L’écriture est aussi un sport d’équipe

© KAREL DUERINCKX

Les rues sont pavées d’humeurs, de rencontres, de silences ou d’aveux. Lisette Lombé s’y abandonne et s’y émerveille, humant l’air du temps de sa prose nomade.

Je viens de remonter la rue qui mène chez moi, chargée de victuailles pour le week-end. Il y a un an, j’aurais été essoufflée dès les premiers mètres de la pente. Je sens aujourd’hui tous les bienfaits de plusieurs mois de marche sur mon organisme. J’ai atteint ce palier où prendre soin de ma santé est devenu un rituel-plaisir et non plus une corvée imposée par des diktats extérieurs à ma volonté. Aucune pression. Aucune norme. Juste embrasser ma maturité, en permettant à ma jeunesse de ne plus batailler en moi. Invitation à porter un regard affectueux sur qui nous avons été, qui nous sommes et qui nous devenons. Dialogue doux avec chaque strate de nous-mêmes, jusqu’à l’enfance.

Je me suis vu offrir une montagne de connaissances inédites. Quelle richesse!

Justement, un matin, dans une story Instagram, j’ai demandé à ma communauté: «Que diriez-vous à l’enfant que vous avez été?» Je ne m’attendais pas à ce que cette question suscite un tel engouement. Durant toute la journée, les réponses ne cessèrent d’affluer. Je fus très émue par cette vague de bienveillance envers les petits êtres que tous ces adultes avaient été. Je me permets de partager ici, en anonymisant les commentaires, quelques conseils qui feront peut-être écho à votre propre ressenti.

Tiens bon! Tu vas voir que ça devient bien à un moment donné! Reste intègre à toi-même, ça finit toujours par payer! Tu feras face et tu pourras même grapiller de la joie dans les interstices! Croque la vie à pleines dents! Je t’aime comme tu es et pas comme je voudrais que tu sois! Fais attention aux deux immenses injonctions qui ont déjà commencé à peser sur tes petites épaules: «Fais plaisir!» et «Sois parfait»! Prends-moi la main, on est ensemble maintenant!

Pour ma part, à mon moi-môme, je dirais que rêver de devenir écrivaine n’est pas une sottise, que les rêves peuvent être mis au congélateur pendant de longues années mais continuer à palpiter sous la glace des choix de raison et que, tôt ou tard, on revient à soi, à l’époque de l’innocence, au souffle originel. Je dirais aussi à mon moi-môme que sa couleur de peau n’est pas une malédiction, que son origine sociale n’est pas une tare, que sa puberté n’est pas la fin irrémédiable des rapports de camaraderie entre les garçons et les filles.

On peut critiquer bien des aspects des réseaux sociaux mais cette possibilité de se retrouver autour d’émotions communes, de s’éclairer mutuellement, de se rassurer les uns les autres à distance, cette possibilité-là est magnifique. Je l’expérimente régulièrement. Comme ce dimanche 28 janvier où j’avais posté trois livres sur ma page Facebook. Écrire en marchant de Chantal Deltenre, Le goût de la marche de Jacques Barozzi et L’Homme qui marche de Christian Bobin. Ce dernier m’avait particulièrement retournée. Par sa simplicité, sa spiritualité, par son mystère, son pouvoir d’évocation, par son esthétique du fragment. J’ai invité les personnes qui me suivaient à partager d’autres livres autour de la thématique de la marche. Des pépites, des chocs délicieux, des refuges, des références, des recommandations. Besoin de matière neuve pour irriguer ma pensée entre les lignes, pour m’aventurer hors des sentiers battus.

J’ai reçu une cinquantaine de propositions, à lire mais aussi à écouter ou à visionner. Je connaissais déjà certaines sources mais, dans l’ensemble, je me suis vu offrir une montagne de connaissances inédites. Quelle richesse! Quelle générosité! Quelle invitation à l’humilité! Merci du fond du cœur à toutes ces personnes qui ont partagé spontanément un peu de leur bibliothèque en ce début d’hiver 2023! Peut-être que certaines d’entre elles lisent cette chronique et se reconnaîtront… L’écriture est aussi un travail d’équipe.

Je me méfie des mythes de l’inspiration qui s’abattrait comme la foudre sur les auteurs et les autrices. Dans les faits, combien d’épiphanies, combien de visions, combien de jaillissements, combien de coups de génie, en regard du nombre colossal d’heures de travail passées à ciseler avec minutie les textes, relire, revoir sa copie, parvenir à l’objet-livre. Nous sommes fourmis. Nous restons fourmis. Nous transportons nos imaginaires sur nos dos courbés, page après page, d’un bout à l’autre de la cité.

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