Tom Notte et Bart Vandebosch ont de l’ambition pour quatre. Défilés pulsés, showroom flambant neuf, le couple moteur de la griffe Les Hommes voit Milan en grand. Portrait du plus italien des duos anversois.

Tom Notte et Bart Vandebosch forment ce que l’on a coutume d’appeler un couple bien assorti. De ceux qui, dès la première rencontre, dégagent une connivence à la fois muette et palpable. Leur appartement, niché au septième étage du premier building Art déco de Berchem est à leur image : sobre et fantaisiste, carré et chaleureux. Un joyeux mélange d’exotisme et d’angularité : un paon empaillé cohabite avec une table minimaliste, des cornes de buffles voisinent au-dessus d’une lampe d’esprit Bauhaus. Dans la typologie des duos, on n’hésite pas : eux deux, c’est du pur  » complémentaire « . Prenez Tom : petit, fonceur, sourire espiègle, une sorte de Benoît Brisefer qui aurait chaussé des lunettes de designer branché. Ajoutez Bart au tableau : fin comme un roseau, £il mélancolique et allure de mousquetaire urbain. Deux moitiés opposées, un tout cohérent, tapez Les Hommes.  » La force d’être un duo qui travaille de front, c’est de ne pas penser de la même façon « , dit Tom.

Cette complémentarité, les deux stylistes anversois l’ont effectivement érigée en arme de création massive :  » On cherche la symbiose, la synergie entre nos deux tempéraments et nos deux visions du processus créatif. Travailler à deux, ça te force à penser, à aller plus loin que ton propre sens esthétique. L’autre te révèle à toi-même. On se dispute souvent, c’est même devenu un besoin. Mais au final, on trouve toujours un terrain d’entente. Le meilleur design naît parfois des plus grands conflits . »

Sur les bancs de l’Académie

Plus de dix ans que cette bonne guerre s’est déclenchée. C’était sur les bancs de la vénérable Académie des Beaux-Arts d’Anvers. Nous sommes en 1996 : Tom a louvoyé entre l’économie et le graphisme avant de se tourner vers le stylisme. Bart a une formation en arts plastiques. Le courant passe fissa. Bart se rappelle :  » En première année on est devenu les meilleurs amis. Puis  » boyfriends « . On a donc pris un appartement ensemble.  » Cette ambiance  » hom(m)e sweet hom(m)e  » se révèle propice à l’échange d’idées, aux discussions sur le métier. Germe alors  » le plus naturellement du monde  » l’idée de lancer une marque en binôme.  » J’avais toujours eu le rêve de créer ma propre société, confie Tom. J’étais très impatient. Et Bart aussi. Alors on a foncé. « 

En attendant que Bart termine son cursus ralenti par un redoublement en deuxième année, Tom bosse un an à Bruxelles pour la marque System aux côtés du styliste Luc Clément,  » pour acquérir un peu d’expérience et la base commerciale « . Assez en tout cas pour que sans aucune aide financière extérieure, Tom et Bart débarquent en 2003 aux défilés parisiens avec leur nouveau-né, baptisé simplement Les Hommes. Le buzz est au rendez-vous ( voir Weekend Le Vif / L’Express du 27 septembre 2002).  » Quand on a conçu notre business plan, on voulait un nom de marque qui soit signifiant au niveau international, explique Tom. Parce que si nos collections sont belges dans le souci extrême des détails et dans la manière de revisiter les matières traditionnelles, on est globalement plus italo-français qu’un Martin Margiela ou une Ann Demeulemeester. On se veut plus proche de Gucci, Dior ou Dolce & Gabbana. Plus chic que trash.  »

Tom l’affirme, son but est de trôner sur le mont Olympe de la mode aux côtés des dieux du luxe milanais et parisiens. Alors Les Hommes ? Carriéristes, ambitieux ou juste déterminés ?  » Les trois, répond Tom, du tac au tac. Moi, pas autant que lui, murmure Bart dans un sourire amusé. Tom enchaîne : quand on décide d’avancer, on avance !  » Direction ? Milan, bien entendu.

Forza uomini !

C’est précisément au c£ur de la cité lombarde, quelques jours après leur défilé homme automne-hiver 08-09, que nous retrouvons les deux créateurs,  » fatigués mais heureux « . Heureux d’être chez eux. Depuis janvier le duo possède en effet son propre showroom sur la Via Bergamo.  » Pas très loin de chez Prada « , glisse Tom. Huit mois de recherches intensives ont payé : les voici installés sur 300 m2, au rez-de-chaussée d’un ancien palazzo revu et corrigé par l’architecte gantois Glenn Sestig. Le maître d’£uvre du CultureClub à Gand et de la boutique anversoise Verso signe ici un espace de béton brut désarmé par de lourds rideaux de velours. Un théâtre sur mesure pour mettre en lumière le vestiaire moderne et nostalgique du duo.

 » Une nouvelle étape est franchie « , s’enthousiasme Tom, jamais en manque de défi. Après la collection pour femme  » Les Hommes-Femme  » lancée récemment et l’ouverture du showroom aujourd’hui, quel est le prochain challenge ?  » Une deuxième ligne très chic mais plus abordable et plus rock’n’roll destinée aux 18-30. Peut-être l’année prochaine. Et puis, un concept store. Mais pour plus tard. « … A Anvers ?  » Non, à Milan !  » Bien entendu…

De l’eau a visiblement coulé sous les ponts depuis 2002. A l’époque, Bart justifiait dans Weekend son choix de présenter la première collection Les Hommes à Paris plutôt qu’à Milan :  » Milan n’est pas assez ouverte à la nouveauté. Elle est beaucoup trop conservatrice en raison des grandes maisons qui y règnent. En revanche, Paris est plus axée sur la créativité. On peut y présenter une atmosphère beaucoup plus originale « … Ah bon ? Tom réagit aujourd’hui :  » C’est logique. Tu sors de l’académie, t’as zéro expérience. Paris est plus abordable, tu loues assez facilement une petite galerie pour présenter ta collection. Mais après deux ans, on a senti que rester à Paris, c’était courir le risque de rester une  » research brand « . Il n’y a pas de secret : si tu veux devenir un label il faut se positionner. A Milan, c’est moins bohème, tu fais vraiment du business.  » La complémentarité les sauve encore une fois : car Les Hommes manqueraient un brin de saveur s’ils n’assortissaient ce sens des affaires sans faille à une créativité à fleur de peau très séduisante.

Rêveries d’ailleurs

Les Hommes, c’est en effet une idée classique de la mode – habiller l’homme de son temps – qui sert avec chic et panache des collections à la fois rigoureuses et pleines de fantaisie. Un alliage parfait entre portabilité et originalité. Prenez leurs deux dernières collections : au printemps les mecs se dévoilent fittés en gentlemen bourlingueurs dignes des riches heures de l’Orient- Express. L’automne venu, ils se métamorphosent en dandy ténébreux, piquant au dressing punk-anar sa fureur et aux silhouettes Belle Epoque leur mélancolie post-trauma.

A chaque coup, les vêtements de Tom Notte et Bart Vandebosch tirent leur eau hors de terres gorgées d’imaginaires, de voyages, de vapeurs nostalgiques et de rêveries d’ailleurs. De films aussi.  » On aime les films historiques flamboyants comme Elizabeth, souligne Bart. Et on est tous les deux très très fans de l’univers de Tim Burton.  » Pas un hasard si Johnny Depp, l’acteur fétiche du réalisateur de Sweeney Todd trône au sommet des acteurs que Tom et Bart aimeraient habiller. Peut-être un jour… Sûrement, même. Car quand Les Hommes ont quelque chose en tête, il semble que le reste suive.

Il y a quatre ans, Tom posait ses cartes dans Weekend :  » J’espère que dans cinq ans, notre marque disposera d’une soixantaine de points de vente. C’est nécessaire pour continuer (…). Le rêve ultime serait d’avoir notre propre maison. Il s’agirait d’un espace personnalisé avec vêtements, accessoires, parfums, mais aussi une collection femme.  » Verdict : quatre ans plus tard, Tom et Bart sont distribués dans plus de soixante points de vente et leur ligne pour femmes est sur les catwalks. Et pour leur concept store, on peut leur faire confiance. Les Hommes savent comment.

Baudouin Galler

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