Les jardins sauvages de William Robinson
Pendant plus de cinquante ans, le domaine de Gravetye Manor, dans le Sussex, au sud de l’Angleterre, fut le laboratoire d’idées de William Robinson, un jardinier de génie. Promenade dans un monde enchanteur.
Depuis quelques années, les jardins naturels et les prairies sauvages sont à la mode. Pour se documenter et créer l’espace vert de leurs rêves, les amateurs du genre n’hésitent pas à consulter » The Wild Garden « ,l’ouvrage de référence en la matière publié en anglais par William Robinson. Une attitude qui n’a rien d’exceptionnel si ce n’est que la première édition de ce livre date de 1870!
Auteur prolixe, William Robinson (1838 – 1935), a également signé de nombreux autres titres dont » The English Flower Garden » (1883), un des premiers ouvrages à populariser l’utilisation de plantes vivaces dans l’architecture des jardins. Cet opus lui valut le surnom de » Père du jardin de fleurs anglais « . Très éclectique dans ses goûts, ce reporter du fameux » Times » écrit tant sur les champignons que sur l’introduction des plantes exotiques dans nos contrées, voire même sur les cheminées à feu ouvert. Sa production totale compte pas moins de 19 références. Dès 1871, il fonde » The Garden » (qui fusionnera plus tard avec » Homes & Gardens « ) puis le magazine » Gardening Illustrated » et engage plusieurs graveurs renommés pour réaliser les illustrations de ses oeuvres. Pointilleux à l’excès, il supervise personnellement tous les stades de la confection d’un volume, reliure comprise. Les résultats des ventes le récompensent de ses efforts puisque le tirage de » Gardening Illustrated » dépasse en quelques mois celui cumulé de tous les autres magazines de jardinage britanniques.
Ce succès éditorial garantit à William Robinson un train de vie plus qu’enviable et lui permet d’acheter, à l’âge de 47 ans, Gravetye Manor – une superbe demeure élisabéthaine datant de 1598 – et les 440 hectares de bois, d’étangs et de prairies qui l’entourent. Pour la première fois de sa vie, il possède son propre jardin et peut donc mettre ses théories en pratique. Il redessine le paysage proche de la maison, prévoyant notamment 46 petits borders rectangulaires ceinturés chacun de pierres de York. Ses quinze jardiniers plantent une infinité de bulbes tout en veillant à combiner les plus belles variétés de plantes vivaces à fleurs de l’époque.
William Robinson n’hésite pas non plus à transformer la maison et à lui ajouter une aile. Il habille les pièces du rez-de-chaussée de lambris de chêne, façonnés à partir d’arbres ayant poussé dans la propriété. Pour les besoins de la cuisine, il aménage un potager ovale d’un demi-hectare, ceint de hauts murs. A l’âge où certains songent à prendre leur retraite, il appointe un chef jardinier talentueux en la personne d’Ernest Markham. Plus qu’un exécutant, celui-ci a le don de croiser les plantes pour en créer de plus belles ou plus originales. On lui doit Leucojum aestivum » Gravetye Giant » ou Geranium himalayense » Gravetye « .
Ce virtuose du croisement cultive également une véritable passion pour les clématites auxquelles il consacrera d’ailleurs une monographie en 1935. Ses expériences ont donné naissance à Gravetye de Clematis macropetala » Markham’s pink « , Clematis » Ernest Markham » , Clematis tangutica » Gravetye Variety » ou Clematis » Gravetye Beauty « . Cette dernière variété – dont chaque fleur ressemble à une tulipe – s’accroche aujourd’hui encore au porche d’une des portes donnant sur le jardin.
Les plantes qui fleurissent aujourd’hui dans ce merveilleux jardin ne sont cependant pas des réminiscences de l’époque de Robinson. En effet, après la mort de son propriétaire, Gravetye est passé entre plusieurs mains. On raconte même que l’un de ses locataires – un marchand de bois norvégien – avait tellement les clématites en horreur qu’il les fit toutes arracher et brûler, y compris les exemplaires de collection nés sur place.
Lorsqu’en 1957 Peter Herbert, l’actuel propriétaire, découvre l’endroit, il est à la recherche d’un cadre d’exception pour établir un des premiers hôtels de campagne de Grande-Bretagne. Sous l’emprise d’un coup de foudre, il liquide ses affaires londoniennes et vient s’installer à Gravetye, sans trop connaître l’histoire horticole du lieu. Il lui faudra ainsi deux années pour s’apercevoir que la grande pelouse située à l’ouest est en fait ceinturée par des allées magnifiquement pavées, qui se croisent au centre de la parcelle.
Les écrits retrouvés ont permis de reconstituer les points forts du lieu, à commencer par l’extraordinaire luxuriance des borders de vivaces mêlées de quelques graminées, vivaces elles aussi. William Robinson détestait deux choses: les jardins formels avec leurs topiaires sculptés et les parterres que l’on traite comme des tapisseries de plantes annuelles, technique très en vogue à l’époque victorienne. On ne trouvera donc pas traces de ces aménagements maniérés à Gravetye. Le jardin de fleurs proprement dit occupe deux espaces distincts. Au sud et contre la demeure, le premier est ceint de murs et, à l’ouest, le second s’ouvre sur l’horizon.
Fidèle à l’original, le jardin clos compte des plantes supportant bien le soleil. On y remarque notamment une touffe adulte de Romneya coulteri et d’autres grandes plantes comme Verbena bonariensis ou Maclaya cordata. L’essentiel de la collection de vivaces se trouve cependant autour de la grande pelouse située à l’ouest, soit à l’arrière de la bâtisse et dans l’axe de celle-ci. Ce jardin est spectaculaire, d’une part par l’opulence des plantes qui y poussent, à commencer par de grands bouquets de graminées, comme Miscanthus sinensis » Gracillimus « . Mais l’élément le plus marquant, le plus théâtral, réside dans la présence d’un border surélevé, situé à mi-chemin entre la pelouse centrale et un terrain de cricket, placé davantage en retrait. Parce qu’il compte ses propres allées où l’on peut déambuler, le jardin » d’en haut » permet aussi d’avoir une vue d’ensemble de la succession de borders rectangulaires de la partie centrale.
Il est difficile de savoir si les combinaisons de plantes qui émerveillent aujourd’hui les hôtes éphémères de Gravetye reproduisent fidèlement les préceptes de William Robinson. Mais, quoi qu’il en soit, certaines associations sont très réussies, comme Allium sphaerocephalon et Ophiopogon planiscapus » Nigrescens « , une plante à feuillage de graminées mais de couleur noirâtre. Le même ail décoratif (Allium spchaerocephalon), associé à Gypsophila » Rosy Veil » contraste de bien jolie façon avec la couleur et la texture des fleurs. Devant la bâtisse, sur un talus escarpé, on trouve l’interprétation des idées de William Robinson sur le jardin sauvage…
Carnet d’adresses en page 92.
Texte et photos : Jean-Pierre Gabriel
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