Depuis quelques années, l’échange de biens et de services a envahi notre quotidien réel et virtuel. Le point sur la tendance.

Ils sont quatre garçons dans le vent, la trentaine comme la fleur aux dents, travaillent dans la communication digitale ou développent des sites Web. Il y a un peu plus d’un an, ils décident de créer Paynut.org, une plate-forme Internet gratuite qui facilite l’échange de biens entre particuliers.  » Notre idée est partie du constat qu’on gardait tous chez soi des objets avec lesquels on ne faisait rien mais qu’on ne jetait ou ne donnait pas, explique Jean-Philippe Van den Hove, un des concepteurs. On a voulu créer un outil facile qui favorise aussi les rencontres, les liens humains. Il ressort toujours quelque chose de positif d’une transaction entre particuliers : c’est convivial, sympa, on se lie à de nouveaux voisins, les enfants font éventuellement connaissance… Même si ce n’est qu’une relation ponctuelle, elle fait du bien.  » La proximité et l’attirance pour le développement d’un réseau local, proche de chez soi, sont les principales motivations des nombreux adeptes du troc moderne. En quelque six mois de mise en ligne, malgré des moyens de communication limités et un site qui n’offre pour l’instant que peu d’options, Paynut.org compte déjà plus de 1 500 membres.

Parallèlement, on assiste depuis plusieurs années à l’explosion des Systèmes d’Echanges Locaux (SEL) : le premier SEL belge a été créé en 1996 à Bruxelles, on en dénombre aujourd’hui une petite centaine en Belgique francophone. Dans la même veine se développent désormais à l’envi les soirées vide-dressing, les sites d’échange de maison, de livres, de savoirs, d’oeuvres d’art… Pourquoi un tel succès ?

PAR-CRISE

Le concept existe depuis des siècles, il a toujours servi aux hommes pour entrer en relation. Qu’on interroge les experts ou les acteurs de terrain, les avis convergent pour expliquer que ce système fonctionne encore de nos jours.  » Il est évident que la crise que nous vivons actuellement ébranle la confiance des consommateurs et ranime chez eux l’envie d’être davantage maîtres de la situation, explique Geoffrey Pleyers, chercheur pour le FNRS de l’université catholique de Louvain et spécialiste de la consommation critique. Cela se concrétise par le troc, et toutes les économies alternatives qui y sont liées comme les monnaies locales, les donneries, le crowdfunding… Ce phénomène touche d’abord les personnes au chômage, les jeunes retraités dynamiques, qui ont certainement plus de temps pour mettre en place des solutions qui n’affectent pas leur portefeuille.  » En Grèce, vu le manque de liquidités, ces principes connaissent un essor significatif et font circuler les biens et les services, même sans argent. L’invention d’une monnaie locale, quant à elle, permet de relocaliser les achats, en privilégiant les offres du quartier, de la ville. Certaines cités, comme Totnes en Grande-Bretagne, fonctionnent ainsi de manière autonome.

Cette prise de recul permet par ailleurs de réfléchir à la valeur que le capitalisme donne aux choses, à éviter le gaspillage et à bannir la surconsommation… Des considérations écologiques justifient également ce mouvement alternatif puisque échanger implique de ne pas remplir ses poubelles et d’upgrader des ressources que l’économie classique laisserait de côté. Pour Antonin Léonard, cofondateur de OuiShare, un collectif favorisant l’économie collaborative,  » les crises accélèrent l’émergence de ces nouveaux comportements de consommation et c’est un bouleversement culturel qui se dessine « . Dans ce contexte, Internet est un formidable outil de visibilité et de rayonnement.

NOUVEAU SENS

Le retour à ces partages alternatifs de biens et services révèle la volonté du consommateur lambda de redonner du sens à ses actes, au-delà du simple geste économique, parce que  » les échanges commerciaux classiques ne symbolisent plus rien pour tout un chacun, explique encore Geoffrey Pleyers. Les liquidités qui circulent aujourd’hui ne représentent plus l’argent que nous gagnons par notre travail ou dépensons pour nos besoins. Depuis longtemps maintenant, l’argent qui circule est fictif, injecté par milliards par certaines banques qui spéculent. Les gens se rendent compte que notre monnaie n’est plus qu’un référent abstrait, sans valeur propre.  » Et ce qui semble la seule solution pour beaucoup, c’est l’investissement dans les relations humaines et le potentiel qu’elles supposent : le fait de relocaliser l’économie en consommant  » chez soi « , et en trouvant d’autres solutions basées sur la solidarité. Doucement, nous passons progressivement d’une pure économie de marché à une économie de réseau.  » Le fait de créer un système d’entraide et d’échange de services a une portée humaniste, précise Joaquim de Sousa, responsable de la plateforme des SEL francophones. Nous devons montrer qu’on se leurre, qu’une autre façon de fonctionner est possible, qu’une autre condition humaine est envisageable. Ce changement sociétal prendra du temps, mais il est nécessaire.  »

A lire : La consommation critique, par Geoffrey Pleyers, Desclée de Brouwer. La vie share, par Anne-Sophie Novel, Alternatives Editions.

PAR STÉPHANIE GROSJEAN / ILLUSTRATIONS : CAROLE WILMET

 » Même si ce n’est qu’une relation ponctuelle, c’est une relation qui fait du bien.  »

 » Le fait de créer un système d’entraide et d’échange de services a une portée humaniste.  »

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