Les dessous chics des couturiers

Barbara Witkowska Journaliste

La lingerie est aujourd’hui un accessoire de mode à part entière. Laissant libre cours au chic et à la créativité, les maisons de couture proposent désormais, elles aussi, leurs lignes de dessous.

Carnet d’adresses en page 105.

Il n’y a aucun doute, la lingerie a la cote. Pour preuve, les résultats très positifs de l’édition 2003 du Salon international de la lingerie qui s’est tenu à Paris au mois de janvier dernier : 518 marques internationales, dont 109 nouvelles (soit + 13 % par rapport à 2002) y étaient présentes. La fréquentation est également en hausse. Les visiteurs belges occupaient la quatrième place en 2002. Cette année, ils se placent en deuxième position, juste derrière l’Italie, avec 1 095 visiteurs (soit 9,6 % sur l’ensemble).

L’engouement pour la lingerie est donc, plus que jamais, au rendez-vous, toutes générations confondues. Ce sont les jeunes créateurs qui ont sorti la lingerie de son quotidien, en s’appropriant ses matières, en mettant les dessous dessus pour séduire et semer le trouble. La dynamique du rapprochement avec le prêt-à-porter s’est engagée et le mouvement se poursuit. A leur tour, les belles maisons de couture et les stylistes haut de gamme suivent ce créneau porteur de très près.  » La lingerie est devenue un accessoire de mode à part entière, souligne Chantal Malingrey, l’une des responsables du Salon international de la lingerie. Pour les couturiers, une collection de lingerie est une excellente façon de renouveler leur prêt-à-porter, diversifier et renforcer leur image de marque et, enfin, booster la créativité dans ce secteur. Ils ont choisi de présenter leurs collections dans le cadre du salon, ce qui nous fait très plaisir.  » A peine lancées, les lignes de John Galliano ou de Nina Ricci recueillent déjà tous les suffrages. Guy Laroche nous a mis l’eau à la bouche avec une mini-collection de parures sublimes, dont la mise sur le marché est prévue début 2004. Tandis que Worth, maison de couture plus que centenaire, aujourd’hui disparue, ambitionne, grâce à une première collection de lingerie, renaître de ses cendres.

Le grand jeu de John Galliano

Il en rêvait depuis longtemps, il l’a fait. Le styliste de Christian Dior a présenté, au Salon, sa troisième collection de lingerie. Si John Galliano sublime depuis toujours la féminité avec des porte-jarretelles et des corsets, la plupart de ses lignes se caractérisent par une petite touche masculine. C’est le même mélange du soft et du hard que l’on retrouve dans ses collections de haute couture et de prêt-à-porter. Le thème  » Journal « , best-seller absolu, est reconduit dans chaque collection depuis le début. Les soutiens-gorge, les slips et les tops, imprimés comme un journal, s’agrémentent de discrètes incrustations de filets, empruntés d’un marcel masculin. La ligne Kaki, d’inspiration militaire, s’adoucit avec des détails en dentelle chocolat. Le thème Romantique évoque un boudoir du XVIIIe siècle. Un très beau satin rose est parcouru par de multiples rubans couleur framboise, ainsi que de dentelle blanche. La ligne Glamour fait la part belle au jacquard de soie. L’imprimé d’inspiration indienne décline de beaux dégradés rouge rose, fuchsia orange ou encore vert jaune. En guise d’ornement, des bijoux en strass se glissent entre les seins ou ferment la ceinture des culottes. Riche en détails, en histoires et en anecdotes, la collection reflète bien l’esprit un peu  » déjanté « , mais tellement drôle et attachant de John Galliano. Chaque thème réunit plusieurs modèles de soutiens-gorge et de culottes, des caracos, des tops et des corsets.

Le renouveau de Worth

Les historiens de la mode sont unanimes : Charles Frederick Worth (1825-1895) est le père de la haute couture. Visionnaire et autodidacte, ce jeune Anglais débarque à Paris le jour de ses 20 ans. Pour commencer, il décroche un job chez un fournisseur de froufrous. Il a du flair, il est bourré de talent et, surtout, il fréquente du beau monde. Lorsque, quelques années plus tard, il ouvre sa maison de couture, au 7, rue de la Paix, les clientes illustres affluent : l’impératrice Eugénie de Montijo, la princesse Pauline de Metternich, Sarah Bernhardt, sans oublier les plus célèbres demi-mondaines (appelées aussi  » cocottes  » ou  » grandes horizontales « ) de l’époque : Liane de Pougy, Cléo de Mérode ou la Belle Otéro. Worth, c’est d’abord une technique de coupe exceptionnelle. Ses robes de bal, sa spécialité, sont d’une  » virtuosité à couper le souffle « . Il est le premier à utiliser des tissus exclusifs et des colorants chimiques qui lui permettent de créer des nuances qu’on ne voit nulle part ailleurs. Les progrès technologiques de la révolution industrielle n’ont pour lui aucun secret. Il installe dans ses ateliers des machines à coudre et à broder, ainsi que des métiers à dentelle. Toujours à l’affût de nouveaux  » concepts « , Charles Worth a l’idée, le premier, de présenter ses modèles, deux fois par an, sur des mannequins vivants, dont Marie Vernet, sa femme et sa muse. Il invente non seulement le concept du défilé, mais aussi le principe des collections saisonnières.

La maison Worth décline et disparaît dans les années 1950. Seul le parfum Je Reviens (toujours commercialisé aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne) évoque encore le nom de ce grand couturier. Sorti en 1934, il a connu un succès sans précédent pendant la Seconde Guerre mondiale. Avant de partir pour le front, les soldats l’offraient à leur fiancée.

Après un demi-siècle d’oubli, la maison Worth renaîtrait-elle de ses cendres ? L’initiative est due à Mounir Moufarrige, homme d’affaires d’origine libanaise qui  » a toujours voulu faire quelque chose avec Charles F. Worth, le fondateur de la mode « . Pour commencer, voici donc la première ligne Couture de lingerie, dessinée par le styliste italien Giovanni Bedin. L’idée ? Imaginer ce qu’auraient porté, sous leurs parures du Second Empire, l’impératrice Eugénie ou Sarah Bernhardt. La réponse est vite trouvée, le corset ! C’est donc autour du corset que s’articule la première collection, largement inspirée par le travail de Charles Worth. Giovanni Bedin a repris certains détails comme le laçage sur le côté, les agrafes et les baleines. Ces dernières, identiques à celles utilisées par Worth en 1882, sont toujours pliées à la main et assurent un dessin parfait des courbes de la silhouette. Le styliste n’a pas pour autant négligé les technologies actuelles. Ainsi, toutes les pièces ont été travaillées avec du tulle Stretch pour assurer un confort parfait. La ligne, entièrement réalisée à la main en Italie, réunit une déclinaison de dix corsets en noir, chair ou bicolore. Le modèle phare est réalisé en dentelle de Valenciennes et entrelacé de plis couchés surpiqués. Le modèle agrémenté d’un jeu de liens n’est pas seulement décoratif mais sert également à ajuster le corset au plus près de la silhouette. Sur d’autres modèles, les systèmes d’agrafes sur les coques de soutien-gorge, façon XIXe siècle, sont cousus à la main dans le tissu. La ligne se complète par quelques  » pièces d’aujourd’hui  » : soutien-gorge en satin, culotte taille basse ou encore string en tulle, muni d’un système d’agrafes qui permet de les porter en version normale ou taille basse. La seconde collection, avec un plus grand nombre de modèles raffinés, est déjà en route, en attendant, dans quelques mois, le lancement d’un nouveau parfum, baptisé tout simplement Worth.

La sensualité lumineuse de Nina Ricci

L’image que nous avons de Nina Ricci est néoromantique et vaporeuse, empreinte d’un charme doucement passéiste. Cela n’empêche pas la marque de se tourner vers les technologies les plus pointues pour offrir encore plus de luxe, plus de douceur et plus de confort. Dans sa nouvelle collection de lingerie, Nina Ricci innove en utilisant le nouveau fil extensible Easy Set Lycra, mis au point grâce à un partenariat avec DuPont Textiles & Interiors et le soyeux italien Ratti Setamarina.  » L’atout du Easy Set Lycra est de pouvoir se mélanger avec toutes les fibres, même les plus fragiles, ce qui est très intéressant dans le domaine de la lingerie, souligne Hugues Bartnig, l’un des responsables de Ratti Setamarina. Pour Nina Ricci, nous avons réalisé une mousseline de soie, mariant la soie (37 %), le Easy Set Lycra (12 %) et la fibre de lait (51 %). Cette dernière, issue de la caséine de lait, a les mêmes caractéristiques que la soie, tout en étant plus légère et plus aérienne. Son aspect brillant et satiné renvoie la lumière de façon extraordinaire. Le tissu offre, en outre, un toucher onctueux et crémeux et une très bonne respirabilité. Il est anallergique et lavable en machine à 30 °C.  »

La ligne Sylphide décline cette mousseline dans un imprimé bicolore : noir/blanc cassé ou rouge/vanille. Les produits, trois soutiens-gorge (classique, ampliforme et bandeau), un string, un slip et un porte-jarretelles, sont décorés de petites barrettes de strass.

Les autres lignes font appel à des techniques plus traditionnelles. Des fleurs exubérantes, brodées sur un fin tulle Lycra, grimpent en guirlande le long des bretelles, tandis que le slip bikini se pose sur les hanches par un galon entièrement composé de fleurs. Ailleurs, la riche dentelle de Calais célèbre la grande tradition de la lingerie.

Partout, des coupes irréprochables, des finitions luxueuses, des détails précieux et travaillés, restent fidèles à l’image de la maison de couture.

La lingerie du couturier de la maison

Depuis de longues années, Manuel Canovas cultive l’art de vivre chez soi. Ses étoffes extrêmement raffinées habillent les maisons les plus prestigieuses. Ses bougies parfumées embaument de nombreux intérieurs. Aujourd’hui, la marque multiplie les initiatives et lance sa première collection de lingerie haut de gamme. Ici, pas de dentelle, pas de broderies, pas de froufrous. Les tissus doux et délicats, les coloris subtils et les imprimés singuliers renvoient immédiatement à l’univers de Manuel Canovas. Les motifs emblématiques de la maison sont admirablement réinterprétés. Le Galuchat, tout d’abord. Ce faux uni inspiré des étuis d’autrefois, est travaillé dans différents pastels : aqua, caramel et lilas et dans deux tons plus chauds, terracotta et anthracite. Piment, motif gourmand et exotique, explose en rouge et vert tonique. Toile de Jouy, réalisé dans un jacquard sur satin damassé, évoque l’esprit boudoir XVIIIe siècle. Les scènes chinoises se déclinent en parme, ciel ou fuchsia. Lotus s’anime de grandes fleurs dans les tons de prune ou rose. Toutes les parures proposent un string, un slip, une culotte et un boxer, à coordonner avec quatre modèles de soutien-gorge. Et pour varier les plaisirs, peignoir court façon kimono, nuisette, jupon et caraco se superposent ou se portent dessous-dessus.

Barbara Witkowska

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content