Barbara Witkowska Journaliste

Dix nouvelles fragrances, dont quatre rééditions des années 1920 ! Une superbe balade parfumée qui reflète les moments forts de la vie de Coco Chanel. Gros plans sur la collection  » Les Exclusifs  » de Chanel.

Bel Respiro, Coromandel, 28 La Pausa, 31 rue Cambon, N° 18… Ces appellations simples, empreintes de charme et de mystère, font toutes référence à un épisode romanesque de la vie de Coco Chanel. Ces senteurs sublimes ont été composées par Jacques Polge pour la toute nouvelle collection  » Les Exclusifs  » de Chanel.

Créateur fécond et brillant, Jacques Polge continue à écrire la légende olfactive de la prestigieuse maison parisienne. Pour  » Les Exclusifs  » de Chanel, il a aussi remis au goût du jour quatre fragrances, créées dans les années 1920 par Ernest Beaux : N° 22, Cuir de Russie, Bois des Iles et Gardénia. Et il a ajouté une nouvelle Eau de Cologne, car son odeur subtile et discrète fait partie des incontournables de la grande parfumerie. Ces dix créations exceptionnelles, très élégantes et indémodables, signent en quelque sorte, de façon olfactive, l’histoire et la richesse de la griffe. Elles sont intimement liées au style Chanel et totalement en phase avec l’esprit de la maison.

Les 6 nouvelles créations

Jacques Polge est arrivé chez Chanel en 1978. On lui doit quelques belles réussites. Citons Coco, Allure, Coco Mademoiselle, Chance, Allure Sensuelle ainsi que les masculins Antaeus, Egoïste, Allure Homme et Allure Homme Sport. Dans son travail, il est inspiré en permanence par la personnalité de Mademoiselle. Il connaît si bien son histoire, son style, ses objets fétiches et les lieux qu’elle aimait fréquenter, qu’il a voulu en donner son interprétation très personnelle, bien que très révélatrice des différentes facettes de la couturière. La créativité de Jacques Polge est sans limite, ses ressources sont inépuisables, mais au bout du compte, il a fallu faire une sélection. Voici donc cinq petits chefs-d’£uvre olfactifs qui suivent à la trace la vie de Coco Chanel. La sixième création, une Eau de Cologne, est un petit clin d’£il à la tradition, car la Maison en proposait une à son catalogue dès 1924.

Bel Respiro. C’est le nom de la maison que Chanel achète en 1920, à Garches, situé dans la grande banlieue parisienne, non loin de Versailles. A cette époque, l’ambiance y est encore bucolique. Les Parisiens  » stressés  » viennent y chercher un grand bol d’air pur. Coco Chanel  » améliore  » la maison à son goût et fait repeindre les murs en beige et les volets en noir, au grand dam de tous les voisins ! Un long séjour d’Igor Stravinski constitue un des temps forts de l’histoire de  » Bel Respiro « . Le célèbre musicien y compose des £uvres pour piano et la Symphonie d’instruments à vent. Pour restituer olfactivement ce paradis vert, Jacques Polge a composé un parfum végétal. La superbe partition égrène des notes d’herbes froissées, des senteurs de garrigue, quelques accords de cuir frais et une bouffée d’accents aromatiques.

28 La Pausa. En 1928, Coco Chanel s’offre une propriété dans le Midi. De la colline où est situé le terrain, on a une vue plongeante sur Menton, Monte-Carlo et la côté italienne. Mademoiselle donne des instructions très précises aux architectes : elle veut trois corps de bâtiment à volets gris qui s’ouvrent sur un patio entouré de lourdes colonnes.  » La Pausa  » est une maison de vacances et de ressourcement. Elle accueille les amis fidèles : le duc de Westminster, Gala et Salvador Dali, Jean Cocteau ou Paul Iribe. Pour illustrer ces ambiances de détente raffinée, Jacques Polge a mis en scène une matière première rare, luxueuse et onéreuse : l’iris de Florence. Grâce à une savante alchimie, celui-ci nous apparaît non seulement poudré, mais aussi terreux, radieux et secret.

Coromandel. Lorsque Coco Chanel découvre les paravents de laque chinois, les fameux Coromandel, elle croit  » s’en évanouir de bonheur « . Au fil du temps, sa collection devient impressionnante, il y en a dans toutes ses résidences. Elle les traite de façon iconoclaste et désinvolte, les découpe pour en tapisser les murs, les change de place et les déménage d’un endroit à l’autre. Les antiquaires sont scandalisés. Imperturbable, Chanel s’en fiche et prouve une fois de plus qu’elle n’attache aucune importance au prix. Ce qui compte, c’est son plaisir ! Jacques Polge a admirablement transcrit ce mouvement perpétuel. Vif et vibrant, Coromandel est une ode à l’accord ambré qui ne cesse d’évoluer et dévoiler au fil du temps de nouvelles facettes, tandis que les notes boisées lui apportent du nerf et de l’élégance.

N° 18. Depuis 1997, le N° 18 de la place Vendôme, à Paris, est l’écrin rêvé pour la haute joaillerie Chanel. Ce lieu, Mademoiselle l’a souvent contemplé depuis son balcon de l’hôtel du Ritz qui se trouve juste en face. Le prestigieux hôtel particulier a été rénové dans les règles de l’art. Moquette et soieries beiges, lustres en cristal de roche, beaux miroirs, canapés de daim havane, panneaux Coromandel, encore et toujours… Pour évoquer la splendeur de la joaillerie, Jacques Polge a pensé à une matière première rare et onéreuse, utilisée toujours avec parcimonie. Il s’agit de la fleur d’ambrette (fleur d’hibiscus), employée ici à profusion. Le  » N° 18  » est une fragrance totalement nouvelle qui ne ressemble à aucune autre et qui laisse tout simplement vagabonder nos émotions.

31, rue Cambon. Ce lieu est sacré. La légende de Chanel a commencé ici et l’histoire s’y poursuit toujours. Coco a débuté sa carrière comme modiste. Dès 1910, elle installe son atelier au 21, rue Cambon. Dix ans plus tard,  » riche et célèbre « , elle peut s’offrir l’immeuble situé au 31. Elle le décore à son goût et l’aménagement intérieur n’a subi, depuis lors, aucun changement : boutique au rez-de-chaussée, salons au premier, appartements au second, ateliers haute couture au troisième. Dans son appartement, peuplé d’objets et d’£uvres d’art rares et éclectiques, règne un goût exquis. Coco Chanel y vit, y reçoit, mais n’y passe pas les nuits. Dès que vient le soir, elle retourne au Ritz. Cet endroit exceptionnel appelait une fragrance exceptionnelle. Jacques Polge s’est tourné vers le chypre, une famille encore absente du patrimoine olfactif de la maison.  » Déshabillé  » de la mousse de chêne, l’accord chypre traditionnel est superbement rajeuni, éclatant et lumineux.

Eau de Cologne. Impossible de manquer, dans une collection aussi prestigieuse, la célèbre Eau de Cologne,  » la  » valeur sûre de la grande parfumerie depuis 1725. Sa recette est simple et incontournable : hespéridées, néroli et petit grain, parfois relevés de quelques aromates. Jacques Polge a bien entendu respecté les règles du jeu mais il a sélectionné un néroli (ou fleur d’oranger) d’une qualité exceptionnelle et s’est montré, par ailleurs, très généreux dans le dosage. Résultat ? Une Cologne  » chanelisante « , superbement raffinée et élégante.

Les 4 reconstitutions des années 1920

Né à Moscou, Ernest Beaux créait des parfums pour la cour des tsars. Après la Révolution, il s’est installé en France et a rencontré Coco Chanel par l’intermédiaire du duc Dimitri (cousin du dernier tsar), l’amant, à l’époque, de la grande couturière. La réputation d’Ernest Beaux était immense. Lorsque Mademoiselle décide de lancer son premier parfum, en 1921, s’est donc à lui qu’elle s’adresse. Ainsi naît le  » N° 5 « , parfum  » révolutionnaire « , dans la mesure où il utilise, pour la première fois, une overdose d’aldéhydes, ces corps synthétiques, associés à des essences naturelles de grande qualité, le jasmin, la rose et l’ylang-ylang. Les élégantes adorent ! Et les créations se succèdent…

N° 22. Galvanisé par cet enthousiasme, Ernest Beaux conçoit, l’année suivante, en 1922, une nouvelle fragrance. Coco Chanel la baptise le  » N° 22 « . Rompant avec la tradition des noms compliqués, typiques de l’époque, la Mademoiselle préfère, en effet, la simplicité et la symbolique des chiffres. Un rien moins  » pointu  » que son prédécesseur, le  » N° 22  » est également un fleuri-aldéhydé, construit selon le même concept que le  » N° 5 « , mais la noix de muscade de Madagascar, le vétiver d’Haïti, la vanille Bourbon et l’iris de Florence lui tressent un sillage plus suave et poudré.

Gardénia. En 1925, Coco Chanel est titillée par le désir d’une nouvelle création olfactive, allant à contresens de toutes les tendances de l’époque qui privilégient les sillages figuratifs, lourds, puissants et épicés. Mademoiselle veut innover et pense à un soliflore. Son choix se porte sur le gardénia, l’équivalent odorant du camélia, sa fleur préférée, à laquelle elle voue une admiration sans bornes. Le hic ? Le gardénia ne veut pas livrer son parfum et il est donc impossible de l’extraire. Qu’à cela ne tienne ! Ernest Beaux va l’interpréter et le réinventer. A coups de substances chimiques, d’aldéhydes et d’essences naturelles (fruits sucrés, noix de coco et vanille…), il imagine une nouvelle poésie du gardénia, audacieuse et abstraite, pleine de force et d’esprit.

Bois des Iles. L’année 1926 ouvre un nouveau chapitre dans l’histoire olfactive de la maison Chanel. L’exposition des Arts décoratifs, organisée un an auparavant, a lancé la mode du noir, ainsi que d’un bel orange, appelé  » tango « . Les happy few s’emballent pour les Arts Premiers, on danse au Bal Nègre, Joséphine Baker est adulée, l’exotisme fait fureur dans la mode et la décoration. Coco Chanel et Ernest Beaux interprètent ce  » désir d’ailleurs  » avec  » Bois des Iles « . C’est le premier grand boisé féminin dans l’histoire de la parfumerie. Une merveilleuse évasion vers les terres lointaines. Gorgées de soleil, la mandarine de Sicile et la bergamote de Calabre lui donnent un départ limpide et éclatant. Le c£ur est fleuri et met en scène le bouquet préféré d’Ernest Beaux : le jasmin de Grasse, la rose d’Orient et l’ylang-ylang des Comores. Le souffle envoûtant du sillage joue sur les caresses de la fève tonka, de la vanille Bourbon et d’un subtil accord santal-vétiver. C’est troublant, mais pas obsédant, classique et rare à la fois.

Cuir de Russie. En 1927, Paris vit à l’heure russe. Les aristocrates ayant fui la Révolution sont intarissables et leurs récits colorés font fantasmer sur les immenses espaces sous la neige, les balades en traîneaux, les datchas, les chevauchées des Cosaques et les splendeurs des églises orthodoxes. Coco Chanel et Ernest Beaux donnent leur version de ce paradis slave dans Cuir de Russie, une fragrance de caractère, à la fois suave et racée. Ce cuir-fleuri prend son envol avec la fleur d’oranger de Tunisie, la bergamote de Calabre et la mandarine de Sicile. Le c£ur déploie le déjà classique bouquet de jasmin, de rose et d’ylang-ylang et le sillage dévoile une sublime harmonie ambrée et résinée de bois de bouleau d’Albanie et de styrax.

Ces quatre succès des Années folles qui suivirent de près le  » N° 5 « , ont été fidèlement reconstitués par Jacques Polge. Un véritable enchantement !

Barbara Witkowska

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