Longtemps victime de sa mauvaise réputation, la très dynamique capitale culturelle de l’Inde réussit à offrir 1 000 visages au visiteur. Raffinée et chaleureuse, elle sait, de plus, très bien faire la fête.

Faites l’essai lors d’un dîner, au moment d’aborder, en vue d’une prochaine villégiature, les mérites comparés d’Ibiza et du très snob archipel de Lamu, au Kenya :  » Et pourquoi pas Calcutta ?  » Effet garanti. Les plus pointus évoqueront l’£uvre du plus célèbre enfant du pays, le cinéaste Satyajit Ray. Les autres oscilleront entre un étonnement poli et le souvenir ému de la lecture de La Cité de la joie. Près de vingt-cinq ans ont passé depuis la parution du best-seller planétaire de Dominique Lapierre et il est peut-être temps de tourner la page des idées reçues. De sentir, pour reprendre le joli mot de l’écrivain anglais Paul Scott, grand connaisseur de l’Inde, le  » parfum derrière l’odeur « .

Calcutta, ou Kolkata, comme elle se fait appeler depuis 2001, mérite en effet beaucoup mieux que sa réputation de  » cité des nuits d’épouvante « , comme l’avait cruellement baptisée Kipling. Une ville – berceau du communisme indien – qui s’amuse à loger le consulat américain sur l’Ho Chi Minh Sarani et se moque de l’ancien leader voisin Musharraf à coups d’affiches publicitaires géantes ne manque à coup sûr pas de caractère.

Cultivée, raffinée, cosmopolite, ultradynamique et bien plus chaleureuse que ses rivales Bombay et Delhi, la capitale du Bengale occidental pulse d’une captivante énergie. Normal : elle est l’âme de l’Inde.

Un kaléidoscope de lumières

Âme déshéritée ? Oui. Pour celui qui n’a jamais posé le pied sur le sous-continent indien, les premières heures passées à  » Cal  » produisent un choc impossible à oublier. Une arrivée très tardive, des enfants qui s’agitent comme des papillons de nuit autour des néons de l’aéroport, une autoroute qui ne dort jamais, et puis ces familles entières allongées sur leur petit rectangle de trottoir, serrées comme pour laisser de la place à leurs s£urs d’infortune.

Lumière, ou plutôt lumières, jaunes, bleues, orange, fuchsia, et pleins d’autres aussi : en journée, la métropole prend la forme d’un kaléidoscope géant perpétuellement secoué entre tradition et modernité. Cireurs de chaussures, vendeurs de cigarettes, porteurs de rickshaws au visage parcheminé y croisent des grappes d’écolières hilares en uniforme ou des jeunes cadres du groupe Mittal engloutissant un chapatidal ou un chow mein acheté sur l’un des innombrables stands de rue de la ville.

C’est Chatt Puja, aujourd’hui, fête sacrée des Biharis, Indiens originaires du nord de l’Inde très nombreux à Calcutta. Le soleil se lève, une foule bigarrée s’avance vers les rives du Hooghly. Femmes et hommes plongent leur sari et leur lunghi dans les eaux du fleuve, déposant, en guise d’offrande, des pétales de fleurs et des régimes de bananes, symboles de prospérité. Puis ils regagnent lentement les marches des quais, les ghats. Pendant ce temps, à pied, en bus, en métro ou en tram – Calcutta est la seule ville du pays équipée d’un tramway – les traders courent rejoindre le quartier des affaires de Lyons Range, et les étudiants leurs coursà ou l’un des nombreux coffee houses de la ville.

Lire, causer, refaire le monde

Calcutta n’est pas la capitale intellectuelle du pays par hasard. On y lit beaucoup. La présence d’un grand nombre de maisons d’édition, de bouquinistes et de librairies l’atteste. On y cause beaucoup aussi, et parfois même on y refait le monde. Si les murs fatigués de l’Indian Coffee House pouvaient parler, ils nous raconteraient le poète Rabindranath Tagore, le bouillon révolutionnaire mijotant au son du doux ronron du ventilateur dans les années 1940, la bohème intello des sixtiesà

Les vegetable cotelettes y sont médiocres, le café, aussi goûteux qu’un jus de sari, les palmes des ventilateurs ont cessé leur manège depuis bien longtemps, mais l’ambiance hors du temps de ce lieu est unique. Aujourd’hui encore, la jeunesse aime s’y retrouver. Et, comme celle du monde entier, elle adore prendre du bon temps. L’essor économique a vu fleurir quantité de boutiques branchées et de bars tendance sur la très empruntée Park Street.

A peine un centre commercial jaillit-il de terre qu’un autre lui succède, plus moderne. Fleuron de cette nouvelle génération de loisirs, le Forum Mall dresse son imposante silhouette sur Elgin Road. Guère de dépaysement pour l’£il occidental dans ce bloc de béton et de verre climatisé de cinq étages. Mais les Calcuttais l’adorent, et nous, on aime beaucoup les cotonnades délicates de la boutique Anokhi et la cuisine bengali du restaurant Oh ! Calcutta, au quatrième étage. Sa clientèle est huppée, émancipée et très festive. La nuit venue, elle se presse au Tantra, la boîte très courue du Park Hotel, qui, avec ses deux bars magnifiques et sa vue imprenable sur la ville, n’a rien à envier à ses cousines occidentales.

Stilettos pour les filles, cigare pour les hommes et cocktail pour tout le monde : on se croirait dans un épisode de Sex and the City version Bollywood. Attablées au Roxy Bar, les Carrie Bradshaw du bout du monde se moquent des stags, les hommes célibataires refoulés à l’entrée, racontent leur ambition de carrière, leur boyfriend, leur relation souvent teintée d’incompréhension avec leurs parents, garants d’une Inde plus traditionnelle.

A minuit vient l’heure de se dégourdir les jambes et de rejoindre la piste de danse et son DJ. Au Tantra, la musique résonnera jusqu’à l’aube. Pendant ce temps, un peu partout dans la ville, des milliers de familles cherchent leur sommeil sur leur lit de bitume. n

PAR GÉRALDINE CATALANO

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