Alain Passard, chef breton multi-étoilé, se trouve une nouvelle passion. Son Arpège est aujourd’hui consacré au culte des légumes.
Il y a des transitions douces et des révolutions sans appel. Alain Passard, l’un des chefs français les plus respectés de l’Hexagone, est l’homme des tables rases. Des douze plats qui avaient jusqu’ici assuré la notoriété de L’Arpège, le fameux restaurant qu’il a ouvert à Paris en 1986 (trois étoiles au Michelin, 19 sur 20 chez Gault et Millau), il ne reste rien… Oublié le foie gras aux dattes fourrées de citron, indisponible le carpaccio de langoustines pour lesquels les clients patientaient parfois plusieurs semaines! Ce Breton de 46 ans a pris la décision, en janvier dernier, de partir à la conquête des légumes.
La nouvelle carte de L’Arpège prend des allures de manifeste : en entrée ou en plat principal, on voyage désormais entre les poireaux des sables de la Manche au fenouil vert, les épinards au beurre salé et carottes de sable à l’orange, voire les asperges vertes de la vallée de la Durance. Chez Passard, on ne désosse plus, on écosse, on épluche. Le virage à 180 degrés a dû faire grincer quelques dents. » Je tire volontairement un trait et sans regret sur le passé, se défend le chef. C’est une véritable remise en question. J’éprouve le sentiment avec cette formidable aventure d’aller au fond de ma passion. «
Rien ne prédestinait ce surdoué des fourneaux à se convertir au tout légume. Ses origines et son parcours le placeraient, au contraire, du côté des plaisirs carnés du terroir. C’est avec la volaille et les viandes rouges qu’il fait ses premiers pas au début des années 1970, non loin de chez lui, chez Michel Kéréver, au Lion d’or de Liffré (chef-lieu d’Ille-et-Vilaine). Un apprentissage technique de haut vol qui le forme aussi bien à la rigueur en cuisine que la (dure) vie en salle où s’enchaînent les banquets de soixante couverts.
Passard fait escale ensuite deux années durant à Reims (La Chaumière, trois macarons) puis à Paris à L’Archestrate, où il découvre, aux côtés de Alain Senderens, les secrets de la cuisson. Une expérience qu’il n’a pas oubliée lorsque celui qu’on surnomme l’alchimiste évoque la magie de l’oignon blanc qui grésille dans la poêle. » Il faut savoir faire voyager la sauteuse sur la flamme pour ne pas brusquer les tissus végétaux, s’enthousiasme-t-il. Travailler la flamme pour éviter l’évaporation des essences, se jouer d’elle pour ne pas atténuer les couleurs, la faire danser pour garder leur luminosité et leur transparence. «
Les quatre années passées au Duc d’Enghien, au début des années 1980, marquent véritablement son envol. Passard y décroche une première, puis une deuxième étoile au Guide Michelin. A 26 ans, il est le plus jeune chef de France à obtenir la double distinction de la bible rouge. Mais la Belgique l’appelle déjà. En deux ans à peine, il offrira au restaurant Le Carlton, à Bruxelles, ses deux premières étoiles. Une ascension qui le pousse, il y a quinze ans, à risquer sa propre aventure avec L’Arpège, à Paris.
Aux murs de poirier de la salle principale de son restaurant, Passard a accroché le portrait sépia de Louise, sa grand-mère. Une femme à la beauté étonnament contemporaine et au regard perçant qui l’initiera la première aux plaisirs du fourneau. Sans avoir besoin de le persuader. A 10 ans, Alain réclame un stage chez le pâtissier du village, voisin de ses parents…
Le jeune prodige va acquérir une maturité à la vitesse de l’éclair, couronnée par une pluie d’étoiles. Une renommée sur laquelle Passard n’a jamais compté pour atteindre la plénitude. Preuve s’il en est : sa nouvelle carte qui prend le pari de repartir à zéro. Où ce sont les légumes qui sont accompagnés par les poissons, et non l’inverse. Des légumes issus des quatre coins de l’Hexagone, parfois du monde, enfin considérés pour leur richesse gustative, au moment où la suspicion règne en maître sur la viande rouge. » Les scandales que l’on connaît sont complètement étrangers à ma nouvelle orientation, souligne Passard. J’avais tout simplement envie de revenir aux produits de terre avec le maximum de simplicité. C’est aussi se lancer un nouveau défi pour éviter la monotonie « . Et peu importe si l’alchimiste doit, au passage, y brûler quelques ailes.
Carnet d’adresses en page 91.
Textes et photos: Antoine Moreno
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