Noir, blanc, rouge… En une fabuleuse symphonie florale, un jardin des Alpilles décline, les couleurs, les formes et les nombres de l’alchimie.

Carnet d’adresses en page 105.

 » L orsque les parcelles voisines nous ont été rendues par le maraîcher qui les cultivait, nous avons décidé de les aménager en harmonie avec le mas.  » Plutôt que de les remettre en location, Marie et Alain de Larouzière imaginent aussitôt un superbe jardin qui se marie avec le style de l’élément bâti. Joyau de la Renaissance provençale, le mas de la Brune fut construit en 1572 pour le compte de Pierre Isnard, intendant du duc de Guise, qui avait émis le v£u de se retirer à l’écart d’Eygalières, village perché des Alpilles. L’architecture intérieure et extérieure de ce bâtiment en pierre recèle de nombreux motifs décoratifs évoquant autant la religion chrétienne que les croyances païennes. On y retrouve des représentations bibliques (les quatre Evangiles), des figures profanes (la sirène, allégorie de l’idéal féminin inaccessible), des symboles alchimiques (une tête de bélier bien vivant jouxtant une seconde décomposée, représentant la putréfaction).

 » Nous sommes opposés à des reconstitutions de jardins historiques, poursuivent Marie et Alain de Larouzière. Surtout lorsqu’il n’existe pas de témoignages écrits de leur passé dans le lieu lui-même, comme c’est le cas au mas de la Brune. Mais nous avons pensé que réfléchir à un thème évoquant cette belle demeure, dont nous sommes les propriétaires depuis 1995, nous permettrait de créer un jardin intéressant. Pierre Isnard avait la réputation d’être un alchimiste. Et le thème de l’alchimie s’imposait d’autant plus que Michel de Nostre-Dame, dit Nostradamus, est originaire de Saint-Rémy-de- Provence, la ville voisine.  »

Mais qu’est-ce donc que l’alchimie, sinon cette forme de science occulte, terrain philosophique des érudits, qui connaît un engouement en Occident entre le xiie et le xviiie siècle. Ses fondements sont essentiellement moyen-orientaux, car les penseurs de l’Occident européen ont puisé leurs sources d’inspiration auprès de l’école d’Alexandrie ou des adeptes de l’interprétation ésotérique de la Bible et de la kabbale juive.  » On assimile trop souvent l’alchimie à des considérations matérielles, soulignent Marie et Alain de Larouzière. A ces sorciers qui recherchent la transmutation du plomb en or. Mais, plus fondamentalement, c’est une recherche du sens de la vie, cette vie qui renaît sans cesse de ses cendres. L’alchimie utilise trois langages qui peuvent s’appliquer aux jardins : les formes géométriques, les couleurs et, de manière indirecte, les nombres. Nous les avons donc déclinés, avec le concours des paysagistes Eric Ossart et Arnaud Maurières, mais en privilégiant les couleurs.  »

Sommairement, les étapes de la vie sont associées à trois £uvres. L’£uvre au noir évoque la naissance et la croissance de l’enfant. L’£uvre au blanc illustre, elle, le développement intellectuel et affectif. Vient enfin l’£uvre au rouge qui symbolise le sens de la vie ou la plénitude spirituelle. L’£uvre au blanc et l’£uvre au rouge sont, en outre, considérées comme les deux étapes essentielles du Grand £uvre. Elles correspondent, selon l’hermétisme occidental, aux petits mystères et aux grands mystères. Dans l’ésotérisme islamique, on parle – toujours pour ces deux couleurs – d’Homme primordial et d’Homme universel tandis qu’en Chine, on identifie l’£uvre au blanc à l’Homme véritable et l’£uvre au rouge à l’Homme transcendant.

Mais comment donc ces couleurs ont-elles été transcrites dans le plan du jardin de l’Alchimiste ? Très logiquement, trois parcelles successives ont été délimitées. Le noir est matérialisé par des pierres minérales : l’ardoise jonche ici et là le sol. La croissance de l’enfant est représentée par un parcours labyrinthique entre des charmilles. Au code de couleurs est venu s’ajouter celui des nombres. L’alchimie sacralise certains d’entre eux comme le 5, le 7, le 9, mais aussi le 11 et deux de ses multiples, le 22 et le 33. Dans le premier jardin, on trouve ainsi 11 pots en terre cuite qui sont plantés d’une espèce au feuillage presque noir qui supporte des sols secs : l’Aeonium  » Zwartkop « , une crassulacée, apparentée aux plantes grasses.

En juin, lorsque les roses sont au sommet de leur beauté, l’entrée au jardin blanc provoque un énorme émoi. La métaphore qui domine cette opulence florale semble être la quête du savoir… qui nécessite qu’on se perde dans une masse d’informations. Une invitation à se perdre parmi les millions de pétales de la rose Iceberg mêlés à ceux plus discrets de Gaura lindheimeri, qui semblent sortir des feuilles de Miscanthus sinensis  » Variegatus « . Le chiffre 22 est ici honoré par 22 buddleias blancs.

Le passage du blanc au rouge est sans doute moins spectaculaire parce que le regard peut facilement distinguer les roses rouges de Bellegarde, alors que le corps se trouve encore immergé dans l’immaculé. Mais ce n’est qu’illusion car la transition est riche de tensions. Le sens de la vie étant trouvé, l’Homme semble savoir ce qu’il veut et où il va. C’est sans doute pour cela que le jardin rouge fait appel à plus de symétrie, qu’on y voit distinctement des figures géométriques tracées sur le sol. Outre les roses, l’espace est planté de 33 grenadiers.  » La grenade est le fruit de Dieu, précisent Marie et Alain de Larouzière. Tout simplement parce qu’on ne peut compter ses petits grains, comme on ne peut compter la bonté du Seigneur.  »

Le jardin de l’Alchimiste est bordé d’une barrière singulière, faite de grandes toiles blanches suspendues, comme s’il s’agissait d’une immense lessive séchant au soleil.  » A l’ensemble s’ajoute un jardin botanique, commente Florence Jullion, qui guide les visites. Il est constitué de plantes considérées comme magiques. En fait, des plantes qui ont des vertus en médecine traditionnelle. Et comme il ne s’agit pas de confondre ces vertus magiques avec les préceptes de l’alchimie, il fallait donc séparer les deux espaces. Une clôture ou une haie auraient été peu agréables au regard. En revanche, ces grandes toiles qui flottent au vent marquent bien cette séparation tout en donnant un sentiment de légèreté, de fluidité.  »

Herboriste de formation, Florence Jullion explique aux visiteurs les vertus des simples qui poussent dans la multitude de petits et grands carrés du jardin magique. Elle pointe, par exemple, le saule : première source de la salicine qu’on appelait autrefois la quinine du pauvre. Quant à l’ortie, ses propriétés sont multiples, comme par exemple dans le traitement du rhumatisme articulaire ou des affections du système respiratoire. La sarriette, elle, était interdite dans les monastères parce qu’on la considérait comme aphrodisiaque. Le houblon, en revanche, était permis pour ses vertus calmantes. Le romarin entrait dans la composition de l’eau de beauté de la reine de Hongrie…

Il y a plusieurs manières de visiter le jardin de l’Alchimiste, seul ou en groupe. Il y a aussi plusieurs façons d’appréhender son architecture. Mais on peut tout autant se laisser emporter par son côté enchanteur, en faisant uniquement appel aux émotions. Et c’est sans doute le plus bel hommage qu’on peut rendre aux jardiniers qui l’embellissent année après année.

Texte et photos :

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