Avec le succès de la série Game of Thrones, la route qui longe la côte de Londonderry à Belfast, en Irlande du Nord, est devenue un nouveau must touristique. Châteaux en ruine, falaises abruptes, ciels tourmentés, paysages spectaculaires… Les fans en redemandent, les autres aussi.

Voilà quatre saisons, et bientôt cinq, que l’équipe de Game of Thrones,  » GoT  » pour les intimes, a posé ses caméras dans la province de l’Ulster, en Irlande du Nord. Pour donner corps à cet univers musclé imaginé par l’écrivain George R.R. Martin, il fallait bien un décor naturel à la hauteur de cette saga médiévale où s’affrontent les forces majuscules du Bien et du Mal. La série, estampillée phénomène planétaire, est devenue une aubaine. Loin du Bloody Sunday et du conflit qui a fait 3 500 morts entre 1969 et 2002, le petit écran a permis de tourner la page politique et d’attirer les touristes. Si les guerres fictives entre la dynastie des Lannister et des Stark sont si profitables au pays, c’est que la production américaine y a pris ses quartiers, attirée par un avantageux système de défiscalisation.

Dans les gigantesques studios de Paint Hall, à Belfast, les réalisateurs mettent en boîte la prochaine saison qui sera diffusée en 2015. Parmi les fans, on trouve même la Reine d’Angleterre. Une pub rêvée pour le Northern Ireland Screen, la structure de promotion de l’audiovisuel, qui estime à 100 millions d’euros les retombées financières de la série pour le pays. L’office de tourisme, lui, se frotte les mains et accueille à bras ouverts les curieux à la recherche des lieux de tournage. Ceux-ci sont situés pour la plupart le long de la Causeway Coastal Route qui serpente sur environ 180 kilomètres, de la ville de Londonderry au nord, jusqu’à Belfast au sud. A la manière de la Route 1 qui longe la côte ouest des Etats-Unis, c’est une étroite bande de goudron qui serpente le long de paysages remarquablement préservés.

TRAVELLING ET COTTE DE MAILLES

La plage de Downhill, à une quarantaine de kilomètres à l’est de Londonderry, à la lisière du comté d’Antrim, fait partie de ces  » spots  » où les techniciens et acteurs de Game of Thrones ont déployé travelling et cotte de mailles. Sous l’oeil du directeur de la photo, l’étendue de sable où les gamins s’adonnent au cerf-volant devient, dans la deuxième saison, l’île de Dragonstone et le théâtre d’une scène nocturne sacrificielle. Les idoles de Westeros y sont brûlées dans une sorte de rite incantatoire. En plein jour, il faut avoir l’oeil pour reconnaître ce paysage imposant, peu fréquenté par les touristes et dominé par une falaise qui tombe à pic. On comprend ce qui a attiré l’attention des producteurs. Dimension hors normes de l’espace naturel, partagé à perte de vue entre l’eau et le roc. La silhouette du Temple de Mussenden situé en contrehaut a été conservée dans les plans de l’épisode. Cet édifice néoclassique du XVIIIe siècle, où des concerts de harpe sont programmés en journée, fait partie du domaine de Downhill. Comme souvent au Royaume-Uni, c’est le National Trust qui gère les lieux. Rares sont les sites d’intérêt collectif de la région à échapper à l’association au logo en forme de feuille de chêne. L’organisme, deuxième propriétaire foncier du Royaume-Uni, met un point d’honneur à soigner son patrimoine. Sur le plan architectural, Downhill n’est pas d’un grand intérêt historique mais la propriété offre une balade en pleine nature de premier ordre. Les sentiers noyés dans les herbes hautes longeant d’abruptes parois de calcaire et de schiste dévoilent des perspectives renversantes à l’abri du tourisme de masse.

A une demi-heure de route de là, en bordure d’océan, surgit le Dunluce Castle. Ce château en ruine, qui semble avoir poussé à même la roche de basalte, aurait servi de modèle pour le château de Pyke dans GoT. On précise bien  » modèle « , car entre l’original et la réplique, l’écart est abyssal. Comme pour 95 % des décors naturels de la série, ceux-ci sont largement modifiés, voire intégralement transformés par les effets spéciaux. Perchés au-dessus de l’océan, les décombres de Dunluce sont méconnaissables à l’image mais néanmoins parfaitement raccords avec l’esprit de la fiction. L’histoire même des lieux semble sortir d’un drame shakespearien relayé par des bardes. La forteresse construite au XIIIe siècle par un puissant seigneur anglo-normand résista à sept sièges avant d’être dévastée par une tempête. Une nuit de 1639, les flots déchaînés emportèrent une partie du château, engloutissant les cuisines et le personnel. Oh my GoT !

40 000 DALLES DE BASALTE

Tout au long de la Causeway Coastal Route, la réalité et l’imaginaire médiéval se superposent. Que HBO (la chaîne payante américaine qui diffuse la série) soit passée ou non par le bistouri des logiciels 3D. Parfois la retouche est minime. C’est le cas du Dark of Hedges. Ce tunnel surnaturel de hêtres pluricentenaires, qui borde sur 300 mètres la Bregagh road à proximité de la ville de Ballymony et distant d’une demi-heure à peine de Dunluce, figure presque tel quel dans la deuxième saison de l’épopée moyenâgeuse. Avec leurs branches torsadées, les arbres aux incroyables ramifications noueuses nous plongent dans le registre du merveilleux et des druides. Inutile de se livrer au jeu des sept erreurs lorsqu’on regagne la Chaussée des Géants qui nous ramène sur le littoral, à 20 kilomètres du Dark of Hedges. Peut-être trop reconnaissable pour en faire l’un des terrains de combat de Daario Naharis, le redoutable guerrier de GoT, ce site n’a pas encore fait son apparition dans le feuilleton. Tout est pourtant réuni pour en faire un décor extraordinaire. On accède au lieu-dit en empruntant un chemin goudronné, fermé aux voitures. Quelques lacets plus bas, on rejoint une formation volcanique apparue il y a 60 millions d’années. Entre le ressac et les collines couvertes de mousse et de végétation, 40 000 dalles polygonales de basalte se dressent au milieu des roches couvertes de lichen et d’algues carragheen.

Depuis 2011, le voisin et pittoresque port de pêche de Ballintoy et ses criques environnantes ont été choisis pour apparaître dans plusieurs épisodes, entre autres dans  » The Night Lands  » qui marque le retour de Theon Greyjoy à Pike. Lors du tournage, l’équipe a démonté les lampadaires, descellé les garde-fous, maquillé le bitume, planqué les bateaux à moteur et disposé quelques potences qui replongent efficacement le spectateur cinq siècles en arrière. Revenu en 2014, il reste le charme d’un embarcadère hors du temps que l’on rejoint en longeant une église qui domine l’horizon. On ne saurait que trop recommander, lors de ce périple, idéalement formaté pour un long week-end, de loger dans l’un des excellents Bed & Breakfast que compte le comté (voir  » en pratique « ). On oubliera un instant les calices en étain et les douves pour goûter l’ambiance victorienne tout en délicatesse et en porcelaine blanche que certains propriétaires de B&B cultivent avec délectation.

En poursuivant le chemin de Ballycastle vers Belfast, il est impératif de pousser une pointe jusque White Park Bay et Torr Head, deux spots imprenables que l’on rejoint par de petites routes secondaires qui zigzaguent entre les collines verdoyantes. On y croise plus de moutons, de murs en pierre sèche, voire de cimetières et de croix celtiques, que d’habitants. Torr Head est la partie la plus avancée de l’Irlande en direction de l’Ecosse, distante d’à peine 12 miles. C’est aussi l’un des rendez-vous des marins qui pratiquent la pêche au saumon.

Plus loin vers la partie méridionale, de nombreux plans du  » Trône de fer  » avec le personnage de Jon Snow, le fils illégitime de Lord Eddard Stark, ont été mis en boîte sur les hauteurs de Cairncastle (ou Carncastle). L’ambiance y est à son comble par temps couvert. On sait que le feuilleton regorge d’effets de brume nimbant le moindre village ou campement d’un épais fog. Inutile, dans la réalité, de recourir aux trucages numériques. Sur l’île, le temps passe en un instant du bleu au gris. En dix minutes, on peut se retrouver dans la peau d’un navigateur en solitaire franchissant les 40e rugissants. Ciels tumultueux, falaises abruptes voilées par des nappes de brouillard, tourbières balayées par le vent : l’Irlande du Nord possède ce qu’on appelle un caractère bien trempé. C’est aussi son charme.

Si la Causeway Coastal Route s’achève à Belfast, il n’est pas interdit de prolonger l’excursion bien plus au sud, jusqu’à Newcastle. A proximité de cette ville balnéaire, on trouve le domaine de Castle Ward qui abrite, à l’écran, la maison de la famille Stark ou, dans un autre registre, le parc de Tollymore au pied des montagnes de Mourne. Cette forêt, qui est aussi une  » garden follies  » – une résidence de campagne entourée d’un jardin arboré -, est un lieu unique où nature et artifice se côtoient. Une fois franchi l’arche moussue de l’entrée, on circule à pas d’homme sur une allée longée par des arbres exotiques, avant de plonger dans les entrailles de la forêt. C’est évidemment un cadre désigné pour toute fantasy qui se respecte. Game of Thrones, qui a posé ses caméras dans la forêt de Tollymore dès le premier épisode, ne fait pas exception à la règle. Car à quoi ressemblerait le  » med-fan « , le médiéval fantastique, sans ses anneaux magiques, ses animaux qui parlent, ses trolls et ses elfes tapis dans les bois ? A l’Irlande peut-être.

PAR ANTOINE MORENO / PHOTOS : RENAUD CALLEBAUT

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