Entre satire et film d’auteur, la mode s’invitera une fois encore sur grand écran en 2016. Grandes et petites maisons produisent aussi de plus en plus de courts-métrages pour se raconter autrement.

On ne pouvait pas rêver plus bel effet d’annonce. Le 10 mars 2015, face à un public oscillant entre l’étonnement et la franche rigolade, Ben Stiller et Owen Wilson, la démarche exagérément chaloupée, foulent le podium du défilé Valentino, l’un des shows les plus exclusifs de la Fashion Week parisienne. Près de quinze ans après les premiers méfaits de Derek Zoolander et Hansel McDonald, les deux top models de pacotille se sont vu dérouler le tapis rouge – on est loin ici des intrusions sauvages de Sacha Baron Cohen hijackant littéralement le défilé de la créatrice espagnole Agatha Ruiz de la Prada en septembre 2008 – jusque dans les backstages. Cette mise en scène soignée, comprenant même une  » fausse  » séance de photos aux côtés d’Anna Wintour – une bénédiction implicite du projet par la papesse du style -, signait donc le retour du duo star de Zoolander, en piste pour un deuxième volet dont la sortie est prévue en Belgique le 16 mars prochain. Dans un tout autre genre et c’est bien peu de le dire, Olivier Assayas vient quant à lui de terminer Personal Shopper, une histoire de fantômes en marge du milieu de la mode, dont on ne sait pas grand-chose encore si ce n’est que le réalisateur français y retrouvera Kristen Stewart, moins de deux ans après la présentation, à Cannes, de Sils Maria, opus pour lequel la maison Chanel ne s’était pas contentée de parer les comédiennes de vêtements, bijoux et accessoires. La marque avait également permis au cinéaste de travailler en 35 mm comme il le souhaitait. Elle-même égérie de la griffe au double C depuis plusieurs saisons, l’actrice, qui interprète ici une jeune Américaine gagnant sa vie à Paris en faisant du shopping pour une célébrité, tient également le rôle-titre du dernier court-métrage de Karl Lagerfeld. Dans cette production de 11 minutes et 13 secondes, présentée en décembre dernier au coeur même des studios de Cinecittà à Rome, en guise de mise en bouche avant le défilé des Métiers d’art de la griffe, les costumes sont les véritables stars au même titre que la maison Chanel qui signe d’ailleurs la production.

SCIENCE DE LA COM’

Ces nouveaux formats qui ne respectent en rien les codes des publicités classiques fleurissent presque quotidiennement sur le Net. Ces objets viraux, connus sous la dénomination générique de  » fashion films  » sont devenus un genre médiatique à part entière, comme en témoignent les nombreux festivals organisés un peu partout dans le monde pour les mettre à l’honneur.  » Aujourd’hui, toutes les marques, quelles que soient leurs tailles, réalisent ce type de courts-métrages, avec plus ou moins de succès, note Diane Pernet, fondatrice du festival A Shaded View on Fashion Film (ASVOFF) dont la huitième édition, présidée par Jean Paul Gaultier, s’est tenue à Paris en décembre dernier. S’il existe une tendance, elle est narrative avant tout. Ce sont de vrais films qui racontent de vraies petites histoires, la mode est simplement intégrée dedans et n’est bien souvent pas le sujet principal du récit. On est très loin ici du simple shooting en mouvement.  »

(Faire) parler de soi, surtout sans en avoir l’air, raconter l’univers de son label autrement, sur les réseaux sociaux comme sur le grand écran, est donc devenu une science de la communication à part entière.  » Nous vivons dans une ère de convergence, note Philippe Reynaert, directeur de Wallimage. Un ado aujourd’hui voit bien plus de films sur YouTube qu’en salle ! Toutes les formes d’images et de sons doivent être prises en compte car un nouveau langage est en train de s’inventer là. Il faut que les cinéastes investissent aussi ces canaux, adaptent leur rhétorique à ces formats plus courts.  »

Les gros plans propices à faire plus aisément passer des émotions sur un écran de smartphone s’invitent au montage. Ce cadrage serré au plus près des comédiens – et des vêtements qu’ils portent – est celui qu’a choisi Karl Lagerfeld pour saisir Kristen Stewart dans une étonnante mise en abyme d’elle-même en train d’interpréter une jeune actrice capricieuse en plein tournage d’une oeuvre racontant la vie… de Coco Chanel.  » Même si le cinéphile que je suis l’admet de mauvaise grâce, sa prestation est fantastique, déroutante même, lâche Philippe Reynaert. Cela fera sûrement partie de sa filmographie.  »

Si ces images resteront dans les mémoires, c’est sans doute également parce qu’elles s’approprient les codes pour mieux les détourner avec dérision du (faux dans ce cas-ci) documentaire et du biopic, deux genres qui, depuis quelques années déjà, ont fait de la sphère fashion l’un de leurs sujets de prédilection.  » Dans sa quête perpétuelle de nouveaux héros, l’industrie du septième art a sans cesse besoin de figures emblématiques, poursuit Philippe Reynaert. En ce sens, les personnalités flamboyantes de la mode sont du pain bénit pour les scénaristes, car hériter de l’écriture d’un biopic est loin d’être un exercice aussi simple que cela en a l’air. Il faut qu’il y ait une quête, un antagonisme, une rédemption, sans quoi l’histoire ne tiendrait pas la route. Donc malheureusement (ou heureusement) pour eux, toute une série de créateurs menant une vie bien tranquille n’inspireront jamais le grand écran. Coco Chanel en revanche, parce qu’elle organisait déjà de son vivant son propre storytelling, est par essence un vrai  » caractère  » comme disent les Américains.  »

En diffusant sur le Net ses défilés en temps réel ou presque, en les ouvrant ainsi à la planète entière, le secteur s’est désacralisé et la curiosité à son égard ne cesse de s’amplifier. Tout ce qui touche de près ou de loin à son monde et à son entourage fascine comme le cinéma et ses coulisses ont pu et peuvent le faire encore.  » Lorsqu’elle se raconte en fiction, via un documentaire indépendant ou un film autoproduit, la mode n’enlève rien à son mystère, au contraire, conclut Diane Pernet. Elle offre une porte d’entrée dans son univers.  » Et pousse au rêve. Ce pilier inestimable de son cahier des charges.

ISABELLE WILLOT

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