L’équation du toujours plus
Le créateur français Stéphane Plassier propose un art de vivre novateur aux adeptes de l’élégance casual chic et décontractée. Pour eux, il imagine des vêtements et des accessoires de décoration coordonnés très contemporains.
A l’aube des années 1980, la ville de Rennes assiste à l’éclosion d’une génération spontanée de jeunes talents qui s’illustrent dans les domaines les plus divers. Parmi ces artistes en herbe on retrouve, pour ne citer que les plus célèbres d’entre eux, Etienne Daho, Muriel Moreno et Daniel Chevenez alias » Niagara » et… un jeune plasticien nommé Stéphane Plassier. Son diplôme en arts plastiques et histoire de l’art en poche, le bouillant créateur décide rapidement de » monter » à Paris pour tenter de se faire une place au soleil. Dès le départ, il se fixe pour objectif de devenir un designer dans le sens large du terme. Il entend, en effet, créer à la fois de la mode, des objets, des décors de théâtre ou encore relooker l’image de diverses entreprises. Pari réussi puisque Stéphane Plassier signe actuellement des collections de vêtements et de sous-vêtements masculins et féminins, de la vaisselle en porcelaine pour Raynaud, des objets de décoration et les décors de la pièce de théâtre » Bérénice » interprétée par Lambert Wilson. Rencontre avec un jeune homme au sens de l’humour affûté et jamais en panne d’idées…
Weekend Le Vif/L’Express: Comment votre carrière a-t-elle démarré dans l’univers de la mode?
Stéphane Plassier: En matière de couture, lorsque j’ai débarqué à Paris, j’ignorais tout de la technique. Je ne savais pas où acheter les tissus et je n’étais même pas capable d’expliquer ce qu’est un droit fil (rires). L’univers de la couture et de la mode m’était tout à fait étranger mais je voulais absolument créer ma propre collection. J’ai eu la possibilité d’organiser un défilé grâce à Madeleine Renaud qui m’a prêté son théâtre. Mes premiers clients se sont signalés après ce show. C’est ainsi que mon » aventure » a démarré.
Quels sont vos maîtres à créer?
En mode, c’est ma rencontre avec Sheila Hicks, une cliente américaine qui fait de la sculpture, qui a vraiment joué le rôle de détonateur. Après ma troisième ou quatrième collection, elle m’a proposé de rencontrer un vieux monsieur très intéressant. En fait, il s’agissait de Jacques Tiffau, l’ami de Christian Dior qui avait hérité de la moitié de sa fortune après la mort du créateur. Aux Etats-Unis, il a créé la maison Tiffaut, une marque très célèbre sur ce marché. Il a d’ailleurs même été le couturier de Marlène Dietrich. A la fin de sa vie, désabusé, il est revenu à Paris et, pendant trois ans, il m’a transmis tout son savoir. C’est vraiment lui qui m’a permis de devenir ce que je suis à l’heure actuelle.
Qu’est-ce qui vous tient particulièrement à coeur dans l’univers de la mode?
La matière textile est un élément fondamental de ma vie. Autant en grand qu’en petit format, je lui voue une affection sans borne. Lorsque je regarde fonctionner un métier à tisser ou à tricoter dans une usine, j’ai l’impression d’être plongé dans un univers magique. A mes yeux, ce sont les temps modernes dans toute leur grandeur. Ces machines sont presque organiques, on a parfois l’impression de se trouver face à un animal.
Vous créez des vêtements masculins et féminins. Utilisez-vous un langage différent pour vous adresser aux hommes et aux femmes?
Je tiens le même discours dans mes collections masculines et féminines. Mais j’avoue que c’est un vaste programme de créer des collections sectorisées de manière horizontale pour qu’ensuite, en glanant des pièces éparses, chacun choisisse sa silhouette. En fait, je propose un peu l’inverse d’un diktat. Si je faisais de la haute couture, j’imposerais une silhouette. Ma manière de travailler repose principalement sur la notion de confort. Je pense qu’on peut très bien associer des choses confortables à l’oeil, au toucher et à l’usage tout en affirmant un vrai style.
Comment concevez-vous vos collections?
Je suis plutôt matinal. J’adore, par exemple, me promener dans Paris entre 5 heures et 9 heures du matin. C’est le moment où je peux me rendre en toute sérénité dans mes jardins secrets pour grappiller des idées d’inspiration. Je me rends souvent dans le sud de la France ou dans les îles pour être seul et dessiner à l’aise. Je suis également très inspiré par les matières que je découvre pour la première fois. Par exemple, lorsque je vais à l’atelier de porcelaine je n’ai pas forcément des croquis préparés au millimètre près. Dès que je suis en contact avec la matière, vient un moment de grâce où les idées naissent spontanément.
En matière de création, n’est-il pas de plus en plus difficile de surprendre et d’étonner dans un milieu où tout a été dit et inventé?
Le tout consiste à avoir la bonne idée au bon moment. C’est un peu comme dans le milieu industriel où l’on applique la théorie du » just in time « . Pourquoi mon » plateau repas » ( NDLR: un plateau en porcelaine comprenant un mug à couvercle et deux raviers), un concept que j’ai créé il y a quelques temps déjà, remporte-t-il actuellement un franc succès ? Tout simplement parce qu’il arrive au moment où nous évoluons dans un art de vivre pluriel, dont l’un des aspects est exclusivement masculin. En effet, auparavant les gens adoptaient toujours les modèles familiaux classiques. Aujourd’hui, tant les célibataires masculins que féminins adoptent volontiers le style de vie » garçonnière « . Le complexe de » la table mal dressée sans bouquet de fleurs au milieu » a complètement disparu. Plus personne n’hésite à se faire une soirée plateau repas en solo, en couple ou entre amis. Donc oui, c’est compliqué d’encore surprendre. Mais si on est vraiment en phase avec ce que l’on crée, si l’on ne fait pas un » shopping » d’idées dans les créations des autres pour recycler du vide, on trouve également un public réceptif.
Vous fixez-vous des limites que vous refusez de franchir?
Oui, je mets certaines idées en veilleuse, par exemple. Ainsi, pour la ligne de porcelaine, je ne veux pas brûler les étapes. Je mets certains éléments en place et je n’en développerai d’autres que lorsque j’estimerai qu’ils ont une légitimité. Question création, il y a des choses que je ne me permets pas de faire parce je ne suis pas peintre ou sculpteur. Ces artistes peuvent réaliser des pièces uniques. Dans mon cas, si un produit ne peut être réalisé industriellement, je ne le commercialise pas.
Vous venez aussi de lancer la ligne Stéphane Plassier Shirt+. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette collection?
Par le biais de cette collection, j’espère apporter un plus à l’univers de l’homme et de la chemise en me différenciant de la concurrence. On y retrouve, par exemple, une chemise en coton blanc dont le dos et les bras sont en maille en côtes diminuées afin d’offrir un maximum de confort. En outre, comme j’ai choisi deux variétés de coton, ils réagissent de la même manière lors d’un lavage en machine et l’on évite ainsi tout problème de rétrécissement. C’est aussi une ouverture, une parenthèse qui permet d’assurer l’unité de notre gamme de produits. Shirt + Underwear + porcelaine… C’est une belle équation, non ?
Comment vous est venue l’idée de mettre en parallèle une ligne de chemises et de sous-vêtements avec une collection de porcelaine ?
Je n’ai pas spécialement envie de repenser les choses qui me satisfont sur le marché. Par contre, quand je crée un objet, j’en ressens le besoin profond. Ma vaisselle est un concept qui n’existe pas en grande distribution. Je suis parti du principe que les adeptes du style de vie Stéphane Plassier ne dorment pas en pyjama. En général, ils se couchent nus ou en sous-vêtements et, pour cette raison, sont de grands amateurs de tee-shirts classiques. Il m’est apparu très logique de leur faire une proposition qui s’inscrit dans cette idée. Lorsque, le matin, avant d’entamer sa journée de travail, on porte des sous-vêtements très épurés et bien coupés, la vaisselle classique ou design semble bien précieuse et délicate. J’ai donc dessiné des plateaux repas sobres et pratiques qui sont le prolongement de ma vision de la mode.
Pensez-vous vos objets comme une collection de prêt-à-porter?
Oui, d’autant plus que j’ai découvert que ces deux univers sont voisins. En fait, on entre dans une usine de porcelaine comme dans un atelier de couture. On y retrouve également un fichier contenant les noms des clients en face desquels sont notés les modèles fabriqués spécialement pour eux. On travaille le vêtement avec une modéliste alors que l’on crée la porcelaine avec un modeleur. Enfin, en mode les premières toiles sont faites en écru alors que les premières pièces de vaisselle sont moulées en plâtre blanc… Dans les deux cas, on ne s’occupe de la couleur et des ornementations qu’en dernier ressort.
Selon vous, y a-t-il une approche féminine et masculine de la décoration ?
Actuellement, la mode privilégie le style androgyne et cette tendance se prolonge tout naturellement en décoration. Les vêtements et les objets sont de moins en moins sexués. Au départ, j’ai pensé ma porcelaine plutôt pour les hommes mais en fin de compte, elle s’adresse à tout le monde. C’est un peu comme le Pyrex qui n’est ni féminin, ni masculin. Par contre, la porcelaine traditionnelle me semble en général trop féminine.
Vous avez également créé une montre pour Swatch, parlez-nous de cette expérience.
C’était un job passionnant. Pour le moment, je viens d’aménager une nouvelle boutique pour le Swatch Group à Paris. Ils voulaient en effet exposer leurs 15 marques dans un même lieu tout en respectant l’identité de chacune. J’aimerais beaucoup dessiner une nouvelle montre, il y a encore beaucoup à faire dans ce domaine. J’ai d’ailleurs une idée toute simple et bien pratique que j’espère bien pouvoir mettre en pratique un de ces jours.
Beaucoup de créateurs lancent leur parfum. Cette expérience vous tente-t-elle?
J’ai un ou deux projets en ce domaine mais je crois qu’il est encore trop tôt. Tout est une question de moment et lancer un parfum à ce stade du développement de ma marque ne serait pas encore cohérent. En outre, il y a tellement de parfums qui sentent très bon et qui sont tellement bien » marketés » que je n’éprouve pas vraiment le besoin de créer une nouvelle senteur. Je n’ai pas envie de proposer un enième » jus » à la mode…
Quels univers souhaiteriez-vous encore aborder?
J’adorerais me frotter au monde du train et du voyage. C’est un moyen de déplacement formidable. Malheureusement, aujourd’hui on conçoit les trains comme des avions. On se contente d’aligner un maximum de sièges dans un wagon afin d’assurer une rentabilité optimale. Jadis, on aménageait des coins salons équipés de sièges mobiles et de restaurants. En Suisse, il y a d’ailleurs un survivant de cette époque que l’on appelle » La Souris » (NDLR: ancienne rame TEE). Ce train fait le tour des lacs et accueille à son bord des tables et des chaises mobiles qui se déplacent à volonté dans le compartiment restaurant. A chaque place assise, on trouve une sélection de magazines masculins ou féminins. Cette ambiance invite vraiment au voyage. J’adorerais aménager des gares et des trains dans cet esprit pour leur insuffler plus de convivialité. Ce sont des lieux magiques, des espaces de vie qu’il faut améliorer.
Carnet d’adresses en page 121.
Serge Lvoff
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