Jean Paul Knott, créateur belge, formé à New York et chez Monsieur Saint Laurent, fête les dix ans de sa maison. Avec mille projets, beaux et utiles. Plus ce grain de folie qui n’appartient qu’à lui. Raison de plus pour en faire notre personnalité de l’année.

Et si dix ans, c’était la fin d’un cycle, le début d’un autre ? Et s’il était venu le temps de s’ancrer à Bruxelles pour mieux s’envoler à Tokyo, Saint-Pétersbourg ou Pékin ? Jean Paul Knott, créateur nomade, en sait quelque chose. De son enfance africaine, de son adolescence à Londres, de ses études à New York, au Fashion Institute of Technology, de son apprentissage à Paris, chez Monsieur Saint Laurent, de ses passages chez Krizia, Féraud et Cerruti, de ses pérégrinations multiples, il a gardé une belle constance. Faite de folie douce, de jolies collections, de confessions intimes.

Depuis toujours, depuis 1999, date officielle de son inscription au registre du commerce, sa définition de la mode est celle du Petit Robert, revue à sa façon, soit  » un groupe de gens ayant la même sensibilité, à un moment précis et à un endroit donné « . Rien à voir, précise-t-il, avec une chemise à douze cols, une choucroute sur la tête ou un pantalon à cinq poches. C’est que Jean Paul Knott est un jeune cheval fou qui fait cavalier seul. Sauf quand il demande à des artistes de peindre ses soies, rassemble ce/ceux qu’il aime dans des boutiques transgenres, son KnottShop bruxellois ou les Land of Tomorrow japonais, et prête main-forte à la campagne des Nations unies contre le changement climatique.

Des yeux translucides, une voix grave, des phrases closes, point final, presque à bout de souffle, des mots de tous les jours,  » faire  » pour  » créer  » et la faculté époustouflante de jongler, de rebondir d’un projet l’autre, d’un pays l’autre. Jean Paul Knott, c’est JeanPaulKnott, Knott Galerie Vie, Knott Elyssay – du prêt-à-porter Femme (2X), de l’Homme, une collection par mois ou presque, même pas peur. Sa belle hyperactivité nonchalante a désormais un point d’ancrage, boulevard Barthélémy, le long du canal, à Bruxelles. Bienvenue chez nous.

Cette année fut celle de tous les défis, non ?

Oui, ce fut une année de remise en questionà Un recentrage sur moi-même, un choix de retour à Bruxelles.

Aviez-vous le sentiment de vous éparpiller entre Milan, Paris, Tokyo et Bruxelles ?

De courir après tout, après tout le monde et tout le temps. J’ai fait le choix d’arrêter cette vie-là. Je voulais me sentir vraiment utile. Savoir pourquoi je fais les choses. C’est l’âge qui veut cela, mais c’est aussi la vie, la crise, le monde. Soudain, on envisage tout différemment. J’ai décidé de me poser moins de questions, d’essayer de me simplifier la vie et de faire ce que j’aime. Avant, j’avais quatre vies, j’étais obligé de jouer à plusieurs personnes. Aujourd’hui, j’essaie de jouer avec une seule, c’est déjà suffisantà

Vous fêtez vos dix ans, l’année 2010 sera-t-elle aussi celle de tous les défis ?

(Petit soupir.)

Est-ce un soupir d’angoisse ?

Oui, parce que cela veut dire encore dix ans de galère. Il n’y a, par génération, qu’un créateur qui s’en sort.

Vous aimeriez être celui-là ?

Je ne sais pas, je fais juste ce que je sais faire. J’ai déjà été étoile filanteà Cela n’apporte pas grand-chose, le but c’est d’essayer de durer, de construire quelque chose, avec soi-même, avec son équipe, sa famille, ses amis, et puis avec les clients. Je veux juste essayer de perfectionner mon travail et de faire comprendre mon univers à un maximum de monde.

Vous développerez bientôt votre collection avec un industriel belge, est-ce un choix délibéré ?

Je développe désormais ma collection avec Marc Gysemans et sa société Gysemans Clothing Industry, qui produit des créateurs belges et internationaux. Cela va changer ma vie. Parce que d’un seul coup, j’ai vraiment une structure, ce que j’ai en Asie quand j’y travaille et que je n’avais pas jusqu’à présent chez moi. Et puis Marc Gysemans a toujours cru en les Belges. Cette étape est un passage vers une autre dimension, un essai, peut-être, d’industrialisation de mon travail. Avant, ce n’était rien qu’un artisanat, j’aime l’idée de mélanger désormais les deux. Enfin, réaliser une partie de la production en Belgique, c’est important pour moi, parce que, quoi qu’il arrive, c’est cela qui fera la différence entre du vrai et du faux luxe.

Comment vous sentez-vous en ces temps de crise ?

Je ne me suis jamais senti aussi bien – peut-être, tout à coup, ai-je ma raison d’exister ? Pourtant, il y a un an et demi, j’ai eu très peur, je voyais l’Asie s’effondrer, j’ignorais où on allait. Et je me suis remis en question, beaucoup. Avec mon équipe, nous avons ouvert des petites boutiques éphémères, des pop-up shops, à Saint-Tropez, à Paris. Nous avons commencé à envisager différemment les choses ; qu’elles soient plus souples, plus d’un instant. Provoquer les envies plutôt que les attendre. Et en septembre, à Bruxelles, j’ai ouvert une boutique, KnottShop, rue Lebeau, au Sablon.

Dans cette boutique, on trouve aussi des créateurs géorgien, italien, japonais, belges, des cosmétiques. Pourquoi ?

Je n’avais pas du tout envie d’ouvrir un monomarque, mais plutôt des multimarques, des multi-idées. Je suis de plus en plus antifasciste : je suis pour les mélanges -de genres, de gens, de choses -, pour les oppositions et les dialogues.

On peut y relooker sa  » vieille  » garde-robe JeanPaulKnott. Mais à regarder vos archives, on se demande s’il est vraiment nécessaire de transformer l’un de vos vêtements d’il y a dix ans.

C’est vrai, mon fil rouge est toujours le mêmeà Mais en même temps, il y a eu une énorme évolution, sur la jupe, le pantalon, la robe, la chemise, une amélioration des qualités. Avec une même ligne directrice. C’est sûr je ne vais pas aller à l’opposé. Quand je dis  » relooker « , c’est changer la ceinture qui n’est peut-être plus impeccable ou faire d’un manteau un caban, d’un pantalon, un short ou un trois-quartsà

Vous avez le regard tourné vers le Japon depuis 2005, quels projets y développez-vous ?

Je collabore avec Tomorrow Land, un groupe japonais, sur une collection appelée Knott Galerie Vie. C’est une ligne de prêt-à-porter Femme distribuée au Japon, en Russie et dans ma boutique à Bruxelles. Les matériaux, la fabrication sont japonais ; elle est plus proche de la vie tout en restant du JeanPaulKnott. Et je travaille aussi sur le développement d’une jolie idée : l’élaboration d’un nouveau concept de boutiques au Japon, Land of Tomorrow, où l’on trouve des vêtements pour homme et femme, à tous les prix, des tee-shirts que j’adore, avec la reine d’Angleterre en punk dont une partie de la recette va à la lutte contre la leucémie, le reste sert juste à faire rire les gensà

Pour l’heure, vous terminez votre collection japonaise Knott Galerie Vie de l’automne-hiver 10-11. A quoi ressemblera-t-elle ?

Je travaille sur l’idée de confort, d’opposition des matières, de contraste du brillant et du mat, du transparent et de l’opaque, je travaille aussi sur la légèreté. Pour moi, cela fait partie d’une certaine modernité. Il y aura beaucoup de gris et quelques couleurs. J’ai eu envie de rouge, c’est un peu la seule couleur que j’aime vraiment. A cause de Kate Bush et de sa chanson Red is the color of my heart. Le rouge, c’est la couleur de l’amour. Mais c’est tellement compliqué, la couleur. Ce n’est pas ma force.

Et votre collection printemps-été 2010 que vous venez de présenter ?

Elle ressemble à un petit trip années 80 et 90. Avec toujours cette idée de construire, déconstruire, reconstruire. La collection est basée sur le lien : le lien entre les gens et celui pour construire son vêtement soi-même, en fonction des moments de la vie, à partir d’un ruban de satin avec un petit embout de métal où il est écrit  » It is cool2care « . Cela fait juste une petite brillance, comme un bijou mais qui rappelle le projet CoolPlanet des Nations unies( lire ci-dessous). L’autre idée de la collection était de partir du drap de lit, d’un morceau de tissu. Petit à petit, j’ai commencé à construire le vêtement, en noir, en blanc, puis j’ai ajouté du jaune, de l’absinthe, et du bleu, beaucoup de bleu, parce que j’en avais envie. Je voulais travailler sur l’idée du tissu qui glisse sur la peau, comme une caresse, dès qu’il y a un mouvement.

Avez-vous l’impression que votre anniversaire a changé quelque chose dans la création de cette collection appelée  » Knott Happy Few  » ?

Oui. Chaque saison est un récapitulatif, avec des nouvelles envies. A chaque fois, je fais le point sur ce que j’aimais, ce que je n’aimais pas, ce que je croyais être juste ou pas. Et je repars du départ. Cette saison, encore plus, c’est peut-être logiqueà

A quoi rêvez-vous pour l’instant ?

A lancer très vite une collection JeanPaulKnott Homme. Et à ouvrir une grande boutique, qui s’appellerait Knott house ou la maison de fous. Et fêter cet anniversaire, ces dix ans, penser un livre ou un magazine ou un journal et un grand défilé, mais aussi un truc utile.

Utile, l’adjectif revient souvent.

Je veux essayer d’être utile. Certains de mes vêtements sont roulottés à la main par un atelier de femmes victimes de violences conjugales, ici, à Bruxelles.

Vous êtes également  » Friends of the U.N. « , quel est ce titre ?

Je suis l’ami des Nations unies depuis trois ans. J’ai créé des bracelets bleus pour eux, qui portaient l’inscription  » Nous, les gens du peuple du monde « , dans toutes les langues. J’avais rencontré Afsane Bassir Pour, directrice du Centre régional d’information des Nations unies, je lui avais dit :  » Si vous avez besoin d’aideà  » Cette année, avec le lancement de CoolPlanet et de la campagne  » Seal the Deal « , contre le changement climatique, on m’a demandé d’imaginer des tee-shirts. A 1 euro ! J’ai répondu que le seul moyen à ce prix-là, c’était de les fabriquer en Chine, puis de les transporter en avionà La lutte contre le réchauffement planétaire, avec ça, c’était loupé. Il fallait penser à autre chose, une sorte de fiche cuisine, un do-it-yourself, un vieux tee-shirt blanc à personnaliser, il suffit d’aller voir la video sur YouTube ( jean paul knott nations unies). Du coup, dans toute ma collection, j’ai ajouté des tee-shirts sur lesquels, un par un, j’écris à la mainà

Et qu’y écrivez-vous ?

Des phrases d’artistes – de Klee :  » Plus le monde devient effrayant, plus l’art devient abstrait  » ou Dubuffet :  » Toute forme d’art devrait être brûlée au bout de cinquante ans « . Et une phrase à moi :  » Comment devant les tournesols de Van Gogh ne pas penser à l’étiquette et au prix ? « .

En dix ans de JeanPaulKnott, qu’avez-vous appris ?

Qu’il n’y avait rien d’important. Que seuls comptent l’amour, les amis et voilà. Et aussi que, dans ce métier, il ne fallait pas se prendre au sérieux. Que tout ce qui montait redescendait un jour. Comme disait Cocteau :  » La mode, c’est ce qui se démode.  »

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Par Anne-Françoise Moyson

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