C’est dans l’aéroport de Tempelhof à Berlin que l’Anversois Bruno Pieters présentait, en janvier dernier, sa première collection automne-hiver 08-09 Hugo de Hugo Boss. Rencontre exclusive avec un créateur qui a le vent en poupe et récit d’une soirée au cadre très insolite.

L’endroit est pratiquement déjà fermé. Y atterrir est un privilège réservé à quelques rares compagnies aériennes, dont celle qui assure la liaison entre Berlin et Bruxelles. C’est dans le cadre historique de l’aéroport de Tempelhof, situé en plein c£ur de la ville, et qui fut de 1948 à 1949, au début de la guerre froide, le point névralgique du pont aérien qui permettait de ravitailler Berlin, que la marque allemande Hugo Boss a choisi d’ouvrir la fashion week berlinoise en présentant le premier défilé de l’Anversois Bruno Pieters pour sa ligne d’avant-garde Hugo. Neuf cents personnes ont été invitées à découvrir la collection automne-hiver 08-09 pour l’homme et la femme dessinée par le créateur belge. Un événement d’envergure qui se tint trois mois après le happening new-yorkais au cours duquel défila la ligne plus haut de gamme Black. Le show berlinois, qui s’est déroulé à hauteur des portes d’embarquement, était suivi d’un dîner assis où VIP allemands, dont le joueur de tennis Boris Becker, et journalistes, partageaient la même somptueuse table avec vue sur les pistes d’atterrissage.

Quelques heures avant le show, c’est dans une autre aile de l’aéroport, où avaient lieu les essayages, que nous avons rencontré Bruno Pieters. Il semble serein, mais nous confiera que son calme apparent n’est en réalité que le résultat d’un manque de sommeil évident. Toujours fidèle à lui-même, à sa délicate politesse, à son jean noir, à sa chemise blanche rehaussée d’une fine cravate noire, il nous montre quelques silhouettes de la collection. Ensemble, nous nous attardons sur le revers asymétrique d’un pantalon qui fera l’objet du dernier passage du défilé. Bruno Pieters nous explique le travail qui a été également réalisé sur le talon des chaussures, la petite note de fantaisie dans une collection dont la base reste classique. On notera pendant le show de beaux pantalons en flanelle au bas évasé, de la grosse maille, des petites robes portées sur des sous-pulls, le tout décliné dans une palette essentiellement grise jouant aussi sur l’association du noir et du bleu marine. Parfaitement assorti à la femme, l’homme est emmitouflé de grosse laine, coiffé de bonnets, porte des costumes modernes, à la facture à la fois classique et avant-gardiste. Un style minimal et impeccable avec juste ce qu’il faut d’austérité. Les spécialistes y reconnaîtront une influence de Raf Simons des premières années. En toute discrétion, Bruno Pieters nous livre quelques clés pour comprendre son nouveau challenge.

Weekend Le Vif/L’Express : Votre propre ligne et maintenant la direction artistique de Hugo pour Hugo Boss. Vous démultipliez les projets…

Bruno Pieters : Oui, et je dessine également une ligne de sacs pour l’homme chez Delvaux. Elle est d’ailleurs déjà en boutique. Cette collection marche bien et la ligne va être développée. Je viens une fois par semaine à Stuttgart pour Hugo depuis que j’ai été nommé à la direction artistique, en juin dernier, et puis évidemment, il y a ma propre collection Bruno Pieters pour l’homme et la femme que je présente à Paris. C’est bien de mener plusieurs projets à la fois.

Votre collaboration avec Hugo Boss est-elle favorable au rayonnement de votre marque Bruno Pieters ?

Oui, tout à fait, c’est une situation confortable. Financièrement aussi, cela m’aide beaucoup. Travailler pour une grande marque comme Hugo Boss permet d’apprendre plein de choses. Les deux se complètent bien.

On retrouve votre style dans la ligne Hugo. Comment maintenir les deux lignes bien distinctes ?

Mon travail pour Hugo est plus clean, plus graphique que pour ma propre collection qui est plus romantique et qui fait davantage appel à des références à l’histoire de la mode, comme les années 1930 et 1940 par exemple, une époque que j’aime beaucoup. (Première interruptionpar une assistante qui vient montrer à Bruno les dernières finitions du pantalon du tailleur pour femme. Le revers tombe légérement sur le talon, l’entrejambe est un peu large. Bruno nous signale aussi le détail de la poche, ses lignes graphiques.  » Un peu plus court au niveau de la taille « , demande-t-il).

Qu’est-ce qui vous a plu chez Hugo ?

Hugo Boss est la marque numéro un pour les costumes. J’aime ce travail du tailoring et l’idée de revisiter le costume pour l’homme et la femme. Les finitions sont impeccables. Hugo est une ligne à la fois classique et d’avant-garde, c’est la ligne la plus mode de toutes les lignes d’Hugo Boss.

On dit que vous y avez apporté votre touche de sophistication. Qu’en pensez-vous ?

On retrouve peut-être la rigueur qui est la mienne. J’ai dessiné des vêtements mode mais qui ne suivent pas les tendances, que l’on peut garder au fil des saisons. J’aime beaucoup l’association du bleu marine et du noir qui est une combinaison assez classique. La collection a été baptisée  » new realism « .

En quoi consiste précisément votre mission de directeur artistique ?

Je travaille en équipe avec Briton Eyan Allen, le directeur créatif qui s’occupe davantage des marchés où est distribuée la marque. Quant à moi, j’ai carte blanche sur toute l’image, la collection ainsi que la campagne de publicité.

A ce propos, êtes-vous intervenu sur la nouvelle campagne de publicité Hugo ?

(Nouvelle interruption. L’assistante vient soumettre à Bruno le pantalon retouché. Il nous montre les chaussures, nous explique le travail sur le talon, s’empare aussi des bottes vernies qui rappellent celles de sa propre collection d’il y a quelques saisons.)

Comme il s’agissait de ma première, je me suis plutôt concentré sur la collection. Le photographe de la campagne de publicité a changé, ce n’est plus Mario Testino, mais Mario Sorrenti qui a shooté la campagne de publicité de l’hiver 08-09 que l’on découvrira dès le mois d’août prochain. On sentira déjà le changement. Mais je n’interviendrai que petit à petit dans l’image publicitaire.

C’est une collection que vous avez dessinée pour l’homme et la femme. Y a-t-il un couple Hugo ?

Parfaitement. Il y a un lien entre les deux garde-robes. Je n’ai pas voulu dessiner quelque chose de mixte, d’interchangeable. Toutefois, on part sur la même palette de couleurs, les mêmes matières, le même travail du costume pour l’homme et pour la femme. Et je propose des variations sur le pantalon.

Est-ce vous qui avez choisi le lieu du défilé, l’aéroport de Tempelhof ?

Non, mais j’aime beaucoup l’endroit. L’organisation de Hugo Boss choisit toujours des lieux très originaux comme c’était le cas aussi à New York. ( NDLR : pour le défilé de la ligne Black au Cunard Building en plein c£ur de Manhattan).

Aimez-vous Berlin ?

J’aime beaucoup Berlin, j’y ressens une bonne énergie. En termes de culture musicale et de mode notamment. J’anime un atelier ici.

De quelle culture vous inspirez-vous pour dessiner la ligne Hugo ?

De la culture allemande. De ce minimalisme rigoureux. La culture allemande est très riche par son histoire mais aussi au travers de ses courants de peinture et de photographie.

Toujours Anversois alors ?

Oui, j’aime beaucoup Paris et New York. Mais pour l’instant, je reste à Anvers. C’est une petite ville où tout le monde se connaît, on peut travailler, c’est paisible.

Avez-vous des amis parmi les créateurs anversois ?

Oui, pour cette collection, j’ai téléphoné à Raf Simons. Il a été très sympathique, et m’a donné quelques conseils.

Que pensez-vous du phénomène actuel qui fait que tous les Belges investissent en ce moment les maisons de mode ? (Lire aussi notre dossier en page 51.)

C’est vrai, c’est incroyable. ( Il compte tout haut.) Il y a Raf Simons chez Jil Sander, Olivier Theyskens chez Nina Ricci, Kris Van Assche chez Dior Homme, Jean Paul Knott chez Cerrutti, moi-même chez Hugo Boss… Je pense que ces maisons-là cherchaient quelqu’un et que ces profils-là leur correspondaient. Et puis les Belges sont des gens assez réalistes et travailleurs.

Ne s’adaptent-ils pas davantage ? Ceci en raison de leur côté multiculturel ?

Oui je le pense aussi. C’est possible.

(Nouvelle et dernière interruption. Bruno Pieters va organiser l’ordre de passage des modèles. Il nous confie qu’il a choisi des visages assez nordiques et anguleux. Pas de tops belges. Ni Anouck Lepeire, ni Hanne Gaby, qui était à Hong Kong pour un défilé Miu Miu, n’étaient disponibles, même s’il aime particulièrement cette dernière pour son visage moderne, tout à fait avant-gardiste qui correspond parfaitement à la nouvelle image de Hugo.)

Propos recueillis par Agnès Trémoulet

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