Après trois ans de recherches et… quatre mois dans la peau d’une blonde, la journaliste britannique Joanna Pitman publie une saga drôle et très documentée. Première surprise, les blondes célèbres, qui font rêver les hommes, ne sont jamais blondes : toutes des fausses !

Certaines questions méritent qu’on leur consacre une vie. Tribu malfamée quoique légendaire, les blondes viennent de trouver leur anthropologue et leur philosophe en la personne de Joanna Pitman. Cette audacieuse journaliste britannique a même risqué le martyre en se faisant teindre, pour vivre son sujet  » de l’intérieur « . Et constater ainsi que son mari lui trouvait un faux air d’Andy Warhol, alors que les agents de police se retournaient sur son passage et que les commerçants multipliaient pour elle les remises exceptionnelles… Sa somme,  » Les Blondes. Une drôle d’histoire, d’Aphrodite à Madonna « , vient de paraître aux éditions Autrement. Une façon de relire l’histoire de l’humanité. Pas moins.

Première surprise, les blondes célèbres, qui font rêver les hommes, ne sont jamais blondes : toutes des fausses ! La blonde naturelle, rare (1 femme sur 20), ne fait guère fantasmer, alors que la fausse, beaucoup plus fréquente (1 femme sur 3), fascine le mâle.  » Parce que plus on est blond, plus on paraît jeune ; c’est donc une sorte de garantie de reproduction visible à l’£il nu « , explique notre auteur. L’histoire de la blondeur féminine se confond avec une vaste histoire de la teinture…

La faute à qui ? A Aphrodite, pour les Grecs, Vénus pour les Romains.  » Sa poitrine était d’une beauté telle que Ménélas manqua de se couper les orteils en lâchant son épée lorsqu’il l’aperçut pendant le pillage de Troie.  » La déesse de l’Amour était surtout blonde. Et épilée. Les Grecques et les Romaines, plutôt brunes, vont l’imiter. Donc se teindre et s’épiler, en suivant des recettes aussi cuisantes que malodorantes. Dès l’origine, il faut souffrir pour être belle. Ou pour plaire, du moins.

L’une des premières teintures, le  » sapo « , est  » à base de graisse de chèvre, mêlée de cendre de hêtre, et conservée sous forme de petites balles « . Certaines y ajoutent des fientes de pigeon, pour les pouvoirs décolorants de l’ammoniaque qu’elles contiennent… Cette mode, qui épargne les vertueuses mères de famille, fait fureur chez les hétaïres, à la fois courtisanes, intellectuelles et prêtresses d’Aphrodite. D’où la sulfureuse réputation des blondes.

Plus tard, grâce aux conquêtes de César, les Romaines vont trouver une solution moins pénible pour se coiffer : la perruque.  » Des milliers de Germaines blondes se retrouvaient captives rien que pour se voir couper les cheveux.  » La terrible impératrice Messaline court les bordels la nuit dans le manteau postiche d’une longue chevelure blonde :  » Pendant qu’elle était à Rome, ses cheveux poussaient sur les bords du Rhin « , écrit Martial, le poète. Les prédicateurs chrétiens, déjà peu portés à aduler les femmes, les accuseront de traîtrise capillaire :  » Celles qui se teignent les cheveux en safran rougissent même de leur nation, regrettant qu’on ne les ait pas fait naître en Germanie ou en Gaule. Ainsi changent-elles de patrie par les cheveux !  » tonne Tertullien.

L’empire chrétien déboulonne toutes les statues de Vénus, mais confie sa succession visuelle à Eve, la nouvelle blonde fatale :  » Un signe très clair permettait de reconnaître la tentatrice : sa blondeur.  »

A l’opposé, évidemment, la Vierge Marie sera brune, au moins jusqu’au XIVe siècle, où les visions de sainte Brigitte vont transformer son iconographie dans toute l’Europe.  » Elle eut des visions de la Vierge Marie avec de longs cheveux blonds aussi lumineux que le soleil, flottant librement sur ses épaules.  » Au Moyen Age, il va donc exister un blond doré, saint et bénéfique, celui d’Hildegarde de Bingen, aux tresses miraculeuses, d’Iseult aux cheveux d’or, ou de l’héroïne du  » Roman de la Rose « . Un blond surnaturel, sinon naturel, qu’essaieront d’imiter plus tard Elisabeth Ière d’Angleterre ou même, d’après Joanna, Margaret Thatcher, dont les cheveux gagnaient en volume et en blondeur à mesure qu’elle approchait du pouvoir.

La Renaissance remet l’Olympe et Vénus à la mode. Venise devient la patrie de la teinture :  » Il devait bien se trouver à Venise quelques vraies blondes, mais en petit nombre. Or, on comparait sans cesse les belles Vénitiennes aux ravissantes blondes de la Rome antique.  » Lucrèce Borgia, duchesse de Ferrare, laisse  » prendre  » sa teinture pendant vingt-quatre heures dans une  » décoction de tiges de chou et de cendre de paille de seigle à l’odeur méphitique « . Un chimiste américain contemporain, Konrad Bloch, a analysé les recettes de l’époque, et trouvé que leur principe actif était le peroxyde d’hydrogène, le même que dans l’eau oxygénée, découverte en 1812. La coloration était si parfaite que lord Byron, ébloui, volera un cheveu de Lucrèce au musée, des siècles plus tard…

Au XVIIIe siècle, nouveau bouleversement :  » En 1775, une belle courtisane parisienne, Rosalie Duthé, eut l’honneur et l’avantage de devenir la première blonde officiellement stupide de l’Histoire. Créature célèbre pour son ineptie, elle avait pris l’habitude d’imposer à ses interlocuteurs de longs silences, lourds de sens, bien sûr. Elle ne portait que du rose, ses cheveux blonds remontés très haut, et se vit brocarder au théâtre.  »

Sa succession fut innombrable, surtout au cinéma, et Joanna Pitman y voit une gigantesque manipulation :  » Le personnage de la blonde idiote, qui prit dans les années 1950 aux Etats-Unis les formes inoubliables de Marilyn Monroe, fut créé par des hommes pour des hommes. Dans le contexte américain de l’après-guerre, cela constituait une tentative d’étouffer le pouvoir grandissant des femmes.  » Et voilà : sois blonde et tais-toi ! Moralité :  » La proportion des femmes qui se teignent les cheveux passe de 7 % à 40 % en vingt ans.  »

Dieu merci, en 1973, Ilon Spetch, fille de féministe, et alors publicitaire pour L’Oréal, invente la formule  » Parce que je le vaux bien !  » Dès lors, il ne s’agit plus de se teindre pour plaire aux autres, mais à soi-même d’abord.  » La teinture devient un étrange symbole de l’émancipation féminine « , conclut notre journaliste. Il faut être très blonde, aujourd’hui, pour raconter des blagues de blonde…

Alix de Saint André

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