Dans son vignoble comme dans sa cave, il a pris le parti de préserver l’environnement. Et ce n’est pas tout ! Alois Lageder, le grand viticulteur du Haut-Adige, produisant des vins exceptionnels, affiche aussi son inclination pour l’art contemporain.

Carnet d’adresses en page 114.

Président du Musée d’art moderne et contemporain de Bolzano, Alois Lageder s’investit pleinement dans tous les projets de cette institution régionale qui entend bien faire parler d’elle pour la qualité de ses manifestations et expositions. Si la fonction n’est pas directement opérationnelle, elle a été néanmoins attribuée à ce viticulteur du Haut-Adige pour l’intérêt qu’il porte à l’art d’aujourd’hui et pour la moralité incontestée de sa personnalité. Tous les ouvrages importants sur le vin, comme  » L’Atlas mondial  » de Hugh Johnson, citent la maison Lageder de Magrè, tout près de la frontière autrichienne, comme le must de cette région viticole qui porte le nom de la province la plus septentrionale de la Péninsule.

 » En fait, explique Urs Vetter, bras droit commercial d’Alois Lageder, la rivière Adige a creusé cet immense couloir naturel, cette vallée dont nous, viticulteurs, tirons parti aujourd’hui. Cette plaine étroite, facile à traverser au milieu des Dolomites a, de tout temps, été une voie d’échanges commerciaux. Nous sommes à la frontière de deux très riches régions d’Italie : la Lombardie et la Vénétie. Replacez-vous dans les siècles de gloire de Venise la Sérénissime. Elle avait ses comptoirs en Orient et assurait notamment le commerce avec le centre de l’Europe, dont la puissante Vienne.  » Ancien sommelier passé aux affaires viticoles (il a notamment travaillé en Belgique pour Roger Souvereyns à Hasselt), Urs Vetter poursuit :  » La topographie a engendré des conditions climatiques particulières caractérisées par des journées très chaudes û il fait souvent plus chaud sur nos versants qu’en Sicile û et des nuits très fraîches, ce qui assure une maturation lente du raisin et un bel équilibre dans les vins. Certes nous sommes plus tournés vers les cépages blancs (les 4/5 du vignoble), mais nous réussissons aussi les rouges dont un vin de cépage local, le lagrein.  » Chemin faisant, on découvre une caractéristique du Haut-Adige : la conduite des vignes à près de 2 m de hauteur, système traditionnel pour les vins blancs, encore adopté dans certains vignobles de Alois Lageder. D’une superficie de 14 ha en 1974, l’affaire familiale (on s’appelle Alois Lageder de père en fils depuis des générations) a atteint 63 ha en 1991. Le viticulteur prend alors la décision d’acheter une propriété de 32 ha, le Cason Hirschprunn, dont le palais se trouve au centre de Magrè, à quelques dizaines de mètres de Tör Löwengang, le siège de l’entreprise Lageder.  » Ce fut un investissement que nous digérons encore aujourd’hui, souligne Alois Lageder. Mais, dans la plus petite région viticole d’Italie, le prix d’un morceau de vigne arrive à des sommets astronomiques. Le m2 que j’ai payé 14 euros en 1991 atteint aujourd’hui 54 euros !  »

Né pour succéder à son père (il est le seul garçon parmi cinq filles), Alois Lageder sera très jeune confronté aux devoirs de sa charge. Il n’a que 11 ans quand son papa décède prématurément en 1961.  » Cela a changé beaucoup de choses dans notre vie, confie-t-il. Ma mère qui s’intéressait déjà à la biologie pour notre potager a décidé de nous soigner tous en homéopathie. C’est la seule médecine que je connaisse depuis lors. J’ai pris davantage conscience de l’importance de la nourriture dans notre équilibre. Je suis d’ailleurs devenu végétarien.  » En 1974, lorsqu’il prend en main la destinée du domaine, après ses études d’économie, il lui donne une nouvelle impulsion, aidé de sa s£ur Wendelgard et de son beau-frère, l’£nologue Luis von Dellemann. Il s’investit dans la rénovation du vignoble en donnant la priorité à des méthodes de culture qui respectent les équilibres biologiques. Il poursuit son évolution aujourd’hui en préparant soigneusement le passage en biodynamie. Le jeune homme, qui a aussi le sens des affaires, se rend compte que produire un bon vin ne suffit pas, il faut savoir l’emballer, le présenter pour mieux le vendre, d’autant plus que le Haut-Adige n’est guère connu dans ces années 1970. L’exercice réussit au point tel qu’en 1981 le célèbre viticulteur américain Robert Mondavi demande à le rencontrer, envisageant même d’investir avec son jeune collègue. Les deux hommes ont depuis lors conservé une profonde amitié. Alois Lageder considérant son aîné comme le père qu’il a perdu trop tôt.

L’acquisition de Cason Hirschprunn en 1991 ayant doublé la quantité de raisins à vinifier, le clan Lageder doit faire face à la construction d’une nouvelle cave, entrée en activité pour la vendange 1995. Situé à l’arrière de l’ancienne demeure Löwengang, ce bâtiment surprend d’abord par son enveloppe extérieure : une partie de ses toits est couverte d’une prairie sauvage…  » Cette couche de terre a, bien entendu, une fonction d’isolation. Cela fait partie de notre credo écologique. Nous ne pouvons pas continuer à dépenser des énergies fossiles sans réfléchir.  » Joignant la déclaration d’intention aux actes, Alois Lageder a développé une installation extrêmement fonctionnelle (utilisation de la gravité au fil des étages, optimalisation des distances entre les différentes fonctions). Mais il a surtout privilégié les énergies renouvelables, comme les pompes à chaleur ou les cellules photovoltaïques, consentant ainsi une dépense excédentaire de quelque 30 % pour la construction.

La qualité des vins que produit Alois Lageder est exceptionnelle. La signature de la trentaine d’étiquettes ? La pureté des goûts. Remarquable : le chardonnay Löwengang, un monocépage élégant et harmonieux, beaucoup plus net en goût que les milliers de chardonnays produits de par le monde.

Côté vins blancs, Lageder propose aussi du pinot (blans et gris), du muscat, du sauvignon. Mais une des typicités de la cave (et du Haut-Adige) est le gewürztraminer. Et pour cause, puisque le cépage est né dans le village tout proche, de Tramin (Termeno en italien). Les gewürztraminers de Lageder se distinguent par leur finesse, leurs notes florales délicates et leurs teintes légères de fruits exotiques. Une belle acidité assure la fraîcheur. Numériquement moins importants, les vins rouges sont issus de cabernet et de merlot, sans oublier le lagrein, cépage autochtone qui mérite d’être découvert. Avec ses fruits mûrs, son petit côté chocolaté et floral, c’est un vin masculin à boire dans les 5 à 8 ans. Sous l’étiquette Cason Hirschprunn, enfin, Alois Lageder a concrétisé son rêve de réaliser quatre vins d’assemblage… Mais, ceux-ci ne sont pas commercialisés en Belgique.

Dans la cour du domaine, on est intrigué par quelques éléments insolites… Ce sont des £uvres d’art. Les  » ruches  » sphériques et colorées ont été conçues par Carsten Höller et Rosemarie Trockel. Dans plusieurs endroits de la cave, Matt Mullican a artistiquement disposé des pierres représentant une fraction de la voûte céleste de Magrè. Et dans l’atrium éclairé qui donne accès aux bureaux, on remarque l’opus de Christian Philipp Müller, constituée de trois cubes géants habillés de miroirs et plantés d’une fraction de prairie sauvage.  » J’ai été sensibilisé à l’art contemporain par le père de mon épouse, souligne Alois Lageder. De fil en aiguille, je me suis rendu compte que la partie ancienne de l’art ne m’interpelle pas. Les artistes d’aujourd’hui expriment souvent, au travers de leurs créations, leur interprétation du monde d’aujourd’hui. Et c’est cela qui m’intéresse, me tourner vers le présent et le futur.  »

Pour sa nouvelle cave, Alois Lageder songe à acquérir une sculpture.  » C’est alors qu’on m’a suggéré de m’adresser à des artistes et de leur demander d’investir le lieu. Nous en avons ainsi contacté une vingtaine. La période la plus prenante mais la plus intense fut ce temps que nous avons passé à leur expliquer notre projet, notre philosophie de la vigne et du vin. Nous avons actuellement réalisé quatre projets.  » Le plus mystérieux, signé Mario Aito, a pour cadre la cave à barriques. Lorsqu’on pénètre dans cet espace, des cellules de levures géantes sont projetées sur les murs. Une musique est audible, tantôt nette, tantôt traînante, presque éraillée. Cette installation sonore est en effet mue par l’énergie d’une petite éolienne installée en toiture, histoire de relier l’activité climatique ambiante à l’évolution du vin, de le faire vieillir et bonifier en musique…

Texte et photos : Jean-Pierre Gabriel

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