En l’espace de deux décennies, une poignée de nos entreprises s’est lancée à la conquête de l’univers du mobilier d’extérieur, et s’est fait une place au sein des maisons d’élite. Focus sur les principaux acteurs de ce florissant secteur, et les raisons de leur succès.

Quand on parle du prestige de notre pays à l’étranger, il est généralement question d’un tas de produits alimentaires des plus réjouissants malgré leurs discutables propriétés diététiques – bière, chocolat et consorts, on vous en épargne l’énumération. Voire, plus récemment, de disques ou de Palmes d’or, merci à Stromae et aux Dardenne. Mais le mobilier d’extérieur, une de nos spécialités, vraiment ? Eh bien oui, et même si le grand public en entend rarement parler, les exemples de réussite ne manquent pas.

Fraîchement passé à la tête du Centre technique de l’industrie du bois, Chris De Roock a été pendant vingt-cinq ans directeur Economie et innovation de la Fedustria (Fédération belge de l’industrie du textile, du bois et de l’ameublement), et a pu assister à l’ascension des griffes belges depuis les premières loges.  » Avant l’arrivée de ces marques au début des années 90, le mobilier d’extérieur souffrait d’une image un peu cheap, on ne trouvait que ces chaises en plastique blanc qui tournait vite au gris, se souvient-il. En véritables pionniers, les Belges ont élevé les exigences en termes de qualité, d’innovation et de créativité, et ce bien avant que d’autres compagnies déjà établies ne suivent la voie. Une audace qui leur permit d’atteindre le sommet au niveau international.  »

Car la Belgique représente un marché trop réduit, qui a contraint nos labels à miser sur l’export dès leurs prémices. Mais si petit soit-il, notre pays représente généralement un cinquième de leurs ventes totales, un score plus qu’honorable à l’échelle mondiale, qui n’a finalement rien d’étonnant. Proverbialement arrosé tout au long de l’année, notre territoire a constitué un terreau fertile où le succès des rois de l’outdoor a pris racine. Selon Chris De Roock,  » les ménages belges déboursent chaque année une centaine de millions d’euros pour du mobilier de jardin. Ils estiment que c’est un investissement plutôt qu’une dépense, et sont prêts à y mettre le prix. Cette propension à payer a pu servir de base solide à nos entreprises pour croître jusqu’à aujourd’hui, et surmonter la crise sans trop de difficultés.  »

L’EFFET CABRIO

La Belgique, berceau de l’industrie du farniente ensoleillé, grâce à la légendaire brique dans le ventre de ses habitants ? Oui, du moins en partie, car de façon étrangement logique, notre météo capricieuse a elle aussi joué un rôle déterminant ; un paradoxe que Dirk Wynants, sympathique fondateur de la marque Extremis, appelle  » l’effet cabrio  » :  » Où vend-on le plus de cabriolets ? En Angleterre, une nation pourtant pas réputée pour ses beaux jours. On observe le même genre de phénomène pour le mobilier d’extérieur, que l’on pense plus populaire dans les contrées chaudes alors qu’il n’en est rien. Au contraire, sous un climat comme le nôtre, le soleil est d’autant plus apprécié du fait de sa rareté, et on veut s’offrir des meubles qui nous permettront d’en jouir de manière optimale. Ce n’est pas à Dubai que l’on s’installe dehors pour faire bronzette.  »

Dirk Wynants s’est taillé une image de bon vivant dès son premier projet, sous forme de déclaration d’intention, une large table ronde intitulée Gargantua. Très vite, il parvint à imposer les atypiques créations Extremis dans un secteur souvent trop sage ; à chaque grand salon international, son stand est assuré d’un afflux constant de visiteurs, venus profiter de son hospitalité et de la Tremist, cette bière artisanale qu’il fait brasser avec son propre houblon. Contacté depuis Chicago, il nous explique :  » Notre concept est centré sur l’humain plutôt que sur la performance, la forme ou le designer. Notre slogan  » Tools for togetherness  » ( » Des outils pour vivre ensemble « ) n’est pas une promesse en l’air ; pour nous, l’interaction des utilisateurs passe avant le mobilier lui-même. Au risque de sonner pompeux, on essaye de faire du monde un endroit meilleur, ce qui est selon moi l’objectif du  » bon  » design. Et les échos de mes clients me confirment que nos produits contribuent à leurs beaux moments, c’est la principale valeur ajoutée des meubles Extremis.  » Anticipant les futures mutations de la vie en communauté et l’intérêt grandissant pour les initiatives collectives, ce principe de convivialité a rencontré un large public, favorisant une croissance solide et une présence dans pas moins de quatre-vingts pays.

LE BIG THREE

En dépit de son évidente réussite, Extremis reste assez modeste face aux  » big three « , les trois compagnies qui composent le podium des plus gros chiffres d’affaires, soit une fourchette oscillant entre une quinzaine et près de vingt-cinq millions d’euros. A tout seigneur, tout honneur, le poids lourd du secteur s’appelle Royal Botania. Une success-story qui débute indirectement sur les bancs de l’université d’Anvers, où se rencontrent un jour deux futurs ingénieurs, Kris Van Puyvelde et Frank Boschman. Les deux hommes sympathisent mais se perdent ensuite de vue, pour ne se retrouver qu’en 1992, alors que chacun est prêt à lancer sa propre affaire, et décider de s’associer afin d’importer du mobilier en teck. Rapidement, ils élargissent leur champ d’activité au-delà du bois exotique, persuadés d’avoir mieux à offrir que des meubles démodés et de piètre qualité. Leur entreprise s’appellera Royal Botania, et elle emploie aujourd’hui plus de 800 personnes, dont la majorité en Asie du Sud-Est. S’ils n’abandonnent pas le teck (désormais sélectionné selon un programme du WWF), c’en est fini du style colonial des débuts : la ligne se veut minimaliste, raffinée et d’une qualité irréprochable. Hérité de Léonard de Vinci, leur mantra –  » Les détails font la perfection, et la perfection n’est pas un détail  » – a fait merveille dans d’innombrables hôtels, resorts et restaurants, de l’enclave singapourienne de Sentosa Cove – surnommée  » l’adresse la plus prisée au monde  » – à la station tyrolienne de Kitzbühel, et autres refuges pour nantis où l’on ne badine pas avec le haut de gamme.

Le top du luxe, la société limbourgeoise Tribù connaît bien, pour avoir été l’une des premières à le viser. Créée en 1966 par Henri De Cock, elle est reprise par son fils Lode après sa disparition inopinée en 1987 et c’est à cette période que la Tribù familiale trouve un nouvel élan, et s’agrandit bientôt avec l’intégration de la troisième génération au sein de l’organigramme. Le mérite de Lode De Cock est d’avoir très tôt envisagé la terrasse ou le jardin comme une réelle extension de la maison, estimant dès lors nécessaire de conserver les standards de confort et d’élégance pratiqués dans les pièces de vie. Il y a presque vingt ans, il exposait déjà ses collections visionnaires au Salon international du meuble de Milan, à une époque où l’aménagement extérieur se contentait de solutions fonctionnelles. Sa production intemporelle, chic et éthique, a contribué à ouvrir une voie dont d’autres ont pu profiter par la suite. A l’instar de Manutti, qui parvint à se hisser au deuxième rang du classement malgré son entrée en course plus tardive, en 2002 seulement.

 » UNE CERTAINE CLASSE  »

Si son nom évoque l’Italie, Manutti bat pourtant pavillon noir-jaune-rouge, et force est de constater que l’entreprise porte nos couleurs de plutôt belle manière hors de nos frontières. A peine rentrée de l’International furniture fair de Singapour, sa directrice commerciale, Hilde Baekelandt, nous dévoile les raisons d’une si spectaculaire progression :  » Elle résulte de plusieurs facteurs, parmi lesquels le nombre élevé de nos déplacements. Notre équipe parcourt la planète à la rencontre des acheteurs, et l’on mesure quotidiennement la portée de cette connexion. Il ne faut pas surestimer les moyens de communication modernes, rien ne remplace un véritable contact avec le client.  »

Et outre ces importants moyens mis au service de l’occupation de terrain, Manutti injecte constamment des fonds en recherche et développement, comme lors du long processus nécessaire à l’élaboration de produits en Quaryl, un matériau innovant fait de quartz et de résine, mis au point par Villeroy & Boch. Cette philosophie résolument tournée vers l’avenir, on la doit à Stephane De Winter, père du label, une forte personnalité qui peut compter sur l’enthousiasme de ses troupes, récompensées l’an dernier par un prix international, le Red Dot Award, décerné à la collection Elements. Chez Manutti, on a instauré un style à la fois classique et contemporain qui se revendique  » commercial mais d’une certaine classe « , dont on peut se faire une idée en parcourant la partie pro du site Internet : du Marriott de Cannes au célèbre Caesars de Las Vegas, les  » pièces de haute couture  » siglées du M rouge ont envahi les palaces les plus sélects, mais aussi des installations de sociétés aussi variées que Coca-Cola, Deloitte ou la BBC. Et même quelques ambassades et consulats belges, dont les utilisateurs apprécient certainement les confortables avantages de cet acte de préférence pour le design  » made in Belgium « .

LA RELÈVE

Ces modèles de carton économique ne manquent pas d’inspirer d’autres fabricants, qui espèrent un jour connaître semblable prospérité, voire entrer en concurrence avec leurs glorieux aînés. Pour y arriver, il s’agira de mettre toutes les chances de son côté et c’est ce que semble avoir fait Yves De Rudder lors du lancement de sa marque de  » nomadisme urbain « , Eauase, en confiant le modèle-phare au designer Tom De Vrieze, lauréat du prestigieux Prix Henry Van de Velde.

A l’inverse, d’autres jouent sur la complémentarité et se consacrent aux accessoires et ustensiles indispensables à la vie au grand air – on peut mentionner les poteries Domani de Lokeren, référence de l’aménagement d’extérieurs de standing. Plus récemment, des petits nouveaux comme Zee ou Xala ont fait leur apparition, et ne proposent qu’un choix restreint d’articles bien pensés, dans un catalogue qui s’agrandit au fil des saisons. Après son enrouleur de tuyau d’arrosage Mirtoon, primé en 2012, Zee s’est attaqué à la réalisation d’une douche outdoor, exercice périlleux qui méritait tout le savoir-faire de notre Designer de l’année 2012, Alain Gilles :  » Le produit devait rester neutre et intemporel, il ne fallait surtout pas présenter quelque chose d’hyper déco, mais un élément qui structure la terrasse ou le jardin sans l’envahir. Passe-partout, sans consonance péjorative. C’est presque un simple travail de justesse, pour éviter de prendre le pas sur d’autres pièces de mobilier plus typées.  »

Basé près d’Anvers depuis ses débuts en 2010, Xala a également pris le soin de s’attacher les talents d’un autre de nos Designers de l’année, en la personne de Sylvain Willenz, pour étendre sa collection avec le seau Drop, après avoir commercialisé son emblématique Lungo, version pratique et moderne de l’arrosoir en plastique. Facilement reconnaissable avec son look de cafetière des années 20, ce produit signé Davy Grosemans a marqué les premiers pas de Xala sur le marché domestique – et chez nos voisins, car les  » must-haves  » de Xala ont connu un démarrage aussi fulgurant qu’inattendu aux Pays-Bas. Si l’on excepte cette petite anomalie néerlandaise, peut-on enfin déclarer que leur outdoor a permis aux Belges de devenir prophètes en leur pays ? Pour une fois, et presque sans le savoir, il semblerait que oui.

PAR MATHIEU NGUYEN

 » Les Belges furent les premiers à prendre l’outdoor au sérieux.  »

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