons transformer la composition du plat pour qu’il lui plaise. Le plus compliqué, c’est quand on croise régulièrement Ronald, le fameux clown jaune d’une célèbre enseigne de restauration rapide. Là, face à tant de tentation, même le parent le plus réticent finit par accepter une trêve et à pousser la porte. Chacun le sait : en voyage, manger sainement tous les jours relève du défi. Néanmoins, il est tout à fait possible de s’offrir des petits écarts si, la plupart du temps, on met un point d’honneur à déguster les plats de nos hôtes… comme les scorpions grillés.
LE BESOIN… DE RÉPONSES
Les repas étranges, les longs trajets en bus, les différences culturelles, les efforts physiques et le manque d’amis proches ne sont pas évidents à gérer lors d’un tel périple. Mais pas de doute : 4 ans n’est pas un âge contraignant pour voyager loin et longtemps. En pleine période des » pourquoi ? « , Flora a forcément été interpellée sur tous les fronts. Mais chaque étape et chaque réponse ont été aussi instructives qu’enrichissantes. Certes, on passe parfois par quelques colères, quelques coups de blues ou des petits ras-le-bol. Quoi de plus normal quand on partage autant de moments ensemble ?
Ce qui est parfois compliqué, ce sont les questions dont les réponses doivent être données avec sagesse. » C’est la guerre, ici ? « , nous a parfois demandé Flora, notamment lors d’une visite au Musée de l’occupation soviétique en Géorgie, en apercevant des canons au Viêtnam ou en croisant des réfugiés syriens en Turquie orientale. Parfois, on explique les choses comme on peut, en se disant qu’elle a encore la vie devant elle pour tout comprendre. Ici ou là, on passe aux aveux : non, le président des Etats-Unis n’a pas attaqué l’Irak en raison d’un différend, mais bien parce qu’il y a du pétrole dans le sol. C’est dit. Généralement, les interrogations cèdent très vite la place à des moments de pure détente qui permettent d’oublier tout le reste. Et puis, heureusement, il y a aussi des questions auxquelles il est facile de répondre. Un midi, dans une cabane louée sur une plage vietnamienne, Flora a simplement demandé : » Papa, on va faire du kayak ? » Un quart d’heure plus tard, nous étions en train de pagayer paisiblement sur l’immense océan…
PAR NICK MEYNEN
Une culture qui doit s’apprivoiser sans préjugés.
» Si vous voulez rentrer en Belgique, allez-y. Moi, je reste ici, je m’amuse bien. »
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