L’art n’est pas qu’une affaire de grands. Alors que les musées multiplient les initiatives à l’attention des plus jeunes, les éditeurs aussi proposent des ouvrages ludiques et interactifs. Weekend vous livre ses bons plans pour une rentrée arty.

Un peu impressionné, le jeune garçon s’est arrêté au pied de l’escalier monumental qui mène à la première salle de l’exposition. A la main, il tient une paire de lunettes en carton aux verres rouge sang qu’il vient de customiser à sa guise en abusant de stickers étoilés. Lorsqu’il la posera sur son nez, il verra soudain la vie en rose, préparé symboliquement à regarder les choses autrement… S’initier à l’art, cela commence de plus en plus tôt. Et tous les moyens sont bons pour donner aux plus jeunes et à leurs parents – parfois refroidis par des souvenirs de visites mortifiantes – l’envie de pousser la porte d’un musée. Weekend a fait pour vous le tour de tout ce qui fait bouger la planète arty.

Les musées.

Au Palais des Beaux-Arts, à Bruxelles. Jusqu’au 14 septembre prochain, se tient l’exposition It’s not only Rock’n’Roll, Baby !, où rock et art plastique se mêlent sous un éclairage inédit. Pour ceux qui ont choisi de faire la visite en famille, le service éducatif du Palais a conçu une mallette pédagogique truffée de surprises pour découvrir les £uvres – parfois un rien déroutantes pour les plus jeunes – de façon ludique et interactive. Au menu : quelques arrêts ciblés au cours desquels, après avoir pris connaissance d’un minimum d’informations, l’enfant est invité à mettre, à son tour, la main à la pâte pour imaginer sa propre pièce inspirée du travail d’un créateur et ainsi mieux saisir sa démarche.  » C’est parfois compliqué de comprendre ce que ces artistes ont voulu dire, reconnaît Sarah qui suit, pour la deuxième fois cet été, un stage organisé par Bozar Studios. Ce sont des rock stars qui ont fait tout cela, et les stars sont souvent bizarres.  » Se référant aux images plutôt dénudées signées Fisherspooner, la fillette a même un avis plus tranché :  » Franchement, je n’ai pas aimé.  » Pour Bozar Studios, il ne s’agit pas de susciter l’adhésion de l’enfant à tout prix.  » Mais d’apprendre à se poser les bonnes questions, en éduquant le regard « , précise Tine Van Goethem, la responsable des Bozar Studios.

Et pour ce faire, rien de tel que le passage à l’acte et l’expérimentation. Organisées depuis longtemps dans les musées de sciences naturelles, ces séances de  » travaux pratiques se multiplient désormais aussi dans les musées d’art plastique plus communément liés à l’idée de contemplation. Une heureuse perspective.

Aux Musées royaux des Beaux-Arts, à Bruxelles. Des livrets thématiques pensés pour les 4-6 ans sont mis à la disposition des parents le temps de la visite. Dès la rentrée, dans l’esprit de ce qui existe déjà au Palais des Beaux-Arts, les adultes qui le souhaitent pourront suivre une visite commentée le dimanche matin pendant que leurs rejetons âgés de 5 à 8 ans participeront à un atelier créatif centré sur deux des expositions phares de la nouvelle saison, consacrées au mouvement CoBrA (à partir du 7 novembre 2008) et à la bande dessinée (à partir du 27 mars 2009).

Au MAC’s, au Grand-Hornu. Le Musée des Arts Contemporains de la Communauté française – qui édite déjà un petit journal pédagogique permettant d’aider les plus jeunes dans leur découverte des expositions thématiques -, lancera, dès le mois de septembre prochain, des ateliers créatifs auxquels petits et grands participeront de concert.  » Le dimanche, après avoir suivi la visite guidée de l’exposition en cours, de 11 à 12 heures, les familles seront conviées à réinventer, de façon personnelle et créative, la fameuse photo de famille en compagnie de la photographe Laurence Vray, détaille France Hanin, responsable du service culturel du MAC’s. Nous inviterons aussi les enfants à participer, le mercredi après-midi, à un atelier de bibliopholie : après avoir découvert des £uvres et livres d’artistes contemporains, ils réaliseront, au départ de photographies qu’ils auront prises durant les 5 rendez-vous du cycle, leur propre livre d’art.  »

Au Musée de Louvain-la-Neuve. Tous les mercredis, des ateliers créatifs sont proposés aux 7-12 ans.  » Les enfants n’ont pas d’inhibition, développe Sylvie De Dryver, responsable du service éducatif. Alors qu’un adulte pourrait se braquer face à une toile monogramme rouge, par exemple, l’enfant, lui, va la regarder sans a priori. Il va observer la taille de l’£uvre, sa couleur, parler des émotions que cela suscite en lui. Il n’y a pas de barrière à la compréhension. Comme pour beaucoup de choses, plus on s’initie tôt au langage artistique, plus on est capable d’apprécier et de développer un sens critique, une ouverture d’esprit qui donnera envie plus tard d’entrer dans un musée.  »

Pour Sylvie De Dryver, il est d’autant plus important de commencer jeune que, dès l’école primaire, certaines méthodes d’apprentissage peuvent avoir tendance à cadenasser l’enfant.  » On demande aux élèves d’écrire droit, de soigner leurs cahiers, de ne plus dépasser quand ils colorient, de ne pas mélanger les couleurs, poursuit-elle. Ce qui peut avoir tendance à freiner un peu la créativité. « 

Face à l’abstraction de certaines £uvres, les méthodes d’approches diffèrent peu d’une institution à l’autre : il s’agit d’aider l’enfant à donner un sens, le sien, à ce qu’il voit.  » Nous commençons toujours par une phase de description de l’objet, précise Sylvie De Dryver. Suivie d’une mise en contexte du travail de l’artiste, pour essayer de comprendre ce qu’il aurait pu exprimer. Ensuite, nous laissons les plus jeunes parler de ce qu’ils ressentent – j’aime, je n’aime pas, j’ai peur, je trouve cela comique – … avant de passer à une activité manuelle qui leur permet de s’approprier l’£uvre par le jeu.  » Et ça plaît…

Les livres.

L’intérêt des enfants – et on s’en doute de leurs parents – est tel que de nombreux éditeurs d’ouvrages d’art développent désormais des collections jeunesse spécialement conçues pour les plus jeunes.

Mango. Outre ses nombreux titres, la maison édite même, 9 fois par an, Dada, un magazine  » qui s’adresse aux enfants mais pas seulement  » et se pose en décodeur d’images.  » Nous vivons dans une société toute tournée vers l’image sans que l’on nous apprenne vraiment à les lire « , peut-on découvrir sur le site Internet de la revue. Son cahier de charges ? Donner des repères d’histoire de l’art, ouvrir l’esprit aux interprétations multiples tout en incitant à la création. Sur 52 pages, les images XXL –  » parce que les enfants sont habitués à de grands formats  » -, défilent, ponctuées de textes  » courts mais exigeants, car les enfants sont des lecteurs à qui l’on ne ment pas.  » Ainsi, dans le dernier numéro entièrement consacré au sculpteur français César, les gamins découvriront la vie de l’artiste mais apprendront aussi à réaliser leur propre  » césar  » à partir de papier aluminium compressé.

Palette. En quatre ans, l’éditeur s’est constitué un catalogue de plus de 70 titres.  » Il n’existait pas à proprement parler de maison d’édition publiant uniquement des livres d’art pour les enfants, souligne Brigitte Stephan, directrice de collection. Or, les grandes expositions attirent aujourd’hui de nombreux enfants et leurs parents – et grands-parents ! – en quête d’ouvrages présentant une ligne éditoriale bien claire dans ce secteur.  » Qu’il s’agisse de monographies documentaires – sur la vie d’un artiste, sur les formes, les couleurs… – ou de livres d’activités – trop longtemps réservés à l’univers des petits Mickey -, l’aspect ludique est toujours très présent.  » Dans notre collection L’Art en formes, les petits dès 4 ans sont invités à reproduire à l’aide d’autocollants repositionnables des £uvres de Kandinsky, Delaunay, Klee ou Calder ou à créer leurs propres tableaux « , poursuit Brigitte Stephan. Dans le Musée des jeux, les plus grands, dès 10 ans, apprendront tout en s’amusant, 1 001 petites choses sur l’histoire de l’art, en complétant un sudoku en chiffres romains ou en retrouvant des petits détails insolites dans des tableaux.

La Réunion des Musées nationaux (RMN) français. Dans la collection qu’elle dirige pour la RMN, Marie Sellier s’attache à des petits détails qui aideront l’enfant à entrer plus facilement dans l’£uvre et à s’y promener, aidé par un texte plus poétique qu’académique.  » L’art n’est pas un luxe, nous en avons tous besoin pour vivre, insiste-t-elle. Jouer avec une £uvre d’art – par le biais de collage ou de coloriage -, c’est un moyen comme un autre d’éduquer l’£il. L’enfant qui s’amuse avec une £uvre de Klimt gardera cette image pour toujours imprimée dans sa mémoire. Mes livres ne cherchent pas à imposer un savoir. Mais à donner à voir. Prendre par la main, guider, montrer et ensuite s’effacer. Contrairement à l’adulte, l’enfant n’a pas d’inhibition. Si on trouve les mots qui le touchent, sans le noyer, il va suivre.  »

L’approche suivie par Claire Merleau-Ponty, cofondatrice du Musée en Herbe, à Paris, et auteur de plusieurs ouvrages édités par la RMN est sensiblement la même. Dans son dernier opus, consacré à Niki de Saint Phalle, les jeunes lecteurs, pris par la main par Pictor, un petit personnage qui visite avec espièglerie l’univers des artistes, feront connaissance avec les sculptures monumentales et multicolores de la créatrice française.

Les coffrets jeux.

Dans les magasins de jouets pointus, l’offre arty commence aussi à gagner du terrain. Comme on a vu se développer, il y a quelques années, les boîtes de  » découvertes scientifiques « , des coffrets  » art plastique  » destinés tant aux filles qu’aux garçons s’annoncent pour la rentrée. Ici, on est loin des images kitsch des kits de  » Peinture par numéro « . Chez Djeco, le cubisme de Picasso, les tableaux abstraits de Paul Klee ou les mangas japonais sont réinterprétés par des artistes contemporains. Aux travers de ces nouvelles £uvres signées Lili Scratchy, Smahane Girardet ou Tiri Botseno, garçons et filles s’initient à la gouache, aux pastels gras et aux feutres pinceaux. Le résultat est étonnant. Un jeu d’enfant, finalement…

Carnet d’adresses en page 40.

Isabelle Willot