Quel est le point commun entre un sac à dos Louis Vuitton au look futuriste, un briquet Bic à énergie atomique, un restaurant-club parisien ultrabranché, une bouteille de bière en aluminium, une maison entièrement griffée Gucci et un flacon de parfum très design ? Tout simplement le coup de patte très sûr d’un génial touche-à-tout et de son équipe de collaborateurs qui n’ont pas peur de relever les défis les plus risqués. Si vous pensez que pour atteindre une telle notoriété Ito a dû faire de longues études et ramer pendant des années avant d’éditer son premier objet, détrompez-vous ! Le jeune prodige n’a fait qu’un bref passage par l’école de design et de création parisienne Créapôle avant d’inaugurer son propre studio de design, Ora-ïto, à l’âge de 20 ans. Ensuite, c’est un fabuleux coup de poker qui lui a ouvert tout grand les portes de la réussite. Rencontre avec le trublion du design contemporain.

Weekend Le Vif/L’Express : Pourquoi vous êtes-vous lancé dans l’univers de la création via le multimédia ?

ïto : Tout simplement parce que je n’avais pas envie de subir les contraintes du système classique de fabrication et de distribution. C’est pourquoi, avec ma petite équipe, nous avons imaginé toute une série d’objets virtuels, allant du fer à repasser à la platine de disques en passant par les chaussures, les montres ou les parfums. Nous avons ainsi pu créer des produits en échappant à la règle selon laquelle il faut bosser comme un fou pendant dix ans pour enfin espérer éditer une salière et une poivrière chez Cappellini, par exemple. La conception d’objets virtuels nous a permis d’obtenir un rendement supérieur à celui de n’importe quel autre designer. Nous avons ainsi réussi à accélérer le processus de notoriété et inverser tout le schéma de la reconnaissance publique. Ensuite, grâce à Internet, nous avons pu diffuser largement ces produits en les présentant comme s’ils existaient vraiment. En quelques mois, Ora-ïto s’est forgé une véritable image de marque, avant même l’édition du moindre objet. Nous avons joué de cette confusion entre le virtuel et le réel, ouvrant ainsi une brèche inédite dans l’univers du design. Alors que la 3D existait depuis près de quinze ans, aucune marque virtuelle n’avait encore vu le jour…

Quel regard portez-vous sur le design contemporain ?

Le milieu du design est un peu trop cloisonné. Il est presque impossible de se faire connaître lorsque l’on est un jeune designer. Or, pour être produit en série, il faut être connu, avoir décroché le prix de Rome ou être édité chez Vitra, par exemple. C’est précisément ce processus que j’ai essayé d’inverser avec mes produits virtuels.

Vous avez commencé à faire parler de vous en piratant de grandes marques comme Louis Vuitton, Bic, Apple… Comment vous est venue cette idée pour le moins originale ?

Cette idée m’est venue tout naturellement. Ces marques sont omniprésentes dans nos vies et cela m’a amusé de les transposer dans le futur. C’était aussi un moyen de me faire connaître d’elles sans passer par les démarches classiques pour les aborder. Ce ne sont d’ailleurs pas des piratages au sens péjoratif du terme. Je parlerais plutôt d’hommage puisque mon travail respecte l’identité des marques. Nous avons simplement imaginé les campagnes de publicité qu’elles auraient pu elle-même diffuser en 2010. C’est sûrement pour cela que les entreprises concernées ont plutôt bien réagi et qu’aucune d’elles ne nous a attaqués.

Le grand public a très bien accueilli ces projets. La preuve que certaines gran-des marques sont encore trop frileuses en matière de création ?

Une grande partie du public est à l’affût de nouveaux produits, de nouvelles technologies. Beaucoup de gens ont cru voir le nouveau briquet Bic ou la dernière basket Nike et ont voulu les acheter. Nous avons enregistré de nombreuses commandes pour le Apple Hack-Mac, par exemple. Quant à Louis Vuitton, les Japonais sont entrés dans les boutiques avec une page de magazine à la main pour montrer le modèle qu’ils souhaitaient acheter. Cela veut sûrement dire que ces marques sont encore un peu frileuses en matière de création. Beaucoup gagneraient à être plus aventureuses au niveau de l’innovation et du design.

Renault a pourtant dû interrompre la fabrication de son modèle Avantime faute de clients. Croyez-vous qu’il aurait eu plus de succès s’il avait été plus abordable ?

On pourrait le croire quand on voit le succès de la Twingo ou, il y a plus longtemps, de la Coccinelle. Ces voitures bon marché qui se démarquaient fortement de ce qui se faisait à l’époque ont rencontré un succès énorme. Cependant, je ne pense pas que l’innovation soit incompatible avec l’univers du luxe. Bien au contraire…

A cet égard, les impératifs commerciaux freinent-ils vos élans créatifs ?

Il est clair que je dois m’adapter à une réalité économique au contraire d’un artiste qui se libère des contraintes. Le but d’un designer est que l’objet se vende. Il faut donc équilibrer le projet entre la signature et la notion de rentabilité. En même temps, pour moi, c’est toujours le design qui prime. Si les contraintes de production dénaturent le dessin de l’objet, je préfère abandonner le projet.

Finalement les grandes marques se sont aperçues que vous participiez activement à l’assise de leur notoriété. Vous attendiez-vous à une réaction aussi positive ?

Franchement non. Pendant un certain temps, lorsque le téléphone sonnait, nous nous demandions si on allait nous féliciter ou nous attaquer ! Il y avait quand même un certain risque à s’approprier ces marques. Heureusement, elles l’ont bien pris. Levi’s nous a même contacté pour nous demander de se faire  » pirater  » à l’amiable. C’est ainsi que nous avons pu réaliser la campagne de pub du Levi’s Red Tester. Une fiction dans laquelle une machine à laver high-tech analyse les vêtements pour en déterminer la qualité et l’originalité.

D’où vient cette fascination pour les marques ?

Parler de fascination me semble un peu exagéré… Les grandes marques et leurs logos sont des symboles emblématiques de notre époque. Pour moi, utiliser ces marques était une initiative très porteuse de sens par rapport à leur omniprésence dans la vie des gens, dont la mienne. Un peu comme l’avait fait Andy Warhol dans plusieurs de ses réalisations.

Vous vous moquez volontiers des fashion victims et des concepts hype. Mais pour le moment vous êtes vous-même devenu résolument trendy. Comment gérez-vous cette dichotomie ?

Il est vrai que je passe un peu pour l’arroseur arrosé dans cette histoire. En même temps, je ne me considère pas comme une personne hype. Mes amis ne sont pas forcément branchés et ne lisent pas les magazines que nous utilisons comme support. Au début, lorsque les parutions d’Ora-Ito m’ont propulsé dans le monde de la hype, je manifestais une certaine froideur vis-à-vis de ce milieu, j’étais plutôt réservé. Beaucoup de gens ont pris cela pour de la prétention. J’ai rapidement compris qu’une attitude trop distante pouvait se retourner contre moi… Je fais donc des efforts et cela paie tant au niveau personnel qu’à celui de la marque.

N’est-ce pas frustrant de créer des objets virtuels et de ne pas toujours les voir réalisés ? Le toucher n’est-il pas un des sens mis en éveil par le design ?

Le toucher est bien sûr un des sens essentiels pour apprécier l’objet. C’est vrai que la fabrication du produit en  » réel  » apporte un plaisir supplémentaire. Néanmoins, la dimension visuelle reste primordiale. J’ai éprouvé une grande joie à réaliser ces objets virtuels. Même s’ils n’ont pas été fabriqués, ils existent par leur représentation. L’image a d’ailleurs de plus en plus d’importance dans le design, les produits sont de plus en plus travaillés, étudiés. Un éditeur comme Cappellini propose des images de ces nouveaux produits parfois un an ou deux avant qu’ils ne soient mis sur le marché.

Dans un monde où l’on a pratiquement tout inventé, qu’est-ce que le design peut encore apporter ?

Il reste toutefois beaucoup à faire. Dans l’amélioration des objets existants en travaillant sur l’ergonomie, les matières, le rapport entre l’objet et l’utilisateur. L’apparition des textiles intelligents et de nouveaux matériaux qui réagissent en fonction de leur environnement ouvre au design un champ de recherche considérable. La simplification est également une des missions du design contemporain. Un objet inventé devrait, par exemple, remplir les fonctions de trois autres qui existent déjà.

Votre site Internet a pour but de permettre à de jeunes créateurs d’être édités. Echec ou succès ?

Le but était de démocratiser la création et d’accélérer tous les processus. Différents produits modélisés en 3D, réalisés par des élèves d’écoles de design ou des designers reconnus auraient été proposés sur le site. Chacun serait doté d’un devis préalable établi avec un industriel et soumis au banc d’essai des internautes. Une fois le nombre de commandes nécessaires enregistré, le produit pourrait être mis en production. Malheureusement, la formule a du mal à prendre parce que le système engage malgré tout une grosse structure et des investissements qui nous éloignent trop du concept original. Pourtant, le concept reste viable et pas vraiment exploité…

Sur quoi planchez-vous actuellement ?

Nous venons de terminer deux gros projets. Le design et l’identité visuelle du parfum Adidas 3 qui a pris plusieurs années de développement, d’une part, et l’architecture intérieure et l’identité visuelle du restaurant-club Le Cabaret, rebaptisé CAB, place du Palais Royal, à Paris. Tout l’intérieur du club a été reaménagé, avec des alcôves en cuir capitonné et des meubles en Corian, conférant à l’ensemble des airs de vaisseau spatial. Il y a bien d’autres projets en cours mais ils sont ultraconfidentiels. Notamment avec le secteur de l’automobile et du cinéma.

Quels sont vos projets ?

J’ai toujours eu envie de créer ma propre marque qui proposerait les différents produits Ora-Ito dans ses boutiques. C’est un projet que je continue de mûrir pour qu’il soit sans faille lorsque je le lancerai.

Un rêve complètement fou ?

Construire une ville comme Oscar Niemeyer a pu le faire à Brasilia…

Propos recueillis par

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