Durant une petite semaine, les collections hiver 08-09 ont illuminé la Ville lumière. Retour en images sur les ors et les paillettes d’une couture qui a brillé de tous ses feux.
Jean Paul Gaultier, le plus flamboyant
Généreux et sans façons, l’enfant terrible de la mode reçoit chez lui, ou plutôt dans ses ateliers de la rue Saint-Martin, dans le iiie arrondissement de Paris. Toujours prêt à briser les tabous, le créateur a installé sa maison de couture, incarnation du luxe, dans l’ancien Palais des Arts de l’Avenir du Prolétariat ! Dans l’époustouflante salle principale de cette ancienne société mutuelle fondée au xixe siècle, les hôtes de marque arrivent au compte-gouttes. A deux chaises de la nôtre, Janet Jackson, tout sourire, discute avec ses copines. Un peu plus loin, c’est Patricia Arquette qui répond à la presse avant que le show ne démarre. Un show où les influences se téléscopent : les armatures-cages se superposent aux robes, les plumes se piquent sur les boléros, les tailleurs épaulés se font » working girl « , les tenues de jockeys jouent l’élégance. Et le fluo rappelle inévitablement les années 1980 – des couleurs plus streetwear que couture, anoblies ici par la préciosité des matières. La créativité débridée de Jean Paul Gaultier, à l’état pur.
Giorgio Armani, le plus exclusif
Murs tendus de plastique aux reflets métalliques, gradins recouverts de coussins grège et musique loungeà Ce soir-là, le Palais de Chaillot s’est paré d’un décor à l’élégance épurée, à l’image de la collection dessinée par Giorgio Armani ( lire aussi en pages 4 à 8). Petites vestes à basques ou à col structuré sur pantalons à pinces au dessus de la cheville forment la silhouette phare de l’hiver 08-09, déclinée dans un camaïeu de gris, du caviar au perle, et de rose, poudré ou champagne. Pour le soir, fourreaux et longues robes fluides font la part belle au noir et blanc, palette dans laquelle excelle le maestro. Mais, plus encore que les coupes parfaites, ce sont les matières qui éblouissent. De la soie, plissée, gaufrée, travaillée façon shantung ou rebrodée sur le tulle. Des détails en pierres semi-précieuses, du python lamé couleur acier, du cachemireà Au total, cinquante-deux silhouettes incarnant la quintescence du luxe non ostentatoire qu’Armani maîtrise si bien.
Chanel, le plus magistral
Le génie de Karl Lagerfeld ? Sa capacité hors norme à nourrir son talent dans tout ce qu’il voit, touche ou entend. En l’occurrence, la haute couture hiver 08-09 est directement inspirée du buffet d’orgues de la prestigieuse salle Gaveau, à Paris, qui a subjugué le créateur venu assister à un concert. Sous la verrière du Grand Palais où l’on pouvait croiser Charlotte Gainsbourg, Claudia Schiffer, Mickey Green, Gaspard Ulliel ou l’indétrônable Bernadette Chirac, des tubes d’acier monumentaux ont donc été installés au centre du catwalk. Mais, au-delà du décorum, le jeu sur les formes et les structures s’impose avant tout dans la collection elle-même. Ainsi, le plissage tuyauté – des heures de travail pour les fameuses petites mains des ateliers Chanel – entrave la taille ou les genoux, amplifiant par ailleurs le volume des hanches ou des épaules. Les broderies verticales et les franges font elles aussi référence aux tuyaux d’argent de la salle Gaveau. Côté palette, les nuances de gris dominent, qu’elles soient déclinées dans la soie, le taffetas, la mousseline, le tweed ou le crin. Une collection aussi magistrale que les grandes orgues dont elle s’inspire.
Dior, le plus show off
Un des défilés les plus attendus, où le tout-Paris s’était donné rendez-vous, de Mathilde Seigner à Azzedine Alaïa en passant par PPDA et Claire Chazal – séparément. Véritable coup d’envoi de cette semaine de la haute couture, le show orchestré par John Galliano a ébloui son prestigieux public. Le directeur artistique, inspiré par Lisa Fonssagrives, célèbre top model des années 1930, coiffe ses mannequins de chapeaux cloches et les maquille façon » £il de biche « . Fidèle à son habitude, il a pour le reste offert un florilège revisité des codes chers à Monsieur Dior. Au premier rang de ceux-ci, la ceinture-corset Bar, fil rouge de cette collection hiver 08-09. On retrouve aussi le jeu sur les volumes, qui projette la silhouette tantôt vers l’avant, tantôt vers l’arrière, comme cette robe en tulle et crin noir brodée, qui clôt le défilé de façon magistrale. Mais à côté du noir, très présent, et de l’incontournable imprimé léopard – à dose homéopathique cette saison -, le blanc cassé et les tons poudrés se taillent la part du lion : du vert, pâle, céladon ou chartreuse, du lilas, du rose, le plus souvent en version monochrome même si parfois la mousseline rebrodée se pare de dégradés.
Felipe Oliveira Baptista, le plus arty
Le défilé de Felipe Oliveira Baptista, invité par la Chambre syndicale de la couture, a lieu dans le gymnase du Lycée Turgot. Sous les verrières et l’armature Art déco, une faune moins VIP mais plus branchée. Bloggeuses de mode et journalistes de la presse alternative, parmi lesquels bon nombre de Japonais, sont surreprésentés. On enlève le film plastique qui recouvre le tapis blanc sur lequel les mannequins – dont la Belge Hanne Gaby – vont s’entrecroiser, les premiers beats de la bande-son signée Michel Gaubert couvrent le brouhaha. Le show commence, avec ses vestes aux épaules surdimensionnées, ses jupes droites 7/8, ses blouses pincées par deux plis dans le dos et surtout ses robes au tombé parfait, sur lesquelles des volumes viennent se superposer. Le travail sur les coupes et les structures, magnifique de fausse simplicité, démontre une vraie maîtrise technique. En revanche, certaines associations de couleur flashy laissent perplexe à
Givenchy, le plus mystique
Volutes d’encens, lumière tamisée, copeaux de bois au solà Le Couvent des Cordeliers semble ce soir-là avoir retrouvé sa vocation monastique. Pourtant, Riccardo Tisci, le directeur artistique qui imprime une nouvelle identité à Givenchy depuis 2005, entend visiblement désacraliser la haute couture : veste zippée en cuir ciré doublé d’alpaga, pantalon en grain de poudre et pull en maille de cachemire, la première silhouette donne le ton. Ensuite, longues robes fluides à capuches de fourrure, bombers en faille de soie, jumper à franges, manteaux drapés et ponchos rayés se succèdent avec grâce, traduisant en pointillés l’inspiration andine de la collection, qu’on retrouve aussi dans les coloris tourbe, café et tabac. La palette est rehaussée de fuchsia ou de violet, couleurs des orchidées poussant dans la montagne péruvienne. C’est racé, féminin et terriblement moderne. Un sans faute pour le jeune DA – 33 ans -, qui démontre une fois encore son talent incontestable.
Christian Lacroix, le plus poétique
Pour le plus provençal des couturiers, pas de mode sans fête et pas de fête sans couleurs. Si sa collection hiver 08-09 privilégie le noir, c’est pour mieux mettre en valeur les jaune d’or, marron glacé, rouge vermeil, rose pétunia et vert amande qui s’entremêlent dans une débauche de broderies et de dentelles. Chez tout autre que lui, on frôlerait la surcharge. Sous la patte de Christian Lacroix, on est dans le raffinement poétique. Les codes chers au couturier, ceux de l’Arlésienne et du matador, sont une fois encore réinterprétés avec efficacité, et mâtinés parfois de détails tirés de l’iconographie russe. L’émotion, déjà intense, s’amplifie encore lorsque les notes d’un Stabat Mater accompagnent le pas lent de la mariée, poupée de porcelaine en robe de satin » gorge de colombe » à plastron de dentelle brodée et larges manches de tulle. La pluie d’£illets qui accueille le créateur en fin de défilé ajoute encore à la magie.
Elie Saab, le plus glamour
La collection s’intitule » Beauté Sixtine « , en référence à la célèbre chapelle dont les bas reliefs ont nourri l’imaginaire du couturier libanais. Comme échappée d’une fresque de Michel-Ange, une procession de madones se déploie dans une cascade de plissés, de volants, de broderies et de dentelle. La palette alliant les teintes passées est celle du maître de la Renaissance italienne : rose poudré, prune, améthyste, aubergine, ciel, tilleul ou gris ardoise, sans oublier un superbe bleu nuit profond. De quoi faire chavirer les richissimes clientes de la maison, venues nombreuses pour choisir leurs tenues de bal ou de cocktail.
Les Belges surdoués
A côté des dix maisons labellisées » haute couture « , la Chambre syndicale élit aussi des membres cooptés. C’est notamment le cas de la Maison Martin Margiela (1), qui présentait les dix modèles faits main de sa collection artisanale. Une ligne qui sublime l’esprit de la griffe belge, fait de récup’, de détournement et d’exclusivité. Huit écheveaux de laine sont ainsi torsadés pour créer un top, des sacs en plastique doublés de taffetas de soie forment le buste d’une robeà Quant à la veste » Compression Papier « , elle est composée d’articles de presse des vingt dernières années – l’âge de la Maison – découpés en lamelles, appliquées sur une base de cuir puis scotchées. Du grand art.
D’autres créateurs ont le statut de membres invités, comme les Belges Cathy Pill (3) et Jean-Paul Knott. La première présentait » Source « , une collection axée sur » l’énergie captée autour de moi, tous les jours. L’énergie vivante, la rue, la nature, le bruit. L’énergie intime, le temps, la patience. La beauté des contrastes et des rythmes « . Au premier coup d’£il, on comprend. Les imprimés, ligne de force de la créatrice, marient l’orange au blanc, le noir au jaune, le vert émeraude au violet, et vont jusqu’à se prolonger, en version make-up black & white, sur les chevilles des tops. De petites robes déstructurées en crêpe de chine ou en jersey de soie, des épaules dénudées, et même, surprise, des sacs exclusifs, résultat d’une collaboration avec Kipling initiée par Weekend Le Vif/L’Express – dont un exemplaire, à découvrir le 23 octobre prochain lors de notre Fashion Weekend et mis en vente en avant-première pour nos lecteurs.
Quant à Jean-Paul Knott (2), il a présenté une collection sublime dans l’espace dépouillé de la galerie Nikki de Marquardt, au n°9 de la Place des Vosges. Outre le parterre très japonais, on pouvait apercevoir dans le public la créatrice Barbara Bui – ses ateliers et sa boutique principale sont situés à quelques encablures de là – qu’on sait fan du créateur belge. A en juger par la frénésie de ses applaudissements en fin de show, elle n’a pas été déçue. A côté de la très belle maille lâche XXL, des matières nobles comme la soie, le cuir et la fourrure. Mais, comme toujours chez Jean-Paul Knott, rien n’est show off : tout se joue dans la subtilité et la justesse. Ainsi en va-t-il de ces robes violettes au tombé parfait, de ces blouses à large capuche ou encore des peaux souples, aux contours bruts, assemblées en manteau. La haute couture, exception française, a vu juste en invitant des Belges… d’exception.
Delphine Kindermans
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