Son nom est sur toutes les lèvres et son visage illumine les écrans. Dans Les innocentes d’Anne Fontaine, en salle actuellement, Lou de Laâge montre l’étendue de son art en interprétant une jeune interne de la Croix-Rouge aidant des religieuses polonaises enceintes suite à des viols de guerre.

Elle partait en tournée le week-end pour jouer, avec une compagnie d’enfants, Peau d’âne, Le tableau des merveilles de Prévert, ou Le Songe d’une nuit d’été. Si, dès l’âge de 10 ans, Lou de Laâge est donc montée sur les planches, ce n’était ni pour qu’on l’écoute ni pour qu’on la remarque : ses parents, ouverts aux désirs de leurs enfants, l’entendaient, la voyaient. Elle rêvait de théâtre, parce que  » c’est plus concret que le cinéma, et puis c’est de chair et d’os « . On tend le bras, et on y est. Le cinéma, pour elle, était une tout autre planète. Lou ne voyait pas comment la connaître, puisqu’elle n’y avait pas directement accès. A l’entendre aujourd’hui, on dirait que c’est assez facile de rejoindre les comédiens sur une estrade. Il y a de la simplicité dans l’air, une méthode acquise au feeling, et la jeune actrice montante semble observer que les choses tombent délicatement du ciel. Elle n’a peut-être pas rêvé de cinéma mais elle a tout de même emprunté la bonne fusée pour incarner, à 25 ans, le premier rôle du nouveau film d’Anne Fontaine, Les innocentes.

Peintre, la mère de Lou laissait à ses enfants toute la maison de campagne bordelaise pour terrain de jeux. Elle les incitait à s’amuser d’un rien, les laissant maîtres d’eux-mêmes, leur imaginaire pour volant et sa tolérance pour rails. Aujourd’hui, le plus jeune frère de Lou est aux beaux-arts et le plus grand, fou de batterie, est devenu ingénieur du son. Leur maman aimait le silence et leur apprenait à ne pas en avoir peur, et surtout à le trouver plein. Et tout leur était permis.  » J’avais des amis qui refusaient de grimper aux arbres parce que ça salissait leurs pantalons et que leurs parents les grondaient. Nous, non. Ma mère préférait qu’on y monte.  » En classe, au contraire,  » il fallait répondre et correspondre aux normes « . Le but de Lou a donc été de ne jamais doubler, afin de quitter au plus vite l’enfer d’un lieu sans subjectivité. L’école était pour elle l’inverse de l’espace nécessaire à chacun. Sa mère lui enseignait aussi le temps, un temps qui s’étire, un temps à la couleur différente de celle qu’on impose en société. Elle était heureuse quand l’ennui se pointait, et satisfaite que sa fille se fabrique des potions magiques pour le combler.

LA TÊTE DE L’EMPLOI

De 10 à 18 ans, âge auquel elle a rejoint une école de théâtre à Paris, Lou de Laâge a nourri son fantasme de la troupe. Elle ressentait une fascination pour la responsabilité de chaque artiste engagé dans un projet. Oui, chacun était libre d’injecter sa folie et sa propre envie à un personnage. Ce sentiment de créer ensemble lui semblait aussi agréable que juste. Sa prof de théâtre lui offrait cette autonomie.  » Dans ce métier, on peut être qui on veut « , dit-elle. Alors, évidemment, on naît tous avec une certaine tête et une certaine énergie, et on renvoie une première image, photogénique ou non, les gens se font une opinion en tout cas, alors on ne peut pas passer à côté de premiers rôles qui collent à la peau. Juste parce qu’on a la tête de l’emploi.

Au début, Lou accepte ces rôles.  » Après, c’est à chacun de trouver une façon de nuancer.  » Elle commence sa carrière par une publicité pour Bourjois. A l’époque, elle a 19 ans et préconise, dès son premier contact avec l’agence, une pub  » discrète « . L’argent lui est nécessaire pour payer son école, mais son objectif étant la scène, elle préfère qu’on ne la voie pas trop. Amusés par sa préoccupation de transparence et sans nul doute conquis, les  » casteurs  » la dirigent gentiment vers l’agence Elizabeth Simpson, qui lui propose assez vite J’aime regarder les filles, un film de Frédéric Louf, sorti en 2011. C’est le premier  » vrai  » long-métrage de Lou, elle a déjà tourné avec sa compagnie de théâtre, mais seulement caméra au poing, à la campagne, chez ses parents. Cette fois, elle est dans le cadre d’un vrai tournage, et l’équipe l’enchante. Les autres n’ont pas l’air de l’effrayer. Une rivalité ?  » On avance véritablement avec les autres et les rencontres.  » Et lorsqu’on lui demande si sa beauté est un frein aux amitiés, elle répond lucidement :  » C’est rarement le problème principal entre femmes.  »

 » SE LAISSER DIRIGER PAR L’IMAGINAIRE  »

Lou de Laâge n’est pas une féministe engagée, mais elle constate que, dans son travail, les femmes ont beaucoup compté jusqu’ici : Mélanie Laurent et Anne Fontaine, par exemple.  » Inconsciemment, j’essaie d’imposer cette sensibilité féminine. Je pense que j’aime participer à cela sans l’intellectualiser.  » En 2014, Mélanie Laurent lui propose le rôle d’une perverse narcissique. La jeune actrice, qui avait pourtant décidé de se consacrer à Entrez et fermez la porte, une pièce de Marie Billetdoux, fond littéralement pour le personnage de Respire et fonce vers cette zone, cet  » endroit  » d’elle-même, moins solaire, plus enfoui, qu’elle a envie de sonder. Elle a déjà joué plusieurs fois le beau chez l’être humain, et la folie l’attire.  » J’aime les rôles sombres, fous, tordus. Je crois que ça permet de faire sortir quelque chose qu’on ne laisse pas échapper parce qu’on se doit d’être éduqué, et que chacun doit s’adapter à chacun. Le cinéma permet de faire sortir ce qu’on ravale.  »

Au fur et à mesure, elle a appris à lire un scénario. Au début, elle avait du mal à l’envisager en film. A présent, elle sait se laisser diriger par l’imaginaire. Elle a surtout compris que la rencontre avec le réalisateur est importante.  » Si ça ne passe pas, ça ne sert à rien.  » Pour Les innocentes d’Anne Fontaine, où elle joue une interne en médecine venant en aide à des religieuses polonaises enceintes – à la suite des viols perpétrés par l’armée russe à la fin de la Seconde Guerre mondiale -, c’était presque naturel, un peu comme un fil à suivre. La réalisatrice et elle se sont immédiatement retrouvées dans une logique commune. Plusieurs des comédiennes qui incarnaient des religieuses polonaises avaient tourné dans Ida, le film tant plébiscité et oscarisé de Pawel Pawlikowski, et jouer à leurs côtés intéressait infiniment Lou de Laâge. En 2015, l’actrice a aussi rencontré Piero Messina, le réalisateur de L’attente, sorti en décembre de la même année et dont elle partage l’affiche avec Juliette Binoche. Messina ne parle qu’italien, et elle a passé le casting sans en connaître un mot. Aucune langue ne les a reliés, mais c’est elle qu’il a choisie. Ils ne sont pas passés par les formalités d’usage. Entre eux, il y a eu l’essentiel, ce qu’elle nomme  » le point de connexion  » :  » Sans jamais parler en dehors, il y a un endroit de travail où on s’est connectés. Il m’a amenée à ce que je devais sortir de moi, mais sans les mots.  » Il n’a pas tenu à ce qu’elle rencontre Juliette Binoche avant le premier jour de tournage. Ce qui lui a permis de s’autoriser ce qu’elle appelle  » cet espace où l’on marche sur des oeufs  » face à une Juliette Binoche généreuse, qui prend aussi de l’autre et connaît bien l’échange. Un tournage peut être tendu, éprouvant, mais jamais destructeur. Lou n’est pas de celles qui fantasment sur un réalisateur autoritaire ou dominant. Ou juste sur Steve McQueen (12 Years a Slave, Shame). S’il l’appelait, même sans lire le scénario, elle dirait oui.

 » NE PAS FORCER LA VIE  »

Fidèle aux mots et habituée au théâtre, Lou de Laâge ne remet jamais en question le texte :  » Si je trouve l’écriture atroce, autant ne pas y aller.  » Un langage pas naturel pour soi, il faut se l’approprier. C’est un  » endroit  » d’émotion et de vérité dans lequel se placer. Les mots ne sont pas des problèmes. Ils sont des solutions et des appuis. Exactement comme les entraînements qu’elle suit parfois avant les films. Pour Jappeloup de Christian Duguay, sorti en 2012, elle a passé deux mois à s’occuper des chevaux. Dans Des gens qui s’embrassent de Danièle Thompson, la même année, elle est violoncelliste. Apprendre à tenir un archet a fait partie de l’aventure. Pour Le tournoi d’Elodie Namer, avec Michelangelo Passaniti (2015), elle a beaucoup regardé les joueurs d’échecs.

Le mimétisme opère toujours. L’amont l’intéresse autant que le résultat, l’envers autant que l’endroit.  » Si le cinéma s’arrête aujourd’hui, je peux devenir palefrenière ! » En attendant la suite, elle n’a pas envie de se rêver un futur.  » Déjà, il y a quand même peu de chances qu’il corresponde à ce que j’imagine. Il ne faut pas forcer la vie. Je dois me laisser surprendre. « 

PAR CLAIRE CASTILLON

 » J’AIME LES RÔLES SOMBRES, FOUS, TORDUS. ILS PERMETTENT DE FAIRE SORTIR CE QU’ON RAVALE. « 

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