De ses longs doigts sombres posés contre la pierre, l’homme s’appuie contre le mur intérieur du puits. Il semble repousser la paroi avec sa main gauche comme il repousserait les ténèbres. Accroupi à même la boue sous un jet d’eau venu d’en haut, il se baigne. Son torse nu luit dans un éclat blanc. Autour de lui, l’image est sombre, excepté son épaule droite musclée, son bras recourbé sur la nuque, cette caresse sous l’eau froide. Le potier porte la trace de son labeur à même la peau, noircie par le soleil.  » Tu vois, je suis fidèle à moi-même « , m’écrit Denis au dos de l’image.

C’est vrai, depuis que je connais Denis Dailleux, il ne change pas. Ses photographies vont à l’essentiel. Sortis de la rue, arrachés à leur misère, ses personnages apparaissent en majesté. Je pense aux scènes de la Bible, au cinéma de Pasolini, aux tableaux du Caravage. La même brutalité, une semblable douceur.

Denis Dailleux m’a raconté un jour son arrivée au Caire. Il était amoureux. Qu’a-t-il vu ? D’un côté le luxe à l’orientale, la douceur du Nil, le plaisir. De l’autre, un serviteur allongé sous un meuble, sans couverture. Il est bouleversé, anéanti. Près de la place El Hussein et de la mosquée El Hazar, il découvre le souk et la Gamaleya, quartier populaire qui fut celui des écrivains. Naguib Mafouz, Albert Cossery.

Denis y prend ses quartiers. Il discute avec les hommes, papote avec les femmes, pénètre dans les maisons, découvre les conditions de travail effroyables. Il reste des heures dans des lieux minuscules. Je l’ai vu faire. Il s’assied, observe, parle peu, voit tout : les humiliations, les vexations, les jeux de pouvoir, la beauté des damnés.  » A leur place je hurlerai ma misère, me dit Denis. Mais, ils sourient. Ce sont des princes. Je veux montrer leurs visages. « 

Un matin, par exemple, il remarque un garçon, petit nouveau dans l’atelier de ferronnerie. L’enfant courbe le dos sous les insultes. Mon ami fait sortir le souffre-douleur. Il le photographie. L’adolescent prend la pose. En pleine lumière.

Jusqu’à la fin de l’année Denis Dailleux expose une

trentaine de ses photographies à Paris. Du Nil dans mes veines, galerie du Passage, 20-26, Galerie Vero Dodat.

(*) Chaque semaine, la journaliste et écrivain Isabelle Spaak (Prix Rossel 2004 pour son roman d’inspiration autobiographique Ça ne se fait pas, Editions des Equateurs) nous gratifie de ses coups de c£ur et coups de griffe.

Isabelle Spaak

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