Le prêt-à-porter de luxe joue aussi les prêt-à-dormir. Donatella Versace, Azzedine Alaïa, Giorgio Armani… Les créateurs sont de plus en plus nombreux à vouloir habiller des hôtels de pied en cap et à être sollicités par les palaces pour décorer leurs chambres. Petit tour d’horizon de ces escales de mode à travers le monde.

Carnet d’adresses en page 72.

Le dernier cri, pour passer une nuit à Paris, c’est d’aller dormir au numéro 5 de la rue de Moussy, dans le IVe arrondissement. Chez Azzedine. Azzedine Alaïa, bien sûr. A mi-chemin entre la chambre d’hôte et l’hôtel intimiste, le couturier français a ouvert Three Rooms, trois suites juste à côté de son atelier. Dans cet immeuble du xviiie siècle, les trois appartements ont été habillés avec des meubles chinés par le maître des lieux, amoureux des designers contemporains. Des perles rares et des pièces uniques signées par les plus grands noms : fauteuils et salles de bains Marc Newson, salle à manger Jean Prouvé, lampes dessinées par Serge Mouille, Pierre Paulin ou encore Jean Nouvel. Superbe, le décor joue autant la sobriété que la modernité.

Comment définir l’endroit ? La version officielle veut que  » le 5 Rue de Moussy a été conçu non pas comme un hôtel mais comme une maison loin de chez soi « . Chaque appartement a son entrée privée, un séjour, une ou deux chambres à coucher, une salle de bains et une cuisine équipée. Sans parler du dernier cri de la technologie et d’un accès gratuit à l’Internet haut débit. Certes, il y a le confort, mais il y a aussi tout le prestige de l’adresse. D’ailleurs, Azzedine Alaïa raconte volontiers qu’il ne s’agit pas d’une extension de sa maison. La preuve : des fenêtres des trois suites, on a vue directe sur son atelier. Quand on sait que le couturier compte quelques top models comme Stephanie Seymour ou Naomi Campbell parmi ses amies, on ne doute pas que certains vont s’y presser.

A l’origine de ce projet, on trouve Carla Sozzani, une amie d’Alaïa. Cette Italienne longiligne, invariablement vêtue de noir, est une habituée des premiers rangs de défilés et est surtout à la tête du 10 Corso Como, un concept store milanais ultrabranché qu’elle a créé en 1991. Un Colette avant l’heure. On y parle, on y expose et on y achète le dernier cri de la mode, de l’art, du livre ou de la photographie. On y déjeune ou on y boit un verre. Et, depuis le printemps dernier, on y dort aussi. Le principe ? Le même que chez Monsieur Alaïa. Three Rooms, comme trois appartements, conçus pour y vivre et y travailler. Trois chambres meublées, donc, par des grands noms du design et avec le nec plus ultra de la technologie.

Quand certains optent pour des formules minimalistes sans enseigne ni publicité tapageuse, d’autres s’attaquent aux mastodontes de l’hôtellerie. Le plus ambitieux ? Indéniablement Giorgio Armani. Après avoir apposé sa griffe sur des parfums, des meubles et des bars branchés, le créateur italien a annoncé, au début de l’année 2004, qu’il allait investir dans une chaîne mondiale d’hôtels et de résidences hôtelières de luxe. D’ici à 2010, on pourra alors sillonner le monde et passer une nuit dans l’un des dix hôtels Armani installés à Paris, New York, Tokyo, Milan ou bien encore Dubaï. Pour parvenir à ses fins, le couturier s’est associé à la société EMAAR Properties basée à Dubaï et considérée comme le plus grand promoteur immobilier du Moyen-Orient.  » Cela fait déjà plusieurs années que nous envisageons l’idée d’appliquer la philosophie de création et du style Armani au domaine de l’hôtellerie, déclarait Giorgio Armani lors de la signature d’accord entre les deux entreprises. Nous avons été approchés par de nombreuses entreprises intéressées par cette opportunité.  » Et de souligner qu’EMAAR Properties s’est notamment imposé  » pour sa reconnaissance de la valeur intrinsèque du nom et de l’esthétique Armani « . La valeur intrinsèque du nom Armani, ce pourrait être la grandeur, aux vues des ambitions des deux associés. L’hôtel Armani de Dubaï promet en effet d’installer 250 suites, un restaurant et un spa sur une superficie de plus de 40 000 m2, dans une tour de 720 mètres qui sera la plus haute du monde. Pour ceux qui s’y sentiraient bien et décideraient d’y rester, le couturier italien va également conceptualiser et aménager 150 appartements de luxe, tous meublés par Armani Casa. Car Armani habillera évidemment ses hôtels de la tête aux pieds. Il se chargera de l’architecture, de la décoration intérieure, du mobilier ou bien encore de l’aménagement de chacun de ses établissements.

Ce n’est pas un hasard si Giorgio Armani s’est penché sur l’hôtellerie. Son groupe se positionne à la fois au sein des univers de la mode et de la décoration, avec l’idée de concevoir un véritable art de vivre. L’hôtel, c’est la démonstration û à grande échelle û de cet art de vivre. On y suggère un style défini, dans le prolongement des produits. Martine Clerckx, co-fondatrice de l’agence Wide, conseil en marketing, explique d’ailleurs que Armani est une marque intemporelle, et qu’elle peut donc s’aventurer sans risque dans l’hôtellerie.  » Les hôtels Armani, comme ceux d’autres marques, ambitionnent d’aller à la rencontre des consommateurs et de leur faire vivre une expérience, précise-t-elle. C’est là tout l’intérêt. Non seulement les marques y définissent leur univers, mais ce courant répond parfaitement au mouvement de déstandardisation très présent dans l’hôtellerie. On ne va plus à l’hôtel uniquement pour dormir, on y va pour vivre autre chose.  »

Même si elles n’ont pas toujours pris les dimensions d’aujourd’hui, les collaborations ont déjà été nombreuses entre stylistes et hôteliers. En 1982, Sonia Rykiel relookait déjà Le Crillon, à Paris. Dix ans plus tard, Ralph Lauren entreprenait la décoration du Jamaica Inn, en Jamaïque, tandis que Karl Lagerfeld redécorait le Schlosshotel, à Berlin, et que Oscar de la Renta s’attaquait au Punta Cana Resort & Club, en République dominicaine. Cette année, c’est Christian Lacroix qui signe la décoration de l’hôtel du Petit Marais, à Paris alors que Brioni redécore une suite du Four Seasons, à Milan. Mais, à Bruxelles, le Royal Windsor renouvelle toutefois le genre avec ses Fashion Rooms. Après avoir ouvert, l’automne dernier, quatre premières chambres û décorées par Gerald Watelet, Mademoiselle Lucien, Marina Yee et Jean-Paul Knott (lire aussi Weekend Le Vif/L’Express du 15 octobre 2004) û le palace bruxellois s’apprête à inaugurer six nouvelles Fashion Rooms. Cette fois-ci, ce sont Haider Hackermann, Nicolas Woit, Pascale Kervan, Nina Meert, Romy Smits et Kaat Tilley qui se prêtent au jeu. Pour Paul C. Van Wijk, directeur de l’hôtel, le défi est audacieux.  » Nous avions au départ douze chambres atypiques, affirme-t-il. Elles n’étaient pas standards dans leur taille, puisqu’elles avaient des plafonds mansardés ou qu’elles étaient plus grandes. Mais c’est justement parce qu’elles étaient différentes à la base que nous avons eu envie de leur donner une identité propre. Nous avons donc eu l’idée d’inviter des créateurs belges à habiller ces chambres. Sur une quinzaine de projets reçus, douze ont été retenus. Nous avons éliminé les projets lunaires qui ne collaient pas à la réalité. Car un hôtel répond à des règles strictes de sécurité et d’entretien. Et puis, on ne peut tout simplement pas échapper au traditionnel trio lit, table de nuit et bureau !  » Exit, donc, la chambre toute en cuir ou le boudoir avec rideaux et couvre-lit en perles. Avec quatre premières Fashion Rooms, et six autres cette fois-ci, il reste encore deux chambres à décorer. Point de créateur encore défini : les chambres en question feront l’objet d’un petit concours et ouvriront leurs portes à la rentrée.  » Notre démarche est très différente des hôtels signés de pied en cap par un styliste, poursuit Paul C. Van Wijk. Car dans ces cas-là, le créateur élabore un concept général. Au Royal Windsor, chaque chambre a au contraire son identité propre, chaque Fashion Room est d’ailleurs à part et inclut des services spéciaux avec des produits d’accueil différents. Quant à la relation avec les créateurs, elle est tout à fait privilégiée. Ils envoient régulièrement leurs clients chez nous, dans la chambre décorée par leurs soins. »

C’est justement pour satisfaire leurs clients privilégiés que les créateurs de mode se sont d’abord mis à concevoir des hôtels. Les Italiens en tête et avec, pour précurseur, Guido Molinari qui lance son Touring Hotel à Carpi, près de Modène, en 1958. But avoué : recevoir ses clients facilement dans une petite ville encore peu encline au tourisme. Sa fille Anna, créatrice de Bluemarine, reprend ensuite l’affaire et relooke entièrement les soixante-huit chambres de l’hôtel familial à la fin des années 1990. Même scénario avec l’Albergo delle Notarie créé par le groupe Max Mara, à Reggio Emilia, près de ses usines. L’hôtel 4-étoiles a en effet été conçu pour recevoir les clients et n’affiche nullement l’image du groupe. C’est un investissement comme un autre. Et c’est le parti également pris par Alberta Ferretti et le couple Aldo Pinto et Mariuccia Mandeli, à la tête de Krizia. La première tombe amoureuse d’un petit village italien, Montegridolfo, dans les années 1980. Elle y rachète une ruine et en fait un palace, le Palazzo Viviani Hotel. Les seconds trouvent leur hôtel préféré à la Barbade complet pour le réveillon de Noël. Ils se paient alors le luxe d’y acheter illico un bungalow et investissent ensuite pour en faire le K Club. Des investissements coups de foudre dans lesquels l’image de la marque n’a pas lieu d’être. Car le lieu doit vivre en tant que tel.

En revanche, pour d’autres, les hôtels sont de vrais concepts marketing. De vrais exemples de brandstretching, autrement dit d’étirement de la marque : on diversifie ses activités pour accroître sa renommée. Ainsi à Florence, c’est le chausseur Salvatore Ferragamo qui fait des siennes. La maison florentine a ouvert son premier Lungarno Hotel en 1997 et possède désormais quatre établissements dans sa ville d’origine, un autre à Rome, sans compter les projets hôteliers qu’elle veut développer à Venise, Milan, Paris et Londres. Dans le Corriere della Sera, Leonardo Ferragamo expliquait d’ailleurs :  » Nous sommes entrés dans le secteur afin d’exprimer notre vision et notre style de vie, mais nous voudrions désormais le transformer en un vrai business.  »

Les années 1990 et l’ère 2000 voient justement fleurir ce petit business où les hôtels de mode deviennent les derniers lieux… à la mode. En 1994, Diesel ouvre son Pelican Hotel à Miami. Au programme : trente chambres constituées comme trente décors différents, toutes aussi kitsch et décalées à souhait. L’image, justement, que la marque veut se donner. En 2000, C’est Donatella Versace qui s’offre une vitrine hôtelière. Elle opte pour la Gold Coast australienne et y construit le Palazzo Versace. Dans le plus pur style de la marque. Les 205 chambres et 72 suites, avec marbre de Carrare et colonnades antiques, sont toutes meublées et accessoirisées en Versace. Vaisselle, linge de maison, cosmétiques, tout y passe. Sans oublier les dorures et tête de méduse. Séduite par cette aventure touristique, l’entreprise pourrait d’ailleurs s’implanter prochainement à Dubaï, Shanghai et Hong Kong, avant de conquérir la Russie et le Canada.

Cette année, le chausseur espagnol Camper a également inauguré sa première Casa Camper, dans le quartier de El Raval, à Barcelone. Pas de fioritures ni de chichis, le style est beaucoup plus moderne et simple. A l’image de la marque.

Enfin, à Milan, le premier Bulgari Hotel a lui aussi ouvert ses portes cette année. L’établissement milanais est tout aussi prestigieux que l’image du joaillier-parfumeur : design contemporain, technologies de pointe, matières nobles et services plus que parfaits. Mieux, un service se propose de faire et défaire les valises tandis qu’un autre conseille les talents d’un acheteur personnel pour les produits de la marque. Histoire de rester une véritable bête de mode ! La chaîne Bulgari û associée au groupe américain Marriott û devrait d’ailleurs vite se développer. L’ouverture d’un village de vacances de luxe est en effet prévue à Bali en 2006, et d’autres hôtels devraient ensuite voir le jour à New York, Londres, Paris, Rome, Dubaï et Tokyo. Comme quoi l’aventure des hôtels  » made in mode  » ne fait que commencer…

Amandine Maziers

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