Séville, Cordoue et Grenade : trois villes qui illuminent l’Andalousie à leur manière, déployant des ruelles, des places, des jardins et des splendeurs historiques dont les Maures ne furent pas les seuls bâtisseurs. Récit d’un road-trip éblouissant.

Certains affirment qu’il s’agit de la plus belle région d’Espagne. Parmi les dix-sept communautés autonomes du pays, c’est en tout cas la plus peuplée. Par la diversité des trésors qu’elle abrite, c’est probablement la plus surprenante et la plus enrichissante. Mais surtout, par ses couleurs chatoyantes, ses reliefs patiemment découpés par le temps ou ses villages blancs, l’Andalousie est indéniablement un territoire à la hauteur de sa réputation, où un soleil quasi éternel inonde ces  » prairies bordées de cactus  » chantées par Cabrel. Un décor parfait pour s’offrir un road-trip entre Séville, Cordoue et Grenade, des villes au tempérament tantôt exalté, tantôt romantique, séparées par quelques dizaines de kilomètres à peine et reliées par des paysages remplis d’imparables escales.

Nous avons choisi de débuter notre périple à Malaga dans un but simple : rejoindre Séville par le chemin le plus long. On profite alors des petits villages disséminés le long de la côte : Benalmádena, Mijas ou Ojén, dont les maisons blanchies à la chaux et les fenêtres fleuries de géraniums se découvrent au fil des ruelles tortueuses. Bâtis à flanc de colline, ils gratifient de vues dégagées sur la Méditerranée. Rien de tel pour faire connaissance avec l’Andalousie, avant de se diriger vers l’intérieur de ses vastes terres. Des routes en serpents qui se perdent dans des montagnes arides. Des pâturages de bovins ou de porcs ibériques (à la peau noire) qui séjournent sur des plaines immenses. Des vallées boisées où sommeillent des milliers d’oliviers et d’orangers… Le trajet est tellement agréable qu’on en oublierait presque de s’arrêter à Ronda, charmante cité qui fût jadis le refuge des bandits de grand chemin (les fameux bandoleros). Son point fort : la vieille Ciudad avec ses églises, ses musées, ses demeures seigneuriales, son couvent, ses bains arabes datés de la fin du XIIIe siècle ou encore son Puente Nuevo, un pont vertigineux qui s’ouvre sur l’impressionnante faille du Tajo…

SÉVILLE LA MAGNIFIQUE

L’arrivée à Séville est un plaisir qu’il faut impérativement prolonger de plusieurs jours. On s’imprègne très vite de l’atmosphère ambiante, à la fois chaude, joviale et pourtant apaisante. Puis, déjà, on s’aventure dans une capitale andalouse qui regorge de monuments historiques dont la beauté est jalousée dans toute l’Espagne… Direction la Plaza del Triunfo, d’abord, où trône une statue de l’Immaculée qui sert de garde du corps aux calèches attendant les touristes. Le décor est l’un des plus photographiés de la ville, et pour cause : on y trouve deux de ses emblèmes architecturaux. Celui qui attire d’abord le regard est la cathédrale. Son élégance saute aux yeux. Sa taille aussi, puisqu’elle est aujourd’hui la troisième plus grande église du monde chrétien, après Saint-Pierre de Rome et Saint-Paul de Londres. Classée au patrimoine mondiale de l’Unesco, elle abrite les oeuvres de grands maîtres espagnols (Goya, Valdés Leal, Zurbaran…), ainsi qu’un monument funéraire contenant les restes (présumés) de Christophe Colomb. Un lieu grandiose et d’une richesse visuelle remarquable, à compléter par l’ascension d’une tour attenante baptisée Giralda, ex-minaret de la Grande Mosquée qui rappelle que la ville dût composer avec la présence musulmane durant près de 800 ans.

Juste en face, l’Alcazar constitue également un témoin magnifique du passé arabe de Séville. Sa construction a débuté vers la fin du Xe siècle, à la demande de l’émir de Cordoue. Puis le temps a fait son oeuvre, laissant à la fois les Almohades ou les Catholiques y greffer leur imagination. Résultat : un palais somptueux où se mélangent l’art nasride et mudéjar, les styles gothique ou Renaissance. L’adjectif  » arabo-andalou « , ici, prend tout son sens et exige une attention sur chaque recoin (oui, même les plafonds). En guise de pause durant la visite : les jardins de l’Alcazar, ses jets d’eau, ses palmiers et sa roseraie.

Bien sûr, il faut ensuite s’en aller flâner dans le quartier fleuri de Santa Cruz, prendre le pouls des innombrables et charmantes petites places, s’arrêter devant les façades aux fenêtres en fer forgé, visiter la maison de Pilate pour admirer ses azulejos, déguster quelques tapas sur une terrasse, respirer l’odeur de jasmin qui émane des ruelles ou, pourquoi pas, arpenter le très réputé Musée des beaux-arts. Mais surtout, il faut aller saluer la sagesse du fleuve Guadalquivir, repérable grâce à la Tour d’Or qui la surplombe. Sur ses bords, on croise notamment les célèbres arènes de Séville, qui empêchent les taureaux de dormir sur leurs deux oreilles. Plus loin, c’est le parc Maria Luisa qui régale, présentant fièrement les bâtiments légués par l’Exposition ibéro-américaine de 1929. Parmi ceux-ci, le spectaculaire pavillon espagnol qui, au centre du parc, se déploie sur l’un des symboles de la ville : l’immense Plaza de Espana, qui est presque devenue aussi célèbre que Vélazquez – enfant de Séville – ou que Cervantès – qui aurait imaginé son personnage de Don Quichotte à l’ombre d’une prison locale…

CORDOUE LA DOUCE

Moins de 150 kilomètres après avoir quitté Séville, la jolie Cordoue apparaît comme par magie au milieu de champs et de collines verdoyantes. Le Guadalquivir est toujours là, silencieux. Les splendeurs architecturales, elles aussi, semblent nous avoir suivis. A commencer par la majestueuse Mezquita, vedette phare de la vieille ville et, bien sûr, grande protégée de l’Unesco. Entourée de petits restos et de boutiques, elle impose sa prestance par ses hautes enceintes. A l’intérieur, sa cour et ses orangers servent d’accueil, avant que les visiteurs se plongent dans l’incroyable salle de prière. Un endroit surnaturel, véritable bijou de construction musulmane, dont les arcs et les voûtes forment une gigantesque forêt de colonnes où, bien que tout soit parfaitement aligné, on se perd en deux pas et trois pensées. Une fois de plus, la surprise vient de la cohabitation des arts : à côté du raffinement arabe, s’invite une présence baroque par le biais d’une cathédrale littéralement incrustée dans la mosquée. Il faut le voir pour le croire…

Cordoue, c’est aussi la forteresse de l’Alcazar qui, contrairement à celle de Séville, a entièrement été bâtie par des rois… chrétiens, et possède un somptueux jardin rempli de fontaines. C’est également un quartier appelé la Judería, où plane l’ombre des marchands phéniciens, grecs et juifs de jadis, et où se dresse l’une des dernières synagogues médiévales d’Espagne. C’est encore la vaste et jolie Plaza de la Corredera, animée par des terrasses ensoleillées et des brocanteurs. Mais surtout, s’il y a bien une chose à ne pas oublier de faire à Cordoue, c’est se laisser abandonner par son atmosphère décontractée, en se promenant dans ses ruelles étroites à la recherche de… rien du tout. A un moment donné, vous traverserez forcément le quartier de San Basilio, dont les patios figurent parmi les plus beaux d’Andalousie grâce au concours organisé chaque année (au mois de mai) par l’Association des patios cordouans. A un autre moment, vos pas vous ramèneront inévitablement vers le Guadalquivir et son fabuleux Puente Romano, que l’on vous conseille vivement d’aller photographier au soleil couchant, juste avant que Cordoue ne revêtisse de nouvelles couleurs – une sorte d’or tamisé – sous ses éclairages nocturnes…

GRENADE LA FIÈRE

Entre Cordoue et Grenade, s’étire la célèbre  » route du Califat « , celle qu’empruntaient les nasrides et les califes pour rejoindre les deux cités. Les oliviers s’y déploient à perte de vue. Le parcours vallonné, lui, est un condensé d’histoire à lui tout seul, tant les hameaux disséminés dans le paysage contiennent de précieuses reliques du passé flamboyant d’Al-Andalus. Etapes suggérées : l’étourdissant village blanc de Zuheros dont le sommet livre un panorama de carte postale, mais aussi Montefrio, Alcala La Real ou Moclin, qui auront le don bienveillant de vous faire perdre toute notion du temps. Une parenthèse de tranquillité et de flânerie bien méritée avant de gagner l’effervescente Grenade, dernière cité que les Arabes ont réussi à défendre avant leur chute en l’an 1492. Une ville à visiter pour mille raisons : la prodigieuse énergie qui l’anime, le quartier artistico-bohème de l’Albaicín, la cathédrale ou les rives du Darro. Mais bien sûr, quelles que soient vos volontés, il y a là-bas un chef-d’oeuvre qu’il est impossible de ne pas aller admirer : l’Alhambra.

On pourrait se contenter de dire qu’il s’agit de l’endroit le plus visité de toute l’Espagne (n’oubliez pas de réserver bien à l’avance). Que Théophile Gautier y a campé et que Victor Hugo en a fait tout un poème ( » L’Alhambra, l’Alhambra ! Palais que les génies ont doré comme un rêve et rempli d’harmonies… « ). Mais comme on l’a parcourue de long en large, on ajoutera que l’ultime refuge des princes musulmans est bien plus que cela, soit un condensé de raffinement qui, peu importe la pièce dans laquelle on pénètre, offre aux yeux des tableaux architecturaux ou des points de vue éblouissants. Des palais nasrides à celui de Charles Quint, en passant par le Generalife (la résidence d’été du souverain), les jardins, les cours ou l’Alcazaba (la partie la plus ancienne du lieu), la promenade exige des jambes en bonne forme, mais elle ne déçoit à aucun moment. Trois bonnes heures de marche sont nécessaires pour en venir à bout, avant de repartir avec la conviction d’avoir traversé un lieu pas comme les autres. A la sortie, le décor est tout aussi admirable : les sommets enneigés de la Sierra Nevada monopolisent l’horizon. Il paraît que des châteaux forts y sont encore cachés, souvenirs du temps où les Maures et les Chrétiens guerroyaient pour devenir les propriétaires de cette fascinante Andalousie… et on a presque envie de les comprendre.

PAR NICOLAS BALMET

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