Les gens adorent le classicisme

Ecrivain à succès, journaliste touche-à-tout et animateur cultivé, il aime depuis toujours jouer les trublions médiatiques. A Weekend, il livre sa réflexion sur la notion de style.

Bottines Dior, jeans Zadig & Voltaire, chemise blanche et cravate noire siglées Tom Ford, veste Ungaro sur mesure, montre Hermès à cadran noir, parfum Envy for Men de Gucci… Non, Frédéric Beigbeder n’est pas seulement une fashion victim ! A 43 ans, ce trublion médiatique, qui a £uvré dans la publicité et l’édition, continue de sévir à la télévision française (il anime Le Cercle, sur Canal +) pratique toujours le journalisme et planche actuellement sur un nouveau roman. Mais Frédéric Beigbeder, ce n’est pas seulement lettres et le néon… L’auteur de 99 Francs et de Dernier Inventaire avant liquidation, classement des 50 meilleures £uvres littéraires du xxe siècle, s’est fait connaître par son style décalé et mordant. Cultivé, curieux, courtois, il est à la fois dans son époque, attentif aux tendances, et attaché à un certain classicisme…

Weekend Le Vif/L’Express : Qu’est-ce que le style, selon vous ?

Frédéric Beigbeder : S’il faut que je dise des choses originales, on est mal barré ! Sérieusement, on emploie souvent le mot  » style  » en critique littéraire, et finalement ça ne veut pas dire grand-chose. Enfin si, quand même, ça renvoie à un souci de la forme, c’est considérer qu’elle est aussi importante que le fond.

Quel est le rapport du style à l’élégance et à labeauté ?

J’y vois un rapport avec une certaine dignité, une forme d’amour-propre et d’orgueil qui consiste à vouloir faire de sa vie une £uvre d’art ce qui était, je crois, la définition du dandysme par Oscar Wilde. Le style, c’est donc essayer d’avoir cette exigence, du lever au coucher.

En quoi le style est-il le reflet d’une époque ?

Quand je veux décrire un personnage, j’utilise beaucoup les vêtements : c’est un moyen pratique pour résumer quelqu’un. Pour ce qui est de l’époque, c’est plus compliqué. Je serais bien incapable de définir ce qu’est le style masculin aujourd’hui, je ne sais pas très bien ce que cela signifie. J’ai l’impression qu’il y a des règles du jeu plus strictes que pour les femmes. Celles-ci disposent d’un arsenal beaucoup plus large que le nôtre : pantalon, veste, chemise, c’est limité. C’est peut-être plus facile à suivre aussi, mais les choix sont cruciaux. Untel pourra se permettre de porter une veste à carreaux ; moi, je n’oserai pas. Je préfère porter une veste noire très sobre mais qui se distingue par ses détails : les surpiqûres, les vraies boutonnières à l’extrémité des manches, les poches, etc.

Qui vous a inculqué votre style ?

Ma grand-mère maternelle, Nicole de Chasteigner. Je suis né à Neuilly-sur-Seine, dans un milieu extrêmement bourgeois, d’une mère aristocrate fauchée et d’un père béarnais hobereau. Ma grand-mère me disait toujours que le plus important, c’étaient les chaussures : selon elle, si un homme avait des chaussures bien cirées, de bonne qualité, il pouvait se permettre d’être débraillé. C’est pourquoi je ne porte jamais de baskets. En fait, j’essaie de faire semblant de m’habiller sans aucun effort. J’ai également un sens du ridicule très développé : ça m’angoisse d’avoir l’air couillon, je ne prends pas beaucoup de risques. Chemise blanche, cravate noire, tout ce qu’il y a de plus classicos. Parfois je m’autorise une excentricité, une chemise rose par exemple. J’aime bien aussi les matières douces, comme ça les filles ont envie de me caresser ! Et, depuis trois ans que je porte la barbe, j’ai remarqué qu’avec une cravate ça compense un peu, ça fait moins négligé. A la façon de Sébastien Tellier, j’adore. Je suis le premier à avoir porté une cravate au Grand Journal de Canal + : au début, toute l’équipe se foutait de ma gueule, ils m’ont chambré comme c’est pas possible. Mais après, ils se sont aperçus que ça plaisait et tout le monde s’est mis à en porter, Ali Badou, Michel Denisot… Les gens adorent le classicisme. En plus, en France, il y a un retour très fort à la bourgeoisie depuis l’élection de Sarkozy à la présidence, c’est clair.

Le classique serait donc de retour ?

Après Mai 68 et dans les années 1970, c’était n’importe quoi. Le vêtement s’est libéré avec la société ; il y avait des foulards de toutes les couleurs, des jeans délirants. Puis, dans les années 1980, on est revenu à des codes plus stricts, ceux des yuppies. Aujourd’hui, on décline un peu tout, mais avec un retour aux valeurs sûres. Dans les périodes de crise, c’est rassurant d’avoir un vêtement comme un bouclier, comme une armure, qui protège.

Quid du style au cinéma ?

Le problème, c’est que les films sont devenus des  » placements produits « . Ce que j’avais refusé pour l’adaptation de 99 Francs : nous avons payé nous-mêmes les vêtements APC que porte Jean Dujardin à l’écran. Ce qui m’intéresse chez APC, mais aussi dans cette nouvelle marque qui s’appelle The Kooples, c’est l’idée de pouvoir s’habiller facilement, sans trop réfléchir, avec un jean, un tee-shirt. J’aime bien la simplicité, se fondre dans la masse, ne pas se faire remarquer…

Mais, dans vos livres, vous faites le contraire…

Exactement ! Je ne saurais pas très bien définir mon style d’écriture, mais il y a toujours de l’humour. Je peux être également brutal, cynique, violent. Très potache, aussi. Ça, c’est l’influence de Frédéric Dard : j’ai lu beaucoup de San-Antonio dans ma jeunesse, j’adorais ça. Je déteste les auteurs qui ne jouent pas avec la langue. Du coup, il y a trop de blagues dans mes livres. Mais je n’arrive pas à résister à la tentation d’une pirouette. Si je m’ennuie en écrivant, pour le lecteur, ce sera encore pire.

Il y a aussi beaucoup de choses que j’écoute ; je prends en note ce que disent les gens, il y a beaucoup de phrases volées, à des personnes dans des dîners… Je ne sais pas très bien ce qu’est mon style, je peux juste dire que c’est une photographie de mon temps.

Propos recueillis par Delphine Peras

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