Barbara Witkowska Journaliste

Matières fastueuses et couleurs somptueuses pour ce très jeune créateur. Et ce n’est pas tout… Eymeric François joue à merveille avec des accessoires insolites, tels les épingles, les rubans ou les zip et propose une vision de la couture très rafraîchissante.

Notre rencontre a lieu après le défilé automne-hiver 04-05. Eymeric François propose, pour commencer, de regarder ensemble les pièces les plus fortes de la collection. La première impression ? Une superbe gamme chromatique allant du rose au bleu abyssal, en passant par les fuchsias, les rouges, les bordeaux et les violets.  » J’aime assurer une cohérence lors des passages, d’où ce fil conducteur chromatique « , explique Eymeric. La première pièce, un maillot de bain rose bonbon, aurait beaucoup plu à Marilyn, avec sa touche baby-doll et femme fatale des années 1950. Un rose plus soutenu envahit une robe fluide en soie  » plissé soleil « , ornée d’un spectaculaire n£ud rouge. Le fourreau rose fluo est réalisé sans tissu. C’est un Zip interminable, patiemment enroulé et cousu qui dessine une silhouette sculpturale et sexy. La tenue suivante met superbement en valeur la beauté méditerranéenne. Sa réalisation a demandé 400 mètres de ruban de soie de couleur rouge sang ! Le corset est savamment tressé. Des dizaines de rubans flottent librement pour former une jupe longue, pleine d’ampleur. On passe au rouge plus foncé, le carmin. Une superbe dentelle de Calais, reperlée pour plus de sophistication, se pose sur du velours sensuel, rouge carmin également. On poursuit avec le bordeaux. Une robe courte ? Non, asymétrique : courte devant et longue derrière. Le satin dessine une silhouette près du corps. Une dentelle d’une finesse arachnéenne se déploie en grande masse tout autour et forme un superbe volume, souple et mouvant. Le violet et le bleu roi font également la part belle à la dentelle rebrodée qui habille le corps telle une seconde peau. On termine en apothéose, avec ce fourreau bleu abyssal en velours. Conçu comme une grande robe de couture, il dessine rapidement une silhouette de sirène.

Créativité, maturité, rigueur

Jeune Parisien  » banlieusard « , Eymeric François n’a que 26 ans. Et pourtant, quelle créativité, quelle maturité et quelle rigueur. Enfant, déjà, il a une tête bien faite. A l’école, il est sage, concentré et studieux.  » Petit blondinet pas méchant « , comme il se définit en souriant. Adolescent, il s’oriente vers les arts appliqués où règne une discipline de fer : 42 heures de cours par semaine, dont 24 heures de dessin ! Après le bac, il décide de se lancer dans la mode et s’inscrit à l’école Duperré, la seule école publique de stylisme, donc gratuite.  » Depuis toujours, j’ai la culture de l’école publique, souligne le jeune homme. A l’école Duperré, c’était dur, mais bien. On s’y initie à la broderie et au tissage. J’y ai abordé un univers assez exhaustif qui ne se limite pas uniquement au stylisme.  » Au bout de deux ans, Eymeric a son diplôme en poche. Perfectionniste, il décide de fréquenter une troisième année de spécialisation qui n’existe plus aujourd’hui. Une bonne occasion de développer un projet personnel, un travail sur les coulisses des défilés de mode avec à la clé la création de 58 modèles. Parallèlement, il effectue deux stages. D’abord chez Thierry Mugler. Il l’a toujours fait rêver :  » Tous les garçons de mon âge étaient très attirés par Mugler. C’est la seule maison pour laquelle j’aurais pu arrêter ma propre marque.  » Le passage chez Christian Lacroix est un autre souvenir impérissable :  » le créateur le plus naturel, le plus simple, le plus avenant et le plus adorable.  » Ces deux expériences confirment sa volonté de se lancer dans la haute couture.  » Je suis très visuel, je fonctionne par image et la haute couture, c’est le rêve. Je suis infiniment amoureux du corps féminin. C’est une machine complexe qui me fascine. Quand je vois une belle femme dans la rue, je m’arrête pour le lui dire : ne changez rien, vous êtes extrêmement séduisante.  »

Le premier coup de pouce vient d’une rencontre avec l’organisateur du Festival de prêt-à-porter à Dinard, en Bretagne. Eymeric y participe, présente une collection plutôt couture et… ne gagne rien, car on prime le prêt-à-porter. Cela dit, Lolita Lempicka, présidente du jury, éblouie par ses créations, tient absolument à le récompenser. Par un chèque. Il est signé par un représentant du groupe de luxe LVMH, membre du jury et sert à financer, en partie, le premier défilé. La Mairie de Paris offre le lieu, le Musée Galliera, et l’attachée de presse Béatrice Manson l’épaule, telle  » une seconde maman « .

Depuis 2000, Eymeric François présente deux défilés par saison, tous auto-financés. Ses  » marques de fabrique  » ? Les épingles, les rubans et les Zip. Ces petits accessoires  » fonctionnels « , généralement soigneusement camouflés, quittent, chez lui, l’ombre pour la lumière et se transforment en tenues de princesse ou de star. C’est aussi une façon de rendre hommage à la couture et à ce travail artisanal qui le fascine. Il y a aussi des vraies matières, beaucoup de soies, des dentelles, des satins, des crêpes de soie et de plus en plus de mousseline. Jamais d’imprimés ! Son imprimé, c’est la dentelle.  » J’aime quand mon propos est clair, martèle le jeune créateur. J’essaie d’aller toujours au bout d’un concept, sans compliquer le message avec plusieurs idées en même temps.  » Ses clientes ? Des Libanaises surtout et de nombreuses femmes des pays orientaux. Si Eymeric François planche aujourd’hui sur une ligne de prêt-à-porter et une ligne d’accessoires, la haute couture reste  » le c£ur  » de ses activités et de ses préoccupations. Il s’empresse de préciser que toutes ses robes sont des vêtements. A porter donc et à ne pas enfermer dans un musée. Pour le défilé, les modèles sont certes très décolletés et très fendus, mais on peut les rendre plus sages.  » J’aime quand les femmes ont des yeux de petite fille devant mes robes, confie- t-il avec un sourire désarmant. C’est ce qui manque dans la haute couture des années 2000. Un défilé n’est plus aujourd’hui qu’un beau spectacle, très marketé.  » Pourtant, Eymeric reste optimiste et voit l’avenir de la haute couture  » très beau « . Même s’il constate l’essoufflement de l’intérêt des médias, même s’il déplore le manque de soutien des grandes maisons pour les jeunes, il est convaincu que la haute couture aura toujours sa place et qu’elle évoluera. Il ne s’inquiète pas non plus pour son propre avenir. Il avance petit à petit, construit sa légitimité pièce par pièce et grandit lentement mais sûrement. Chi va piano, va sano…

Barbara Witkowska

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