Barbara Witkowska Journaliste

Laine, cachemire, coton et soie… La première collection de ces jeunes jumeaux allemands est l’occasion d’une démonstration de belles matières et d’associations décalées, pour un look citadin très personnel.

Prenez le look chic d’un homme d’affaires, l’allure nonchalante d’un mafioso, l’esthétique d’un rocker ou d’un rappeur, la panoplie décontractée d’un sportif et mélangez le tout. Voilà le style de Lucas & Aaron Mäthger, les nouveaux venus dans la mode masculine qui viennent de présenter leur première collection printemps-été 2006. Quelques temps forts ? Ce veston très classique à revers taillé dans une belle laine à rayures tennis, fermé par un zip et terminé, en bas, par une bande de maille comme un blouson. Egalement très réussi, ce pantalon court, confectionné dans un mélange de laine et de cachemire, annonce une nouvelle élégance avec, en bas, des finitions arrondies. Les coupes sont effectuées en biais et en diagonale pour que la silhouette gagne en souplesse. Les détails méritent le coup d’£il, comme cette poche placée judicieusement entre les coutures diagonales.

Originaux, les modèles déclinent des matières moelleuses, rassurantes et enveloppantes tels la laine, le cachemire, le coton et la soie. Les synthétiques sont purement et simplement bannis. La palette chromatique joue quant à elle le registre de la sagesse et de la sobriété en optant pour les noirs, les blancs, les gris et les beiges. Parfois, une touche dorée traduit un clin d’£il plus fantaisiste. Les pulls tricotés en coton s’amusent avec des points différents. Cette variété apporte du rythme et du relief et contraste avec l’épure des lignes. Les chemises font appel à du coton damassé, animé de petits motifs géométriques ou de petits carreaux. La plus étonnante ? Cette chemise à manches courtes, terminée par de vraies manchettes et fermées par des boutons de manchettes. Sur le haut de la poitrine, les boutons suivent une ligne droite. Puis celle-ci se divise et les boutons filent en diagonale vers la droite et vers la gauche pour former, au niveau du plexus solaire, un triangle amovible. Lorsqu’on l’enlève, on pourra apercevoir un tee-shirt ou la peau nue. Ces coutures qui se baladent dans tous les sens sont la marque de fabrique des jumeaux Mäthger.  » C’est un jeu, explique Lucas. On s’amuse avec les coutures. Ce n’est pas intéressant d’aller tout droit. Déjà, quand nous étions petits, nous aimions emprunter le chemin des écoliers.  »

Mouvementée, l’enfance de Lucas et Aaron a été rythmée par de fréquents déménagements. Ils naissent, en 1976, dans une famille protestante, à Karl-Marx-Stadt (aujourd’hui, Chemnitz), en ex- Allemagne de l’Est. Les parents s’occupent d’enfants handicapés mentaux et, de par leur métier, changent souvent de port d’attache. Une vie nomade, donc, difficilement compatible avec une scolarité  » normale « . Les jumeaux Mäthger ont du mal à s’intégrer dans les écoles successives, les résultats en pâtissent… D’autant plus qu’ils rêvent beaucoup, par l’intermédiaire de la télé qui s’ouvre sur le monde et fait miroiter les paillettes du lifestyle occidental. Ainsi, Lucas rêve de travailler comme cuisinier sur un bateau pour pouvoir voyager tandis qu’Aaron, influencé par les séries américaines, est fasciné par le métier de médecin d’urgence, se déplaçant en hélicoptère. La réalité les rattrape le 9 novembre 1989, jour où le mur de Berlin s’écroule devant les caméras de télévision. Une nouvelle expérience, stupéfiante, commence pour toute la population est-allemande.  » C’était la folie, l’anarchie totale, raconte Lucas. On s’est retrouvé dans un état sans structures. Chacun se comportait à sa guise. Par exemple, quelqu’un qui ouvrait un café ne payait aucune taxe car personne ne savait comment fonctionnait la libre entreprise.  »

Voyage, voyage

Petit à petit, les esprits se calment et la vie reprend son cours normal, mais les chemins des jumeaux se séparent. Aaron abandonne l’école et quitte le pays pour voyager et voir ce qui se passe ailleurs. Ses pas le mènent au Canada, puis dans le sud de l’Europe. Il se débrouille plutôt bien, en travaillant dans des cafés et, surtout, il observe et enregistre tout pour apprendre la vie sur le tas. Lucas, plus patient, termine l’école secondaire, accomplit son service militaire et part enfin, en 1997, pour Amsterdam. Titillé par des envies artistiques, il suit un cours d’orientation à la Rietveld Académie, une école d’arts plastiques. Très vite, le déclic se produit : la mode semble être sa vraie vocation. Il s’inscrit donc à l’Institute for Fashion Management and Design, mais abandonne tout au bout d’un an : le programme est, à ses yeux, beaucoup trop scolaire ! Direction Anvers, donc. A l’Académie des Beaux-Arts de la métropole flamande, sa soif de liberté et sa créativité trouvent, enfin, leur plein épanouissement. En dernière année cependant, il déménage à Bruxelles qu’il juge  » plus cosmopolite et plus agréable à vivre « . C’est aussi l’année où les jumeaux Mäthger se retrouvent. Aaron arrive d’Espagne pour donner un coup de main à son frère et peaufiner sa collection de fin d’études. Depuis ils ne se sont plus quittés.

Lucas, c’est plutôt le  » créatif « , tandis qu’Aaron assure la gestion, la logistique et, parfois, souffle aussi une bonne idée vestimentaire. Complémentaire, le duo fonctionne à merveille et décide de se consacrer exclusivement à la mode masculine.  » A l’école, je n’ai fait que de la femme, explique Lucas. Or, la mode féminine relève des concepts et de la fantaisie. On est dans le fantasme et il est difficile de savoir si la femme voudra porter les créations  » à la mode  » ou pas. Lors de mon stage chez Antonio Miró, à Barcelone, je me suis rendu compte que, pour nous, il est plus logique de travailler l’homme. Nous sommes les mieux placés pour savoir ce que nous voulons exprimer à travers un vêtement et surtout quel vêtement nous procure du bien-être.  » Pour se faire la main, Lucas et Aaron conçoivent donc une petite collection de tee-shirts. L’idée ? Transformer ce modèle basique en une pièce fashion et collector à coups d’impressions innovantes et de techniques expérimentales qui consistent, notamment, à dévorer le coton. Edités en série limitée, les tee-shirts décorés de têtes de mort, de fleurs ou de têtes de lion, marchent très bien en Allemagne. Galvanisés par ce premier succès, les jumeaux se lancent à fond et imaginent alors une vraie ligne de prêt-à-porter.

Déjà l’hiver

Entièrement autofinancée, leur première collection réunissant une trentaine de modèles, est présentée en octobre 2005 à Paris, dans la boutique d’un ami. Le public applaudit, la presse se montre d’emblée très enthousiaste. En janvier dernier, le tandem a remis ça avec une deuxième collection dédiée à l’automne-hiver 06/07.  » Les gens sont revenus, se réjouit Lucas. Nous avons également remarqué la présence de nombreux Asiatiques. C’est un bon signe.  » Le concept de la transversalité est davantage développé. Les codes de différents univers masculins esquissent une garde-robe urbaine et punchy avec un soin particulier porté aux détails. Le costume en laine à rayures tennis s’impose. Long et assez étroit, le pantalon est souligné par une bande verticale en satin, évocation d’un pantalon de jogging. Très chic, la veste classique à un seul bouton arbore des revers en satin et une poche appliquée avec des plis creux, à porter avec un sweat-shirt à capuche, un bonnet en laine et des baskets. Bref, une nouvelle allure qui conjugue rigueur, graphisme, confort, nonchalance et humour. A l’image de nos jumeaux.

Carnet d’adresses en page 118.

Barbara Witkowska

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