Barbara Witkowska Journaliste

Depuis 25 ans, il dirige de main de maître Natan, la seule maison de couture en Belgique. Apôtre de la beauté sous toutes ses formes, Edouard Vermeulen nourrit son imagination des courants artistiques les plus éclectiques. Ils sont à l’origine d’une féminité multiple, toujours élégante et glamoureuse.

On le connaît comme couturier de la famille royale,  » patron  » d’une maison profondément ancrée dans la tradition et le travail artisanal, amoureux de son métier et créateur d’un prêt-à-porter haut de gamme. Mais on ignore que ce passionné est également un grand amateur d’art.

L’art est pour lui une quête permanente et une émotion infinie. Edouard Vermeulen a un rapport très émotionnel aux £uvres qu’il aime troublantes, colorées, créatives, voire audacieuses sans agressivité toutefois. En exclusivité, il reçoit Weekend dans son vaste bureau surplombant les élégants salons de couture situés avenue Louise, à Bruxelles. Homme à la courtoisie exquise, disponible et souriant, il nous parle de ses coups de c£ur et avec l’£il de l’esthète raffiné relie l’art à la mode.

La passion d’Edouard Vermeulen pour l’art est passée tout d’abord par les arts décoratifs.  » Enfant, j’aimais regarder et observer, se souvient-il. Ma mémoire enregistrait les formes équilibrées, leurs belles proportions, des associations harmonieuses de couleurs. L’éveil à l’esthétique et la recherche du beau s’est matérialisé très tôt, dans l’aménagement de ma chambre et m’a conduit, plus tard, vers les études d’architecture intérieure. « 

La mise en valeur de l’espace ne sera qu’une parenthèse dans sa carrière. Doué d’un grand sens des volumes, maniant les palettes chromatiques comme personne, Edouard Vermeulen investira très vite ses talents dans la beauté et l’élégance féminine. Parallèlement, son intérêt pour l’art tout court s’affine et se focalise plutôt sur la peinture.  » J’ai besoin de découvrir et d’apprécier le talent des autres et il est clair que de nombreux artistes m’interpellent, s’enthousiasme-t-il. Cela dit, de par mon métier, je suis plus sensible à la peinture car elle m’éveille à la forme, à la couleur et à la matière. La nature ne m’inspire pas. Je la respecte, j’y puise le calme et le bien-être, mais pas la créativité. « 

Esthète averti, Edouard Vermeulen confie ne pas avoir une âme de collectionneur. Une collection implique le goût du risque et de gros investissements. Elle est aussi synonyme d’un snobisme intellectuel et financier.  » Cet aspect ne m’intéresse pas, martèle-t-il. L’art doit être beau. Il doit être un éveil à l’esthétique, à l’harmonie, à la beauté et à l’esprit créatif. Il doit générer des émotions positives. « 

Le couturier n’est pas prêt à faire un voyage éclair au bout du monde pour voir une expo dont tout le monde parle. En revanche, l’art fait aujourd’hui partie de son quotidien. A Bruxelles ou lors d’un déplacement à l’étranger, il ne manque jamais l’occasion de pousser la porte d’une galerie ou d’un musée. Des livres d’art et des magazines spécialisés l’accompagnent dans son travail et aussi dans ses loisirs.

ANISH KAPOOR

Né à Bombay, établi à Londres, il est l’un des plus importants sculpteurs actuels. Son travail dans l’espace explore les dualités : terre-ciel, matière-esprit, lumière-obscurité, visible-invisible. Edouard Vermeulen est séduit par le gigantisme des £uvres, le côté  » hors dimensions « . Il a pu en approcher une de très près, installée dans le parc de l’antiquaire Axel Vervoordt à ‘sGravenwezel.  » Il s’agit d’une énorme cloche en tôle blanche. Il faut pénétrer l’£uvre. Une fois à l’intérieur, on se sent complètement déconnecté du monde, on n’a plus de repères. J’aime cette grandeur dans la simplicité et son côté spirituel incroyable qui appelle à la méditation. « 

LOUISE BOURGEOIS

Née à Paris en 1911, vivant à New York, cette artiste inclassable oscille entre deux mondes et deux langues, entre féminin et masculin, entre organique et géométrie. Edouard Vermeulen l’a découverte, il y a dix ans, à la galerie de Xavier Hufkens, à Bruxelles.  » J’apprécie l’éclectisme de ses £uvres et la variété des matériaux utilisés, le bois, l’albâtre, le marbre, le caoutchouc, le plâtre ou le latex. Sa créativité est immense. Elle me bluffe par sa capacité de transmettre tant de messages, tant de souffrance, tant de douceur et tant d’émotions même à travers des £uvres parfois dures et pas vraiment esthétiques.  » L’Araignée est l’£uvre préférée d’Edouard Vermeulen. Ce  » personnage « , récurrent dans le travail de Louise Bourgeois, représente la figure maternelle.

MARC ROTHKO

L’un des plus grands peintres américains du xxe siècle. Rothko a entraîné la peinture abstraite dans une dimension spirituelle. Il plonge le spectateur dans un champ de couleurs. La couleur devient une expérience. La rencontre avec son £uvre fait partie des moments très forts et inoubliables dans le parcours artistique d’Edouard Vermeulen. Elle a eu lieu au MoMA (musée d’Art moderne) à New York, dans une salle entièrement dédiée à Rothko.  » Dans mon métier, je suis l’homme de l’uni, pas de l’imprimé. J’aime le minimalisme. Le travail de ce peintre m’incite à la quiétude, à la pureté et à la sobriété. J’aimerais bien exploiter ses palettes dans mes collections. Je verrais bien une robe en Rothko. « 

CY TWOMBLY

A 80 ans tout ronds, il est la légende vivante de l’art contemporain. Twombly peut être associé au mouvement des expressionnistes abstraits. Dans ses toiles gigantesques, il fait exploser les couleurs des pétales, esquisse d’immenses fleurs disproportionnées,  » graffitte  » et griffonne des textes indéchiffrables. Que d’énergie dans ses accumulations furieuses et vigoureuses de coups de crayon.  » J’adore ses traits. J’y perçois un raffinement à l’infini. Parfois, j’ai envie de dire « scannez-moi ces tableaux, j’en ferais des collections entières ». « 

JAN FABRE

L’artiste flamand à la réputation sulfureuse, le  » guerrier de la beauté « , selon sa propre définition, touche Edouard Vermeulen par sa diversité. En effet, il y a un monde de différence entre la décoration d’un plafond du palais royal de Bruxelles, réalisée avec des milliers de carapaces de scarabées et sa dernière exposition au Louvre à Paris où l’artiste a eu la liberté d’investir le département de son choix. Il a opté pour celui des peintres du Nord, flamands et néerlandais, les Van Eyck, Van der Weyden ou Bosch. Les £uvres de Fabre reprenaient en écho les thèmes de la tradition flamande : la vie et la mort, la fragilité et la vanité de l’existence.  » Quelle confrontation extraordinaire entre les tableaux existants, contemplés par des milliers de personnes et les installations de Fabre. J’admire cette façon de retravailler et de revisiter le potentiel d’une autre façon et d’apporter, par contraste, une vision moderne des thèmes éternels. « 

MICHEL MOUFFE

est aussi un artiste belge. Ses grandes toiles ne se contentent pas de déployer de spectaculaires bi- ou quadrichromies. Elles forcent aussi l’attention et l’admiration par de très intéressants jeux de volumes, de reliefs et de matières qui rejoignent ainsi les préoccupations d’un couturier. Un jour, Edouard Vermeulen a acquis une de ces toiles et il s’est alors souvenu que, dix ans auparavant, Michel Mouffe était l’un de ses professeurs à Saint-Luc à Bruxelles.

ANNE TERESA DE KEERSMAEKER

Le couturier ne manque aucun spectacle de cette chorégraphe originaire de Malines, créatrice de sa propre compagnie de danse, Rosas. Il se dit fasciné à chaque fois par la mise en scène, les lumières, les matières, les couleurs et les volumes :  » Cette vision me donne une créativité extraordinaire. D’ailleurs, j’adorerais imaginer des costumes et répondre à des demandes de la chorégraphie contemporaine.  » A bon entendeur, salut ?

Barbara Witkowska

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