Barbara Witkowska Journaliste

Pour une révolution, c’est une révolution. On se souvient de Mai 68, où il était de bon ton de brûler son soutien-gorge dans la rue pour exprimer sa liberté féminine fraîchement conquise. Ce temps est bien révolu. Les femmes se passionnent pour la lingerie et les dessous sont plus que jamais à la Une de l’actualité. C’est Calvin Klein qui a eu du flair. En introduisant la couleur et de nouvelles matières, le styliste américain a hissé la lingerie au top de l’accessoire branché. Inspirée de plus en plus par le prêt-à-porter, elle a commencé à lui emprunter ses matières, ses motifs, ses ornements et ses décors. Strass, paillettes, chaînettes et breloques ont envahi combinettes, caracos, petites culottes et strings. John Galliano pour Dior y a infusé l’esprit de ses collections de prêt-à-porter en utilisant notamment la fameuse toile monogramme CD sur les bonnets des soutiens-gorge et sur les culottes. Chez Chanel, il n’y a pas de collection de lingerie proprement dite. Cela dit, Karl Lagerfeld n’hésite pas, depuis plusieurs saisons, d’intégrer à ses défilés des modèles de dessous. Aujourd’hui, le phénomène explose : les parures de lingerie, omniprésentes dans les nouvelles collections, n’ont pas peur de se montrer au grand jour. Les grands de la couture s’emparent de ces pièces nobles et travaillées, presque tombées dans l’oubli et synonymes d’une époque bien ancienne. Dépoussiérés, rafraîchis, revisités, les corsets, les guêpières et autres porte-jarretelles opèrent un retour en force et sortent dans la rue. La lingerie acquiert une nouvelle sensualité. Les dessous se portent pour le plaisir qu’ils suscitent, pour plaire au quotidien et non plus seulement pour le confort ou leur côté fonctionnel. Un tabou vestimentaire de plus est passé à la trappe. La lingerie devient un vêtement à part entière.

Chez Chanel, justement, Karl Lagerfeld brouille les pistes et propose, pour la journée, une  » parure de lingerie  » (soutien-gorge et slip), unie sur le corps par un tissu transparent. Cette robe élégante et originale est à porter sous un manteau court, taillé dans l’incontournable tweed blanc et gris de la célèbre maison parisienne. Le soir, on opte pour un manteau noir, en glissant en dessous une culotte et un soutien-gorge. Le graphisme noir et blanc est réalisé avec des matières issues du prêt-à-porter, mais imite le look de la lingerie, avec dentelles et trou-trous au programme.

John Galliano dessine pour Dior et, en hommage à Marlene Dietrich, propose une collection glamourissime. La soie, le satin et la dentelle adoptent des coloris d’un classicisme intemporel : le noir et le blanc, mais aussi le champagne et un gris magnifique, couleur fétiche de Monsieur Christian Dior. L’autre allusion au grand couturier ? Une vraie silhouette  » New-Look « , avec des épaules menues, une taille de guêpe et des hanches rondes et féminissimes. Il y a aussi une touche très moderne. Des bodies et des bas  » tatouages « , sortis tout droit d’une bande dessinée japonisante et branchée, accompagnent chaque tenue. L’esprit lingerie devient ici spectaculaire à travers une étonnante interprétation des porte-jarretelles. Traités comme un élément décoratif du vêtement, ils se transforment en ceinture ou encore prolongent une blouse et une veste pour flotter librement au-dessus de la jupe, devant et derrière. Parfois, ils allongent une jupe et flirtent alors avec les genoux. Dans la version la plus hot, ils remplacent carrément la jupe et se portent avec une guêpière noire. Et décidément, la guêpière opère son grand retour. Unie ou parsemée d’arabesques façon dentelle précieuse, elle se glisse désormais sous la veste d’un tailleur et s’apprête à détrôner l’incontournable top. Dernier clin d’£il à l’univers de la lingerie ? Les fameuses agrafes métalliques qui ornaient les corsets de nos grands-mères. Chez Dior, elles quittent les dessous et se portent au-dessus, pour fermer une robe grise sans manches.

Depuis des années, Jean Paul Gaultier est un inconditionnel du corset couleur chair, celui que portait sa grand-mère. Il l’a interprété avec maestria pour les tenues de scène de Madonna. Il le décline avec succès dans ses flacons de parfums. Pour cet été, le corset joue les caméléons dans la collection de prêt-à-porter et se mue en une étonnante veste couleur chair. Il est taillé dans une élégante matière animée d’arabesques brillantes, très près du corps et lacée devant. Sur les hanches et à la taille, des incrustations de bandes de couleur unie renvoient aux  » détails techniques  » de ce vêtement au charme d’autrefois. Les audacieuses l’accompagneront juste d’un petit slip, bien visible, de mi-bas et de bottines. Le tout couleur chair, comme il se doit. Plus stylisé et plus minimaliste, le corset est aussi suggéré par de multiples ceintures couleur chair et se porte par-dessus une robe de fée, vaporeuse et aérienne, agrémentée de nombreux volants. Est-ce un corset, un maillot, un body ou une robe ? Le tout à la fois. Cette tenue spectaculaire, lacée sur les hanches, se prolonge par un top ample et transparent, dévoilant un soutien-gorge basique de couleur marron. Une multitude de longs rubans virevoltent en souplesse autour de cette femme-araignée. La dernière pièce forte de la collection interprète magistralement la lingerie tatouage. Un pantalon aux motifs pop s’accompagne d’une longue tunique entièrement transparente, décorée de ravissantes arabesques rouges. L’illusion de peinture corporelle est parfaite.

Marc Jacobs pour Louis Vuitton choisit le soutien-gorge pour en faire la vedette de ses silhouettes estivales, inspirées des tenues portées par les créatures de rêve, croisées au carnaval de Rio. Le clou du programme est ce soutien-gorge  » bijou « , réalisé en tulle, artistiquement rebrodé de sequins chatoyants et de perles dorées. Il met admirablement en valeur une mini-jupe blanche, sensuellement drapée sur les hanches et agrémentée d’un immense n£ud. En version plus festive, on le portera avec une jupe plus vaporeuse, animée de grands motifs dorés. Les soutiens-gorge bandeaux sont unis (violet, par exemple) ou décorés de graphismes sophistiqués. Un short, une veste ou un manteau assorti sont parfaits pour former un ensemble très classe. Plus élaborés, certains modèles s’inspirent de l’Orient antique. Les  » bretelles  » se croisent sur le décolleté dans un savant jeu de constructions ou encore forment des drapés d’une sensualité troublante.

Vaporeux, délicat et fluide, le style Nina Ricci s’est toujours caractérisé par une exquise féminité. Il se prête à merveille à l’esprit lingerie. En vedette ? La combinaison. Revue et corrigée, elle devient une superbe robe en mousseline. La dentelle blanche est privilégiée et s’affiche en généreuses applications. Pour en faire une tenue  » erotically correct « , la robe-combinaison s’accompagne d’une jupe paréo en satin mat nouée sur les hanches. Cette petite merveille se décline en jaune paille, en orange vitaminé et en noir, incontournable. En version plus sport, la combinaison, raccourcie, se fait top. Deux versions : mousseline prune et dentelle géranium ou noire. A coordonner avec un bermuda en viscose taupe ou noire. D’autres références discrètes à la lingerie se remarquent dans la collection. Tel ce short boxer en mousseline jaune transparente qui accompagne un pull en cachemire et soie rose poudré ou encore cette robe en mousseline prune, inspirée d’une combinaison mais bordée de dentelle noire au niveau des genoux.

Exubérance, nonchalance et générosité sont les thèmes forts de la collection Givenchy, interprétée par Julien MacDonald. Le créateur se laisse séduire par la lingerie de nuit. Irrésistibles ces robes en mousseline de soie, amples et volumineuses, dont la parenté avec les chemises de nuit les plus luxueuses est exaltée. Les épaules se dénudent, les décolletés et les seins se dévoilent. Les hanches et les jambes disparaissent, en revanche, sous une avalanche de volumes généreux de tissu, savamment plié et drapé. Des liens terminés par des glands et des incrustations de dentelle crochetée, travaillée à l’ancienne, donnent la dernière touche raffinée. Les couleurs, un orangé vibrant et un mauve taupé, sont ravissantes. Le concept de la robe est décliné aussi en longue jupe blanche. On y ajoute un soutien-gorge façon dentelle et un gilet couleur fauve. Et pourquoi pas façon pyjama ? Une tunique ample, agrémentée d’incrustations crochetées se porte sur un pantalon souple et nonchalant. On remarque aussi d’autres allusions à la lingerie ancienne, admirablement retravaillées et modernisées. Une  » nuisette  » blanche, joliment asymétrique, cache à peine un short blanc, ressemblant comme deux gouttes d’eau à ces culottes en coton de nos grands-mères, arrivant à mi-cuisse. Une superbe veste en soie gris perle, portée sur une robe blanche asymétrique séduit par son cousinage avec les peignoirs luxueux des stars hollywoodiennes. Enfin, épinglons aussi une belle interprétation du corset. Transformé en veste-gilet, il est porté sur une robe blanche. Sa couleur brique est joliment contrastée par un original et généreux lacet torsadé, terminé aux extrémités par des glands.

Barbara Witkowska

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