Barbara Witkowska Journaliste

Souvenirs d’enfance, arômes et saveurs, effluves d’amour… Michel Almairac, Marc Buxton et Maurice Roucel passent aux aveux et nous livrent, pêle-mêle, leurs émois olfactifs.

Son dernier  » bébé  » est un parfum pour homme et porte la prestigieuse signature de Dunhill.  » Il s’agit d’une réinterprétation de la fougère classique, explique Michel Almairac. Composée dans les règles de l’art, la fougère réunit la mousse, la coumarine et le géranium. Avec le temps, la coumarine a disparu. Je viens de la réintroduire chez Dunhill, dans une concentration importante. Elle apporte beaucoup de fraîcheur moderne. C’est une fragrance subtile, tout en nuances qui se marie avec une belle chemise bien propre.  »

Michel Almairac est né à Grasse, le berceau de la grande parfumerie classique et française. Petit, il a un coup de c£ur pour Habanita de Molinard, porté par sa mère,  » simple et puissant, d’une écriture géniale « . Mais c’est en visitant un laboratoire que sa vocation se dessine. Fasciné par les blouses blanches, par la batterie de petits flacons bien rangés, par l’ambiance studieuse et concentrée, il décide de faire partie, lui aussi, de cet univers. A l’école de parfumerie de Roure (société de création de parfums), il mémorise les notes et leurs interactions, se familiarise avec les contrastes (le citron par rapport au patchouli ou au benjoin, par exemple), étudie les proportions et les dosages, apprend à reconstruire, par la synthèse, les matières premières existantes, comme la rose ou le jasmin. En 1978, on lui propose un poste à Paris, chez Roure, toujours. Michel Almairac exulte :  » C’était une véritable reconnaissance, le tremplin pour tester mes capacités. Imaginez un musicien de village qu’on appelle pour jouer à l’opéra. Mon ambition était de travailler sur les produits prestigieux, pour les couturiers. C’est la partie la plus noble du métier, la plus attirante.  »

A Paris, Michel Almairac crée, en 1982, L’Eau de Gucci, un grand bouquet de fleurs blanches, Cashmir, un somptueux oriental pour Chopard, Burberry’s of London, un féminin élégant. Il y a six ans, il trouve son  » nid douillet  » chez Robertet, à Paris toujours, une société à taille humaine, comme il les apprécie. Les belles compositions se suivent et ne se ressemblent pas. Rush de Gucci est un tourbillon rouge et explosif de jasmin, de coriandre, de patchouli et de vétiver Bourbon. Dans Rush 2, vibrant et irrésistible, les notes de rose, de freesia et de musc, nappées d’effets boisées, se piquent de notes vertes : mousse de chêne, narcisse et bois de palmier. Pour Montblanc, il compose Présence d’une Femme, un floral oriental où la douceur de la tangerine et la délicatesse du cyclamen s’enveloppent dans la chaleur du bois de santal et du bois de palissandre. L’année 2003 est faste en parfums masculins, avec trois créations chic et classiques pour Gucci, Rochas et aujourd’hui Dunhill. Petite confidence, enfin : Michel Almairac ne porte jamais de parfum, car ça le gêne dans son travail. Et le week-end, il fait le break pour respirer l’air pur !

Innover au masculin

L’Anglais Mark Buxton a vécu longtemps en Allemagne. Aujourd’hui, il travaille à Paris. C’est à Bruxelles qu’il nous a présenté Comme des Garçons 2, une fragrance envoûtante, un peu mystique, empreinte d’odeurs d’encens et de bois précieux. Singulière. Comme est singulier son parcours. Mark Buxton est né à Derby, d’un père anglais, restaurateur, et d’une mère allemande.  » Un souvenir a marqué mon enfance, note-t-il. Chaque année, à Noël, mon père offrait à ma mère un flacon de Chanel N° 5. Quand j’avais 5 ans, j’ai voulu l’examiner de près. Le flacon est tombé dans le lavabo et s’est cassé en mille morceaux. Pendant des années, la salle de bains a embaumé le N° 5.  »

Plus tard, pour des raisons professionnelles, la famille s’installe en Allemagne. L’adolescent passe beaucoup de temps en cuisine avec les chefs. A 13 ans, ses odeurs préférées sont le beurre, l’huile d’olive et l’échalote. Il rêve de devenir cuisinier. Il sera parfumeur, par le plus grand des hasards.  » Je venais de passer le bac, raconte-t-il. Avec un copain, on se baladait à Göttingen. En passant devant une parfumerie, on a eu l’idée de participer à  » Wetten Das « , une émission de télé très populaire. Notre défi ? La  » prétention  » de connaître tous les parfums du monde. La préparation a duré six semaines. J’ai mémorisé 150 parfums masculins, mon copain s’est chargé des féminins. Bon, on a perdu le pari, mais ce n’était pas bien grave, car il y avait des retombées intéressantes.  » En effet, Mark Buxton, spontané, très à l’aise, a littéralement crevé l’écran. On lui propose d’animer une émission de musique, le Top 50. Il est contacté aussi par le responsable marketing d’une société de parfums. Celui-ci, bluffé par sa prestation à la télé, lui propose de suivre des cours à l’école de la parfumerie, intégrée à la société. Troisième bonne nouvelle, l’école de mode à Hambourg, dirigée par Jil Sander, où il a posé sa candidature, l’informe que celle-ci est acceptée. Face à cette avalanche de propositions, toutes aussi tentantes, le choix est cornélien…

Mark Buxton se dirige finalement vers la parfumerie et se rend heureusement très vite compte qu’il ne s’est pas trompé. L’univers des odeurs le fascine. Après sa formation, il a l’opportunité de venir travailler à Paris où il demeure maintenant depuis dix-sept ans. Après des haltes dans différentes sociétés, il s’est posé chez Symrise. Pour Salvador Dali, il a créé les deux succès ronds et sensuels : Laguna et Dalissime. Le premier est une belle corbeille de fruits (citron, mandarine, prune et ananas), admirablement rechauffés par la vanille de la Réunion et le santal de Madagascar. Dans Dalissime, un somptueux bouquet de roses et de fleurs blanches est souligné par la douceur exquise des muscs et de la vanille. A son palmarès, Mark Buxton a inscrit des variantes saisonnières de Pasha de Cartier, V/S de Versace, Très Jourdan de Charles Jourdan et une belle brochette de masculins chic, pour Jacomo, Daniel Hechter, Alain Delon, Francesco Smalto et Jacques Fath. Les masculins ont d’ailleurs sa préférence, car le marché est moins exploité. Le parfum dont il est le plus fier ? Comme des Garçons 2, épicé, balsamique et ambré, hors norme, un brin déroutant, mais très captivant.

Créer avec la tête, pas avec le nez

Kenzoair de Kenzo sortira en Belgique fin février prochain. C’est un vétiver, mais version Kenzo, simple, frais et léger. Pour commencer, une overdose de bergamote, bousculée par l’anis, s’envole dans un grand souffle de fraîcheur. Puis apparaît, dans un équilibre délicieux, une multitude de notes boisées claires et de notes cédrées, ambrées, musquées, rassemblées autour de l’huile essentielle de vétiver de Haïti.  » C’est la première fois que je travaille pour Kenzo, souligne Maurice Roucel. Quand ils m’ont contacté, j’étais quasi sûr qu’ils allaient me demander un vétiver. Et, effectivement, c’est ce qui s’est passé  » Avec ce franc-parler sympathique qui le caractérise, Maurice Roucel précise illico :  » Je ne suis pas un « nez » ! Mais un compositeur. Un parfum, ça se créé avec la tête, pas avec le nez. Nous faisons le même travail que les peintres ou les musiciens. Eux, ils mélangent les sons et les couleurs. Nous mélangeons les odeurs.  »

Avant l’art, la science ! Chimiste de formation, Maurice Roucel entre, en 1973, chez Chanel pour monter un laboratoire chromatographique (le chromatographe est un appareil capable d’analyser les odeurs à la place du nez). Par la même occasion, il découvre l’univers des matières premières. Autodidacte, il se taille rapidement une réputation de  » compositeur de parfums « . Chez IFF, puis chez Quest (sociétés de création de parfums), il signe de très beaux bouquets, dont Tocade pour Rochas, 24 Faubourg pour Hermès et Gucci Envy. Un moment, il rejoint le cercle des poètes de Frédéric Malle, éditeur parisien de parfums rares. Son Musc Ravageur est un concentré torride d’animalité et de sensualité sur un lit de vanilles. Succès absolu.

Aujourd’hui, Maurice Roucel £uvre pour Symrise, est basé à New York, mais continue à travailler pour l’Europe. Avec Sylvaine Delacourte, directrice du développement des parfums chez Guerlain, il a composé à quatre mains L’Instant de Guerlain. Ce merveilleux floral ambré repose sur le magnolia de Chine, l’une des fleurs fétiches de Maurice Roucel. Sa fraîcheur limpide traverse la fragrance comme un laser, de la note de tête, à celle de fond. Très à l’aise dans les masculins et dans les féminins, le compositeur confie une légère préférence pour la création de fragrances féminines, car il aime les notes ambrées et sensuelles.  » Cela dit, conclut-il, c’est un faux débat, car un parfum n’a pas de sexe. Il sent bon ou pas bon. Cette notion de parfums masculins et féminins est apparue au moment ou les femmes et les hommes ont commencé à avoir des problèmes de féminité et de virilité.  » Voilà qui mérite réflexion…

Barbara Witkowska

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