De passage à Paris, la reine de la pop, qui fête sa 7e tournée – Sticky and Sweet (Collant et sucré) – a reçu Weekend. Plus frêle qu’on ne l’imagine, moins cinglante qu’on ne la décrit, Madonna, 50 ans, est de bonne humeur et, du coup, son entourage sourit aussi. Interview sans fards.

Une confession, d’entrée de jeu. En 2006, lors du discours donné devant les Nations unies pour l’association Raising Malawi, dont elle est la cofondatrice, l’icône absolue a stigmatisé sa réputation gagnée, notamment,  » pour avoir été ambitieuse, scandaleuse, irrévérencieuse « . Et elle complétait ce portrait par :  » Un jour, je me suis réveilléeà  » Mais pourquoi donc une telle autocritique ?  » Il était important et nécessaire de parler de moi à c£ur ouvert, souligne Madonna. Les gens sont touchés quand ils sentent que vous dites la vérité. C’est seulement à ce moment-là qu’ils vous écoutentà Et s’ils vous écoutent, on peut avoir un impact sur eux. Mais je vous assure que ce speech a été l’un des moments les plus stressants de ma vie. « 

Weekend Le Vif/L’Express : Vous avez adopté un petit garçon, David, originaire du Malawi, produit un documentaire sur ce pays, l’un des plus pauvres du monde, qui compte plus d’un million d’orphelins du sidaà D’où vient cette soudaine  » révélation  » d’une Afrique, hélas, dévastée depuis longtemps ?

Madonna : J’étais déjà largement concernée par la misère du monde. Et, durant ma participation au Live Earth, j’avais eu de longues conversations avec Al Gore, qui organisait le concert. Mais la découverte du Malawi m’a amenée, c’est vrai, à m’engager tout à fait et à être à l’initiative du documentaire I Am Because We Are. Tout est dit dans le titre, tiré d’une expression bantoue :  » Je ne peux pas me définir sans toi « . C’est même l’essence du film. Ce qui m’a le plus frappée, au fond, et c’est finalement une idée banale qu’il est bon de rappeler, c’est que nous sommes tous semblables, nous avons les mêmes espoirs, les mêmes craintes. Mais la souffrance peut aussi se trouver au coin de la rue. On n’a pas besoin de faire des milliers de kilomètres pour s’en apercevoir.

Un film peut-il transformer quelqu’un ?

Des artistes ont bien changé mon existence. Alors, pourquoi pas ? C’est le sens de l’art. De la création. Le cycle de la vie.

Alors, quel est le message principal de Hard Candy, votre dernier CD ?

Le disque est ouvert à toutes les interprétations. Certains vont se focaliser sur le côté fun, sympa. D’autres sur la face mélancolique. Cela dépend de ce que l’on recherche. Hard Candy, c’est à la fois le dur et le sucré.

Dans votre tube 4 Minutes, Justin Timberlake, qui chante en duo avec vous, met en garde :  » Nous n’avons plus que quatre minutes pour sauver le monde « .

Il faut cesser d’être stupide et aller droit au but. Cela ne signifie pas que j’ai décidé d’arrêter de m’amuser. On peut s’amuser et avoir une conscience.

Au fond, qu’est-ce que vous préférez dans ce métier ? Le processus créatif ou bien monter sur scène ?

Ecrire. Des chansons, des scénarios, des contes pour enfantsà Quoique vérifier en live comment la musique vous relie aux gens reste des moments fortsà Quand je suis passée à l’Olympia, au mois de mai dernier, ce temple qui a accueilli Edith Piaf, que j’adore, je pouvais enfin voir les spectateurs dans les yeux. Moi qui suis habituée aux salles gigantesques, ça change !

Chacune de vos  » rentrées  » discographiques dévoile un nouveau look, un nouvel esprit, une nouvelle tendance. Faut-il se réinventer sans cesse pour survivre dans le show-business ?

Je ne sais pas. Je ne sais pas ( en français). Durer dépend d’une infinité d’élémentsà Je ne suis pas persuadée que tout repose sur cette réinvention de soi-même, mais plutôt sur des événements qui vous permettent d’évoluer, qui vous poussent en avant. La curiosité, par exemple, le fait de se poser des questions sont de bons moteurs. Et, souvent, les réponses sont moins importantes que les questions.

Est-il plus difficile pour une femme de se faire un nom dans le show-business ?

Je ne crois pas. En supposant que ce soit un métier d’hommes, beaucoup de filles le font très bien. Finalement, le spectacle reste un business très féminin. Regardez David Bowie, Justin Timberlake et même Lenny Kravitzà C’est très féminin de s’habiller, de se maquiller, de danser sur scène. En général, dans la vie, les garçons regardent, les femmes distraient (rires).

Une génération de femmes a été marquée par vos provocations, votre liberté sexuelleà Etre un modèle donne-t-il une responsabilité supplémentaire ?

Oui et, à la fois, je n’y pense pas tout le temps. Mais je suis heureuse d’inspirer les femmesà et aussi les hommes.

Vous avez toujours combattu pour les libertésà

Mmm mmm.

Et vous ? Qui étaient vos guides ?

Si je pense aux grandes figures qui m’ont impressionnée quand j’étais jeune, cela fait un étrange kaléidoscope. David Bowie assurément. Martha Graham. Frida Kahlo. Des personnes qui ont mené des vies anticonventionnelles. Qui ont expérimenté leurs parts féminine et masculine. Qui étaient très créatives.

Aviez-vous des posters dans votre chambre d’adolescente ?

Non. Aucun poster.

Quels étaient vos rêves à 20 ans ?

Trouver de quoi me nourrir à chaque repas.

Et aujourd’hui ? Que considérez-vous comme votre plus grand accomplissement ?

Mon plus grand challenge est d’avoir fondé une famille. D’être sûre et certaine d’être impliquée dans la vie de mes enfants, de les comprendre et de comprendre les choix que je fais, car je sais qu’ils vont peser sur eux. Je veux qu’ils sachent que je suis toujours à leur écoute. Mais je veux aussi pouvoir m’exprimer artistiquement et m’épanouir. Combiner les deux, oui, voilà un éternel défi.

Vous qui connaissez les rouages de la célébrité en quoi a-t-elle détruit des jeunes vedettes comme Britney Spears ?

Je crois que ce genre de dégâts n’est pas forcément dû à la célébrité. Ce que Britney traverse, beaucoup d’adolescents, beaucoup de gens sensibles le vivent aussi. C’est être projeté dans tous les sens, ne pas avoir eu de véritable enfance, ni avoir eu le temps de goûter à l’innocence. C’est grandir et faire des erreurs en étant coupé du monde réel. La chrysalide a du mal à devenir papillon.

Selon vous, quel est le plus grand malentendu sur Madonna ?

On ne comprend pas mon sens de l’humour, mon ironie, en tout cas aux Etats-Unis, où tout ce que je fais et dis est pris au premier degré. Cela commence à évoluerà

Donatella Versace a déclaré que vous étiez  » directe, déterminée mais vulnérable  » ?

Hum hum.

Vous acceptez cette part de vulnérabilité ? Est-ce une force pour vous ?

Je l’accepte.

C’est nouveau ?

Non. Cela a toujours été ainsi. C’est mon paradoxe intime. La plupart des artistes forts, ambitieux, la majorité des bêtes de scène ont un côté sensible, timide. Comment créer si l’on n’est pas sensible. Alors, non, cette vulnérabilité ne me dérange pas.

Sur scène, vous sentez-vous invincible ?

Oui et aussi fragile. De toute façon, comme Shakespeare l’a écrit :  » Le monde entier est une scène « .

Qu’est-ce que vous aimez le moins dans ce job, excepté les interviews ?

Les horaires. Les réveils. Le manque de sommeil. Ne pas avoir assez de temps pour jouer de la musique.

Votre mère est décédée quand vous aviez 6 ans. Quelles valeurs votre père vous a-t-il transmises ?

Mon père avait une belle manière très têtue d’envisager la vie. Il me répétait sans cesse :  » Si tu veux quelque chose, tu peux l’obtenir. Ne te repose pas sur les autres, va la chercher toi-même.  » C’est ce que j’ai fait. Et c’est ce que j’inculque à mes enfants. Mais j’ai plus de difficultés que lui à le leur faire intégrer.

Et sur l’amour ? Quels conseils vous a-t-il donnés ?

C’est un homme viril, à l’ancienne, qui ne montre pas beaucoup ses sentiments. Mais je sais que ma mère était l’amour de sa vie. J’ai lu des lettres qu’il lui a écrites quand ils étaient mariés, puis après sa mort, et je peux vous dire qu’il l’aimait vraiment. Mon romantisme, je le lui dois.

Êtes-vous une mère copine ?

Je suis une mamanà qui peut être stricte sur certains points. Avec ma fille, la ligne blanche a été franchie quand elle a ouvert mon placard et a essayé mes vêtements. Parfois, elle a l’impression d’être ma petite s£ur. Ma petite chipie de s£ur, ma petite emprunteuse chérie.

Chanteuse, danseuse, auteur, réalisatrice, productrice, stylisteà Êtes-vous créative parce que vous êtes pleine d’énergie ? Ou pour la décupler ?

C’est la même chose. L’un ne va pas sans l’autre. Pour déployer une énergie démesurée, il faut d’abord en accumuler. Si vous penchez pour des choses physiques, éphémères, vous devez contrebalancer par un intérêt pour la métaphysique, l’invisible. Tout s’équilibre, c’est le yin et le yang.

Que vous a apporté la kabbale dans cette quête ?

La kabbale aide à comprendre que le monde est un tout. Que tout se répète dans la nature, dans nos vies, dans nos relations, dans l’énergie de recevoir et de donner. Il n’y a pas de réponse, mais on peut suivre des chemins, saisir qu’il y a un ordre dans le chaos.

Qui pourrait jouer dans une biographie de Madonna ?

Une bonne actrice. Une Anglaise. Ce sont les meilleures !

Ce serait une comédie musicale ou un film ?

Un film avec de bonnes musiques et de bons dialogues. (On entend un bruit bizarre de climatisation dans la pièce). C’était quoi ?

Le fantôme d’une rock star ?

(Rires.) Je me demande si elle a habité cet hôtel. Son esprit essaie sans doute de me dire quelque choseà

Récemment, vous avez réalisé un film, Obscénité et vertuà

J’y pensais depuis des années et j’ai tout aimé dans la fabrication de ce long-métrage. C’est une histoire d’amitié entre jeunes qui partagent un appartement à Londres. Et ça parle des paradoxes de la vie. Le titre signifie saleté et sagesse (Filth and Wisdom). Vous devinez ce qui se passe à la fin. Encore l’association des contraires. C’est toujours le même concept que j’explore en boucle.

Y a-t-il une chanson qui vous révèle tout entière ?

Ah, non. Je ne réponds pas à cette question.

C’est déjà une réponse. Qu’est-ce qui vous stimule le plus chez l’autre : le sens du rythme ou le sens de l’humour ?

Dur de trancher. Le sens de l’humour est essentiel.

Votre tournée a démarré il y a peu. Comment vous y êtes-vous préparée ?

Avec du sang, de la sueur et des larmes. Croyez-moi.

Je vous crois. Au revoirà Merci.

Je vous en prie (en français). Est-ce correct ? Mes enfants (qui vont dans une école bilingue) se fichent toujours de moi quand je parle en français.

En général, après  » merci « , on répond  » de rien « .

Alors, de rien.

Propos recueillis par Gilles Médioni

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